Palazzo enciclopedico, c’est sous ce thème qu’a été lancée, le 1er juin 2013, la 55e édition de la Biennale de Venise. 88 pays ont exploré cet imaginaire lancé par Massimiliano Gioni, commissaire de la Biennale [1]. Six pays africains (Angola, Afrique du Sud, Côte d’Ivoire, Zimbabwe, Kenya, Égypte) ont souscrit à cette prestigieuse manifestation de l’art contemporain.
Le Palais encyclopédique s’inspire du projet utopique de l’architecte italien Morino Auriti. Il rêvait d’implanter à Washington une tour de 136 étages et de 700 mètres de haut destinée à conserver l’ensemble du « Savoir humain ». Elle n’a jamais vu le jour. Point d’orgue de la Biennale, sa maquette trône au centre de la première salle de l’exposition internationale. Elle symbolise la confrontation des visions et des réflexions artistiques planétaires sur les origines et les finalités de l’humanité et de son environnement.
Autour d’elle, comme une barrière la protégeant, on est séduit par les photographies du Nigérian J.D’Okhai Ojeikere : un corpus d’images de nattes et autres coiffures féminines du Nigeria, prises entre 1969 et 2005. Ce bel hommage à la photographie africaine nous rappelle qu’en 2007, Malick Sidibé recevait un Lion d’or pour l’ensemble de sa carrière. Il affirmait, alors, que c’était une victoire pour la création en Afrique.? Avec le lion d’or attribué au pavillon angolais en 2013, l’Afrique s’impose-t-elle comme véritable acteur de l’art contemporain ?
Depuis sa création en 1895, peu de pays africains ont participé à la Biennale de Venise avec un pavillon. Si depuis 1952 l’Égypte en possède un permanent, dans le jardin du Giardini, il n’est que très rarement utilisé. Ce n’est qu’au milieu des années 1990 que l’on verra régulièrement des événements assurant entièrement la visibilité des artistes africains avec l’exposition Modernities & Memories, au cours de la 47e Biennale de Venise de 1997. Cette présence est à mettre en parallèle avec le début du discours non achevé sur l’existence d’une esthétique et d’un langage propres à l’art contemporain africain sans cesse rattaché aux sciences sociales comme l’anthropologie ou l’ethnographie. Tout ceci véhicule une histoire de l’art massivement eurocentrée. On se souvient aussi de l’exposition Authentic/Ex-centric proposée par Olu Oguibe et Salah Hassan, dans le cadre de la 49e édition en 2001.
C’est en 2007, avec l’exposition Check list, Luanda Pop [2] du premier pavillon africain, que s’impose une vraie représentation africaine à Venise. Sous le commissariat de Simon Njami, ce pavillon marque indubitablement une prise de conscience pour nombre de pays africains, et de tous leurs acteurs culturels, de la nécessité de donner une voix aux artistes.
Dans l’exposition internationale également, on a pu noter la présence de quelques artistes africains : Ousmane Sow (1995), Abdoulaye Konaté (1997), Ousmane Ndiaye Dago (2001), Kader Attia (2003), Pascale Martine Tayou (2005) ou Chéri Samba (2007)
Cette année, Frédéric Bruly Bouabré présente une partie de son syllabaire à l’Arsenal au côté des tapisseries du Sénégalais Papa Ibra Tall, grand défenseur de la négritude. La diaspora trouve également une résonance avec la présence d’artistes comme Neil Beloufa, Bouchra Khallili ou Steve MacQueen et sa vidéo Once upon a time (2002) mais aussi la portraitiste Linette Yiamdom-Boakye. La Belgique surfe sur cette présence africaine en offrant au Prix Nobel de la Paix JM Coetzee le commissariat de son pavillon. L’installation monumentale de l’artiste Berlinde De Bruyckere Kreupelhout-Crippelwood est une réflexion sur la Vie. Les photographies documentaires du sud africain Santu Mofokeng sont exposées dans le pavillon allemand aux côtés du Chinois Ai Weiwei.
La victoire du photographe angolais Edson Chagas avec la série Encyclopedic Luanda [3] a suscité une véritable cohue au Palazzo Cini, dès l’annonce des lauréats. Chacun des visiteurs s’empressait de récupérer les images disposées sur des palettes en bois et mises en libre-service. La compilation photographique d’Edson Chagas mêle matières architecturales et objets de consommation. Ces images nous plongent avec lyrisme dans les déambulations de l’artiste dans la capitale angolaise. Ce prix « jalousement » contesté symbolise le dynamisme avec lequel la scène artistique angolaise s’est consacrée ces dix dernières années à développer de véritables infrastructures culturelles (institutions, centres de formation, collectionneurs.)
