« Toujours ce duel entre les forts et les faibles ! »

Entretien de Bibish Marie-Louise Mumbu avec Nono Bakwa, Directeur de l'Ecurie Maloba, organisatrice du FIA

Kinshasa
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Du 23 au 30 juin, l’Ecurie Maloba de Kinshasa organise le Festival international de l’acteur (FIA). Son administrateur et directeur artistique est également dramaturge, comédien et metteur en scène : Nono Bakwa a derrière lui une trentaine d’années de pratique de théâtre. Il a interprété plus d’une cinquantaine de rôles et compte une vingtaine de mises en scène et autant d’œuvres inédites. L’un de ses mérites est d’avoir formé un nombre important de jeunes talents qui animent l’activité théâtrale à Kinshasa.

On connaît finalement peu de dramaturges congolais de RDC marquants.
Mikanza Mobyem ou Yoka Lye Mudaba ! Leurs oeuvres ont passé nos frontières. ‘Le Fossoyeur’ de Yoka par exemple, interprété en mono par le comédien congolais Jean Shaka, a également été interprété par une troupe en Martinique et a tourné en Europe. Le grand handicap de la dramaturgie en Afrique est l’insuffisance voire l’absence de maisons d’édition pouvant faire la diffusion du théâtre.
Comment jugez-vous la critique occidentale ?
Elle est parfois très injuste. Une fois, j’ai été fortement choqué d’entendre un critique affirmer qu’il n’existe pas de dramaturges ni de théâtre en Afrique… La critique occidentale ne fait aucun effort pour comprendre le contexte du théâtre africain. C’est vrai qu’il existe un théâtre universel qu’on retrouve partout en Asie, en Afrique, en Europe mais l’Africain de son côté apporte du sien dans cette branche : il part de la dramatisation des contes, légendes, épopées. Car en Afrique, le théâtre ne rime pas seulement avec parole, le théâtre c’est aussi le mouvement, le rêve, la naissance simultanée du monde visible et invisible, c’est également la veillée autour du feu, la soirée passée à la place du village. Des Werewere Liking travaillent plus sur le rituel africain, des Tchicaya U Tam’si et des Sony Labou Tansi ont abondamment écrit sur le politique, des Yoka se fixent sur le socio-économique. Ces situations qu’évoque le théâtre africain alimentent le vécu des populations africaines. Nous n’avons pas à faire en sorte que l’Européen s’y retrouve. Le théâtre est aussi une manière de voir, de croire, d’apporter du sien dans le milieu où l’on évolue. Atteindre ce public c’est avoir atteint son objectif.
Certains critiques vous semblent pécher par manque d’approfondissement ?
Beaucoup jugent l’écriture africaine par rapport à une écriture déjà existante mais personne ne cherche à savoir ce qu’elle représente par rapport à elle-même : c’est cela la vraie critique ! Personne ne fait l’effort de constater si les écrivains africains arrivent à atteindre leur cible, chacun préférant voir les choses à partir de lui-même et se plaçant comme centre de l’univers. Le mieux à faire, selon moi, est de juger les auteurs par rapport à leurs oeuvres en cherchant à les voir telles qu’elles sont, les analyser dans leur profondeur et en tirer leur vraie valeur.
Le théâtre reste le parent pauvre dans la presse…
La culture en général, en dehors de la musique, est un parent pauvre dans la presse, surtout en RDC. Les arts plastiques, le théâtre, la danse n’ont toujours pas trouvé leur vraie place dans la presse simplement parce que les journaux deviennent de plus en plus commerciaux. Ce qu’on peut reprocher à la presse, c’est le manque de suivi des créations artistiques et le manque de promotion. Cela ne doit pas empêcher les « hommes des planches « de se battre pour cela et de proposer des partenariats.
Comment vous situez-vous dans le circuit africain ?
La diffusion est un grave problème. Il y a très peu de pièces éditées parce que les éditeurs trouvent plus aisé de vendre des romans, nouvelles et poèmes. Cela donne l’impression qu’on n’écrit pas suffisamment en Afrique, alors qu’il y a beaucoup de pièces dans les tiroirs ! Cependant, sur le plan qualité, il faut avouer que l’auteur africain ne cherche pas loin dans sa thématique et puise ses sujets dans la situation politique du continent. C’est ce qui fait dire aux critiques que les dramaturges africains ne font pas preuve d’imagination, car il y aurait énormément à dire sur ce qui se passe dans le monde et qui touche l’homme, pas uniquement l’Africain.
