Fortement imprégnée de l’histoire contemporaine, l’uvre de Bruce Clarke alerte nos consciences à travers un travail plastique qui interroge l’histoire contemporaine et les répercussions conscientes ou inconscientes de son évolution sur notre rapport au monde. Rencontre avec un plasticien militant à l’occasion d’une exposition monographique à Bordeaux et d’une exposition collective à Paris.
Vous présentez à Bordeaux des uvres récentes qui ont pour thème les migrations. Comment abordez-vous ce phénomène complexe ?
Je présente une série de tableaux réalisés au cours de ces trois dernières années, issus d’un travail dont le fil conducteur est les migrations contemporaines.
Les migrations sont universelles au sens littéral du terme : chaque époque a ses migrations diverses et l’histoire de l’humanité est une histoire de migrations.
Aujourd’hui, on essaye de limiter les migrations en construisant des murs en Palestine ou ailleurs ou en fermant les frontières comme en Europe ou aux États Unis. Les migrations sont intrinsèquement humaines et les empêcher est intrinsèquement déshumanisant.
Les migrations vers l’Europe sont directement liées à l’esclavage et au fait colonial. Les liens noués à ces époques sont toujours forts, à l’image des relations de dominations qui persistent.
L’esclavage est d’ailleurs un thème récurrent dans votre travail
Il le traverse toujours d’une manière ou d’une autre. L’esclavage est le symbole même du rapport de domination extrême qui existe dans ce monde et il est emblématique du rapport de domination général. Nous continuons à vivre dans un monde de domination. L’exploitation de l’homme par l’homme pour en tirer un profit économique, à moindre coût, est une forme d’esclavage.
Voulez-vous dire que les formes de domination contemporaine s’apparenteraient à des logiques d’esclavage moderne ?
Oui, certaines choses perdurent sous d’autres formes dans le monde dit moderne. L’inhumanité de l’esclavage a sévi à l’époque des Lumières ce qui peut paraître en soi paradoxal. À cette époque était établi le fait que l’homme noir était l’esclave « naturel » de l’homme blanc. À d’autres époques, d’autres choses tout aussi choquantes, comme la colonisation, pouvaient paraître « naturelles ». Il en est de même aujourd’hui où il paraît naturel de délocaliser les sites de production pour les implanter là où la main-d’uvre est la moins chère. Ce sont les besoins du marché qui dictent ça. Très peu de gens s’élèvent contre cet état de fait qui profite au consommateur. La majorité des gens pense qu’il est normal d’aller produire là où c’est le moins cher pour réduire les coûts de production et donc de vente. C’est spécifique de notre époque et c’est tout simplement ce qu’on appelle la mondialisation économique et libérale. Nous vivons dans une société qui nous manipule et nous pousse à ne plus être choqués de rien. Nous profitons de cette situation en tant que consommateurs, sans avoir conscience que nous sommes les prochaines victimes.
Comment ces problématiques s’articulent-elles dans votre travail ?
J’interroge dans mes toiles la manière dont une société arrive à « naturaliser » certaines choses qui ne devraient pas l’être.
Je ne cherche pas à dénoncer ni à apporter des réponses, mais plutôt à inviter les gens à réfléchir à partir de leur propre interprétation, à prendre conscience par eux-mêmes du monde dans lequel ils vivent. Je compose des images qui essayent de démontrer que rien n’est naturel en suggérant que l’on nous présente des choses comme étant naturelles pour mieux nous exploiter. Nous profitons de cet état de fait en tant que consommateurs, sans avoir conscience que nous sommes les prochaines victimes.
Au fil des années, vos toiles semblent être plus épurées, comme si elles répondaient à une recherche de distanciation
Il est vrai que j’aborde de plus en plus mes toiles en essayant d’épurer et d’effacer les références précises. Je suis dans une recherche plus synthétique des idées que j’essaye de véhiculer, tant dans le style que dans le contenu. Je suis préoccupé par la nécessité de dire des choses fortes avec le moins de références possible. Pour parler d’un événement en le rendant universel, je dois m’éloigner des éléments qui l’ancrent dans une histoire particulière. Ce qui rend mon travail peut-être plus ambigu. Je ne cherche pas à dénoncer ni apporter des réponses, mais plutôt à faire en sorte que celui qui regarde la toile se pose lui-même des questions.
Bruce Clarke : un poète gratte – monde
Du 4 au 27 juin 2009.
Porte44 – Mc2a – 44 rue Faubourg des Arts – 33300 Bordeaux
Tél. : 05 56 51 00 83 – Courriel : [email protected]
http://web2a.org
Still fighting – Sculpteurs du Zimbabwé et Bruce Clarke
Du 10 juin au 30 septembre 2009
Musée des arts derniers – 28 rue St Gilles – 75003 Paris
Tél : 01 44 49 95 70 – http://www.art-z.net///Article N° : 8698