Notre grand regret va au pavillon kenyan qui pour sa deuxième édition (la première eut lieu en 2003), accueille huit artistes chinois pour deux artistes kenyans : Kivuthi Mbuno et Chrispus Wangombe Wachira. Pourquoi promouvoir en majorité ces artistes quand la scénographie du pavillon officiel de la Chine « Passage to history » revendique vingt années de présence à la biennale ? Ce pavillon s’impose en symbole d’une chinafrique aux accents parfois trop hégémonique. En effet, pourquoi bouder les artistes kenyans locaux ou de la diaspora ? Ce nouveau néo-colonialisme révèle le délitement pour nombre de pays africains d’une scène artistique et sa réappropriation par des investisseurs parfois peu scrupuleux.
Si beaucoup reste encore à construire quant à l’implication de l’Afrique et de ses diasporas, ces différents artistes sont la trace d’une maturation de la scène internationale dans sa volonté de fournir un relevé encyclopédique aussi riche et aussi complet que possible de l’Art. Le projet de Morino Auriti n’est donc pas complètement une utopie.
La présence des pavillons africains, pour cette édition, est une véritable amorce dans la prise de conscience de la place qu’occupe ce continent sur la scène contemporaine internationale toute manifestation confondue ; mais aussi le résultat d’une lutte pour faire sortir la création africaine d’un enfermement longtemps véhiculé par des discours condescendants. Il ne s’agit pas de faire une Biennale africaine hors du continent, mais de réfléchir à la manière dont ces artistes occupent la scène internationale, sans que des critères de goûts n’imposent un langage esthétique en dictature et clivages [4].
Si certains pays ont tenté l’essai une fois, c’est le cas du Gabon, du Maroc, des Comores en 2009, il n’y a jamais eu de véritable continuité. Une plus-value est ainsi apportée au territoire représenté avec des enjeux de visibilités, non pas seulement sur la scène internationale, mais aussi d’un point de vue local. La Biennale de Venise est l’occasion de rencontrer marchands, collectionneurs et institutionnels. Quand nous observons que peu à peu, dans de nombreux pays africains, des individus se lancent frileusement dans la collection d’uvres d’art, être vu et reconnu à La Biennale, c’est aussi encourager le marché local et (re)donner un coup de projecteur sur la scène artistique de ces pays.
Depuis 1993, l’Afrique du Sud, régulièrement présente, semble avoir reçu un accueil mitigé cette année, malgré une proposition dynamique, à l’effigie d’une société pluri-culturelle.
Okwui Enwezor, tout en félicitant la victoire angolaise, soulignait tout de même qu’il fallait s’interroger sur la continuité de cette visibilité africaine au-delà d’événements internationaux. En somme quelles stratégies de politiques culturelles les pays africains mettent-ils en place pour encourager leurs artistes à les représenter de façon pérenne ?
Le pavillon du Zimbabwe est une piste à observer. Avec l’exposition Dudziro interrogating the visions of Religious beliefs, sous le commissariat de Raphaël Chikukwa, ce pays réédite pour la deuxième fois consécutive sa participation à la Biennale de Venise. Avec un président, Robert Mungabe, contesté internationalement pour ses décisions politiques, le Zimbabwe a bien compris que sa participation constante à cette biennale était un véritable instrument de politique étrangère. Mais laissons là les polémiques politiciennes pour ne souhaiter que longévité et encouragements pour cet investissement. Attendons 2015.
[1] Massimiliano Giono dit dans son statement : « Le rêve universel, qui embrasse toutes les récoltes de la connaissance tout au long de l’histoire de l’art et de l’humanité, comme celui excentrique de Auriti, est à relier aux nombreux autres artistes, écrivains, scientifiques et prophètes auto-proclamés qui ont essayé, souvent en vain, de façonner une image du monde qui reflétera son infinie variété et sa richesse. Aujourd’hui, alors que nous sommes aux prises avec un flot constant d’informations, de telles tentatives de structurer les connaissances en systèmes « all-exclusives » semblent encore plus nécessaires et encore plus désespérées
»
[2] Voir article « Biennale de Venise : Hommage à Malick Sidibé »[ici]
[3] Les images de « Encyclopedic Luanda » sont tirées de la série « Not found taken » compilant des images prises à Luanda, mais également à Newport et Londres. Ce travail de compilation est toujours en cours.
[4] Henri Michaux, Critères esthétiques et jugements de goûts, Jacqueline Chambon éditions.///Article N° : 11617