Quelle a été votre démarche avec votre pièce « Arrêt kardiak » ?
En écrivant ce texte, mon premier souci était de démonter les abus des pouvoirs, qu’ils soient religieux, économiques ou sociaux. Le constat est que les pouvoirs écrasants existent partout, soutenus par les pouvoirs médiatiques. « Arrêt kardiak » est joué par des acteurs africains, dirigés par un metteur en scène français. Espace et temps sont difficile à situer, c’est voulu ainsi.
Togbe, le rôle principal, y déclare : « boire, boire sans cesse, abondamment boire, jusqu’aux confins de l’ivresse, et tomber ivre-mort sans conscience dans l’éternité, pour ne pas vivre les sursauts d’agonie du condamné à mort ! »
Boire plutôt que voir la misère autour de soi. C’est l’image d’un homme qui vomit son monde, et la vie imposée par les pouvoirs. C’est ce que nous vivons au quotidien, dans nos quartiers. Togbe a voulu lutter contre les injustices mais il n’en a pas eu la force, et se retrouve écrasé.
Vos personnages sont des abusés, victimes de l’ambiguïté. Pourquoi cette fascination pour l’ambivalence ?
Ce n’est pas de la fascination. « Arrêt kardiak » raconte la vie d’un musicien, chantre de tout un peuple et du pouvoir en place. Le jour où, bien installé dans les sphères du pouvoir, il réalise que ce pouvoir est oppressif, il change de camp et devient le plus radical des opposants. Le sachant très populaire, le pouvoir extermine plutôt sa famille et brûle sa maison. Il fuit alors l’existence en se réfugiant dans des immondices et tout le monde le prend pour fou. Une autre de mes pièces, « l’Enfer et le paradis », possède le même schéma : un type, bandit pour le pouvoir et libérateur pour le peuple, combat le système en place mais meurt bêtement dans un accident… Mes personnages sont négation de leur propre société. C’est ma façon de la dénoncer. Ils sont la parole, la revendication de tout un peuple.
Togbe, Uhuru, Malaîka : pourquoi ces noms des personnages d' »Arrêt kardiak » ?
Togbe, en langue béninoise, veut dire ‘celui qui parle’. C’est un nom qui m’a été inspiré par Alougbine Dine, qui participe à ce projet. Togbe est ainsi ‘la voix des sans voix’. Les deux autres noms sont congolais, de langue swahili. Malaîka, l’épouse de Togbe, signifie ‘ange’ et représente quelque chose de très précieux tant il l’aime. Uhuru est le nom de l’enfant qui aurait dû naître, et signifie ‘liberté’.
Ce spectacle, créé il y a deux ans, a connu tour à tour un chantier de dramaturgie à Limoges, un atelier préparatoire de sélection d’artistes à Kinshasa et la création proprement dite. Avec un tel parcours, pourquoi « Arrêt kardiak » n’a-t-il pas tourné ?
Tout cela n’a concerné que le niveau artistique de la création mais nous n’avions ni producteur ni diffuseur, alors que dans ce domaine, nous sommes des amateurs !
Et votre dernier spectacle ?
« Les dernières nouvelles ne sont pas bonnes », du Béninois Dave Wilson, qui est chroniqueur culturel et réalisateur à RFI. Toujours ce duel entre les forts et les faibles ! Le texte est limpide, car Dave a le verbe qui touche. Le spectacle a été sélectionné pour le MASA.
Comment vous débrouillez-vous cette fois pour la diffusion ?
Fort des expériences précédentes, je m’y suis mis et nous devons tourner jusqu’en septembre 2001. De toute façon, on ne baisse pas les bras en attendant la manne. L’Ecurie Maloba s’occupe déjà activement de la diffusion à Kinshasa. Le projet réunit Africains, Européens et Canadiens. Parmi les Africains, des Camerounais, des Béninois, des Ivoiriens, et deux Congolais : Jean Shaka et Astrid Mamina. J’assure la mise en scène, le créateur des décors et des lumières est le Français Michel Morel. Nous avons pensé à la photographie assurée par le Belge Michel Géline : les photos seront exposées dans toutes les salles qui recevront le spectacle. Il y a aussi Michel Kibushi, cinéaste congolais, qui s’occupera de la projection de films d’animation dans cette création.

///Article N° : 1939

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