Afrique : terre d’accueil pour les dessinateurs européens

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Si beaucoup de dessinateurs africains ont migré vers l’Europe pour tenter leur chance dans le milieu de la bande dessinée – notamment au cours de ces dernières années où la fuite des talents s’est accrue – la présence active de dessinateurs européens en Afrique est moins connue.

Dès le début du siècle dernier, des Européens ont produit, dans l’Afrique coloniale, des petites séries de bandes dessinées, à des fins éducatives ou religieuses, publiées dans des revues locales à destination d’un public dit « indigène ». Au-delà de son contexte de production, ce courant a favorisé l’émergence d’un intérêt pour la bande dessinée parmi la population locale et a entraîné l’éclosion de futurs dessinateurs.
Après les indépendances, cette influence européenne se poursuit et a souvent été à l’origine d’une apparition ou d’une renaissance de la BD dans certains pays. C’est le cas au Gabon où la bande dessinée commence en 1976, avec la parution des premières planches du français Munoz dans L’Union, premier quotidien national d’informations. Munoz illustrera également de 1977 à 1982, un hebdomadaire de spectacle et de loisirs, « Libreville, Port-Gentil, Franceville 7 jours« .
Le cas du français Michel Faure est encore plus particulier. Parti à Madagascar en 1969 pour y faire son service militaire au titre de la coopération au Centre Culturel français de Tananarive, il finit par s’y installer et se marier. Passionné de chevaux, il fonde une écurie, Le Manège au galop. Entre la chasse et l’équitation, il trouve le temps d’écrire une bande dessinée, Héry, qui sera la première bande dessinée cartonnée éditée dans le pays. Faure adapte également une ancienne légende de l’île, Beandriaka tantsambo (Beandriaka le marin). Suite à la malgachisation, il décide de déménager à La Réunion, où il continuera sa carrière en intégrant l’équipe du fameux Le cri du margouillat et en réalisant plusieurs albums, dont les deux volumes sur le corsaire La Buse.
La RDC, en relation étroite avec son ancienne puissance tutélaire, a également eu son lot de dessinateurs belges ayant produit sur place des planches de BD (1). C’est le cas de René Henrard, dont le nom de plume était René Kasuku, qui a participé à l’aventure de la revue Afri BD, lancée par Barly Baruti au début des années 90 et qui a également été très actif dans la diffusion de la bande dessinée dans le pays au moment où celle-ci avait du mal à trouver son souffle. Henrard quittera le pays, comme beaucoup d’Européens, après les pillages de septembre 1991.
De même ce sont deux ingénieurs belges de la Gécamine (Générale des carrières et des mines) – la plus grosse société minière du pays – Paul Baeke (dessin) et Théo Roosen, (scénario), qui, durant 27 années, ont produit Les aventures de Mayélé, dans le très populaire Mwana Shaba junior, bimestriel destiné aux enfants. Ils créèrent sur place de 1965 à 1967, puis après la zaïrianisation, Paul Baeke continua depuis la Belgique jusqu’en 1992, sous des noms divers. Par la suite, des dessinateurs congolais se sont engagés dans l’aventure (2).
Si un certain nombre de dessinateurs belges se sont illustrés en RDC, le phénomène existe dans d’autres pays.
Guy Nadaud dit Golo, dessinateur français, auteur d’une quinzaine de bandes dessinées, dont une adaptation de Mendiants et orgueilleux d’Albert Cossery, vit en Égypte depuis plusieurs décennies. Il collabore régulièrement à l’hebdomadaire le Cairo times ainsi qu’à d’autres journaux et monte des expositions à travers le pays.
Au Burkina Faso où il vit depuis 1990, le dessinateur français Damien Glez (3) (naturalisé burkinabé) est très actif dans la presse nationale. Il collabore en particulier à l’hebdomadaire satirique le Journal du jeudi (4), et ses dessins sont repris dans plusieurs dizaines de journaux internationaux.
Jo Collura est né en Italie il y a 69 ans, de parents qui avaient par la suite émigré en France. Arrivé au Sénégal en 1968, il en a adopté la nationalité et publie régulièrement des bandes dessinées. La dernière, Civo et Bouba (en 2003) traitait de la guerre du golfe sur un mode humoristique. Toujours au Sénégal, Mohiss de son vrai nom Richard Maurice, a vécu à Dakar pendant de nombreuses années où il a dessiné, avec un talent sans pareil, la vie sénégalaise de tous les jours. Il serait actuellement professeur d’arts plastiques en région parisienne. Son œuvre compte plusieurs albums. Tout d’abord, L’écritoire (1983) et les aventures du car-brousse dans Tout passe dieu merci (1987) où les personnages étaient muets et les textes sans légendes. Puis Baobab n’a pas d’épine (1994) où Mohiss choisit un échantillon de proverbes du Cap Vert qui se retrouvent sous des formes voisines un peu partout au Sénégal, voire en Afrique. Il propose un commentaire graphique de la maxime ; le texte et le dessin entretiennent alors des rapports de réciprocité. Enfin, Petits jobs & gros boulots (1997), album magnifique qui croque avec un parfait sens de l’observation et beaucoup d’humour le quotidien du monde du travail en Afrique.
D’autres exemples existent. En Cote d’Ivoire, la première série BD, parue dans Ivoire dimanche en 1971, s’appelait Yapi, Yapo et Pipo d’un certain G. Ferrand. Mais, surtout, le premier personnage emblématique de la bande dessinée ivoirienne, Dago, dont le succès populaire ne se démentira pas de 1973 à 1977, était l’œuvre du scénariste français Labo sous le pseudo de Maïga. Labo, produira une autre série au début des années 80 intitulée Waxo.
La présence d’Européens dans la BD produite sur le continent africain a donc perduré et s’est maintenue assez fortement depuis la grande vague des indépendances. Elle fut évidemment bénéfique pour les dessinateurs africains qu’ils ont pu influencer ou auxquels ils ont souvent ouvert la voie. Mais la réciprocité est non-négligeable. Dans bien des cas, l’Afrique fut également une chance pour les dessinateurs européens. Leur carrière africaine a permis de lancer certains d’entre eux et de les faire travailler. Elle aura aussi permis à quelque-uns de vivre de leur passion et, pour beaucoup, de faire leurs premières armes dans un environnement moins contraignant que l’Europe.
Le cas de Jean François Chanson au Maroc (cf. son interview Jean François Chanson : « il faut parfois un peu souffrir pour atteindre ses rêves ! ») relève un peu de la même logique. Cet auteur est très impliqué dans le milieu de la bande dessinée marocaine où il tente de faire bouger les choses. Plus doué pour écrire que pour dessiner, selon ses propres dires, la rencontre avec l’éditeur, Nouiga, lui a permis de mettre en image sa vision du Maroc dans deux beaux albums, Maroc fatal (2006) et Nouvelles maures (2008). Jean François Chanson y autopsie la société du pays où il réside, avec acuité et sans concession, mais aussi, respect et affection. Avec lui, on est loin de l’image stéréotypée véhiculée par les agences de voyage. Preuve que la bande dessinée produite au sud peut aider à faire passer des messages qui sortent des sentiers battus des images communément véhiculées.

1. N’oublions pas non plus que le Congo fut le lieu de démarrage du scénariste André Paul Duchateau.
2. Cf. pour plus d’informations, http://www.inchi-yetu.be/index_mayele_final.html
3. Son site est sur http://www.glez.org/
4. Leur site est sur http://www.journaldujeudi.com/
Remerciements à Alain Brezault///Article N° : 8100

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