Caramel

D'Henri Duparc

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Il y a quelque chose de profondément émouvant dans le dernier film du cinéaste malheureusement disparu en 2006 : conscient de sa maladie mais sans aucunement le laisser apparaître sur le tournage, Henri Duparc a conçu Caramel comme un adieu. Il n’en a pas pour autant fait un pompeux ou prétentieux testament, bien au contraire : il se contente une fois de plus de zoomer comme dans la première image sur Abidjan, la terre d’accueil de ce métis guinéen qui y avait trouvé ancrage et succès. Soucieux de conserver un contact direct avec le public et conscient de l’évolution de la diffusion dans une ville où les cinémas ont fermé, il adopte un style télévisuel multipliant les champs-contrechamps dans les dialogues et cadrant volontiers les visages de ses protagonistes. Fidèle à son habituelle dérision puisant dans une fine observation du milieu, une utilisation des permanentes inventions linguistiques du français de Côte d’Ivoire et du vaudeville des comédies théâtrales ivoiriennes, il exagère comme toujours personnages et situations jusqu’à la caricature pour mieux produire un contre-discours aux problèmes de l’heure, dénonçant l’intolérance et la bêtise. Mais cette parodie respecte toujours ses personnages qui conservent toute leur humanité, seule façon de proposer au spectateur de se regarder tel qu’il est et de se corriger. Ainsi dans Caramel, Maria est-elle touchante tout en étant un résumé de toutes les tares des bigotes qui veulent faire le bien des autres à leur place tout en les enfermant dans leur façon de voir. Elle balance en tout sens son imposant popotin, y va de ses grimaces et de ses répliques qui font se tordre de rire la salle et intrigue pour trouver à son frère Fred un bon parti en mobilisant des copines qui ne reculent devant rien, comme Léa qui le drague en bouffant, buvant et roucoulant sans mesure, ou bien Patricia qui cherchera à le compromettre par médias interposés. Bien sûr, quand Fred rencontre de son propre chef la jeune et jolie métisse Caramel, elle la diabolise aussitôt.
C’est dans le cinéma dont il est le directeur que Fred rencontre Caramel. Car le cinéma prend une place inattendue dans le film et l’on comprend peu à peu combien Caramel se réfère à la carrière d’Henri Duparc, non de façon biographique mais signalant ses tentatives, ses échecs, ses engagements. Les affiches de ses films émaillent les murs et des extraits d’Abusuan, L’Herbe sauvage, Bal poussière et Couleur café contribuent au récit. Fred, qui roule dans une voiture arborant en grosses lettres le slogan « le cinéma fait rêver » – un combat cher à Duparc -, s’engage à fond, persuadé qu’il va remonter les comptes de son cinéma qui périclite faute de spectateurs en organisant une semaine du cinéma africain. Au programme : Abusuan, Camp de Thiaroye, Kodou, rien que des bijoux historiques des cinémas d’Afrique, mais aussi fers de lance d’un cinéma thématiquement et esthétiquement autocentré. On sait qu’Henri Duparc avait repris Le Pharaon, une salle abidjanaise, dans l’idée de programmer en priorité des films africains mais qu’il avait dû fermer sous le coup de la dévaluation du franc CFA qui alourdissait les charges tout en diminuant les recettes. Mais Fred programme aussi Mangala, fille des Indes, grand classique multidiffusé de ce cinéma indien dont raffolaient notamment les femmes africaines en les faisant rêver et confirmant leur envie de cinéma. C’est pour ce film que la belle Caramel vient au cinéma et ne rate aucune séance. Elle est ainsi la réalisation de ce pourquoi Fred s’engage. Rien d’étonnant à ce qu’il en tombe amoureux, bien qu’il fricote déjà avec Tatiana, une « dépanneuse » qu’il ne va voir que quand il a le temps et l’envie de se détendre autour d’un bon repas !
Son amour pour Caramel l’entraînera loin, au-delà du réel, dans un monde que le cinéma ose parfois aborder avec humour comme dans Ghost (Jerry Zucker, 1990, avec Whoopi Goldberg) ou Always (Steven Spielberg, 1989) : comment les morts veillent sur les vivants. Une façon de nous dire qu’en nous faisant rêver, le cinéma nous emmène comme l’amour au-delà de nous-mêmes, qu’il nous permet de nous transcender. Mais aussi de nous rappeler, comme Duparc le déclarait lui-même, « que le seul drame qui peut exister sur terre pour un individu, c’est la mort, et qu’au-delà de ça, tout le reste n’est qu’une comédie humaine ! »

///Article N° : 4454

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