Rencontre avec le réalisateur Djo Tuna wa Munga à propos de la situation du cinéma en RDC, sa propre conception du cinéma et les initiatives qu’il développe avec la société de production Suka! qu’il a développée avec le producteur sud-africain Steven Markovitz.
Nous sommes au festival de Cannes. Quelle est votre impression générale ?
J’ai passé une excellente semaine. Tous les décideurs sont là. Venant d’un pays très mal côté, la RDC étant souvent appelée « le cur des ténèbres », les choses sont difficiles, mais des rendez-vous ont été pris pour qu’ils viennent à Kinshasa. C’était intense !
Parlons de la RDC, pays dévasté où le cinéma renaît.
Tout cela est très fragile. J’ai étudié à l’extérieur et je suis rentré à Kinshasa. Il y a 15 ans, si un colonel passait, il pouvait prendre la caméra et partir avec. Aujourd’hui, on peut travailler, même si tout n’est pas parfait. Cela permet de mettre en place des programmes et les talents du pays se mettent en action. La ministre de la Culture de RDC est venue à Cannes. Je la salue car elle a eu le courage de dire devant un parterre international que son pays n’avait rien mais allait quand même se mettre à l’ouvrage. C’est ça le début de la renaissance : pouvoir se dire où on en est et que l’énergie est là pour avancer. La renaissance est fragile mais si on tient ce discours dans les faits, les choses vont changer.
Mahamat-Saleh Haroun me disait ce matin que le gouvernement tchadien mettait un million et demi d’euros pour remonter la salle du Normandie à Ndjaména où il n’y a plus de salle de cinéma. Voilà un pays également marqué par la guerre mais avec un gouvernement qui comprend que le cinéma est important pour sa visibilité internationale et qu’il peut aussi être facteur d’emplois et de développement. Est-ce un discours possible en RDC et le défendez-vous ?
Bon, vous me posez la question difficile jusqu’au bout ! Je pense que ce n’est pas une question d’argent.
Mais de politique publique ?
Le pays est immense. Même au gouvernement, la tâche est gigantesque. Sans le militantisme comme j’essaye de le faire, cela prendra du temps avant que ça bouge. Avant de faire une grosse action symbolique comme la réfection d’une salle de cinéma, il faut se concentrer sur l’essentiel : l’éducation et une vision cinématographique. Si on arrive à ça, l’argent suivra. Sinon, on dira encore des Congolais qu’on leur a donné de l’argent et qu’ils n’en ont rien fait.
Ok, parlons d’éducation. On voit des actions de formation dispersées apparaître avec les différents acteurs du milieu, sur place ou de la diaspora. Y a-t-il une cohérence ? Une concertation entre vous ? La RDC est un grand pays à l’extérieur aussi
Bon, encore les questions difficiles ! Il n’y a pas de réponse simple. Je ne milite pas pour une école de cinéma, forcément liée à un système économique développé où l’on peut investir « à perte » car il faut créer une génération de cinéastes, techniciens et comédiens pour avoir un retour. Une école, les machines, l’entretien, c’est très lourd. Je serais plutôt pour des laboratoires : on n’a pas de murs, pas besoin d’une grosse infrastructure, mais on fait venir des gens et on échange au niveau du cerveau. On reparlera d’une école quand l’économie se développera. J’ai étudié en Europe sans être issu d’un milieu aisé. J’étais sélectionné sur concours et ce sont mes capacités qui ont joué, non le porte-monnaie de mes parents. C’était il y a quinze ans et déjà les choses changent et il faut aujourd’hui un budget que je n’aurais pas eu à l’époque !
Sur la question d’une concertation entre nous, la réponse est non. Le Congo, c’est un peu le western ! On est tous des flingueurs ! Des individualités. Je pense que pour ma génération, c’est trop tard. Ce n’est pas la nation que nous avons en commun mais notre façon de penser. C’est à partir de ça qu’on fonde les choses pour aller dans la même direction. La dictature a fait que beaucoup sont partis à l’étranger, d’autres sont restés sans pouvoir faire grand-chose à l’intérieur et qui, du coup, sont plutôt des individualistes. Je suis rentré dans les années 90 où c’était la guerre et tout était difficile. Je suis de Kinshasa mais j’ai beaucoup bougé en RDC. Un cinéaste de la diaspora a une autre expérience. Nous n’avons pas de base commune. Ce que j’essaye de faire, c’est de préparer une nouvelle génération qui en dispose. La réalité du Congo est proche de celle de l’Europe : une constellation de peuples différents. Il n’est pas simple de poser une pensée commune. Nous avons par contre une histoire commune, nous avons souffert ensemble et c’est très fort dans la population. On a tous l’envie de reconstruire et donc d’aider les générations suivantes.
A propos de nation, quand vous produisez des documentaires, avez-vous en tête une sorte de discours national qui serait de dire : « voilà notre réalité » ?
Absolument pas. Je suis un universaliste absolu ! La nation n’est qu’une étape. Mais si j’étais venu avec un discours panafricaniste, on m’aurait pris de haut, comme un prêcheur tout droit sorti de l’Occident. J’ai pris le problème autrement. On a regroupé des gens de différentes régions et pas seulement de Kinshasa. On est donc parti d’une base nationale. J’ai ensuite fait venir des gens compétents de l’étranger pour étudier les films. C’était important pour voir que le monde est pluriel, et avoir le plaisir de la rencontre. Quand un tournage international vient avec une équipe venant de différents pays, la réalité universelle du cinéma s’impose. La nation est un dénominateur commun pour ouvrir les choses.
Le projet « Imagination » que vous portez avec le producteur sud-africain Steven Markovitz est un projet panafricain qui reprend le vieux rêve de l’adaptation littéraire au cinéma. Je me souviens avoir insisté sur le peu d’exemples de la sorte dans les cinémas d’Afrique lors de mon introduction au premier atelier « Etonnants scénarios » à Bamako, qui regroupait cinéastes et écrivains dans l’espoir de développer cette relation. Pourquoi revenir à cela aujourd’hui ?
Je n’invente pas la roue. Le cinéma a déjà sa trajectoire, dont nous étions exclus car plongés dans la dictature. Le cinéma n’aurait pas existé sans le théâtre, lui-même venant du conte. Les écrivains africains n’ont aucun complexe à avoir : leurs uvres sont là et ils sont reconnus. Les livres et les auteurs sont forts : ils constituent une base. Aujourd’hui, n’importe qui s’intronise cinéaste sans avoir cette base, alors qu’une maturité est nécessaire. Il y a beaucoup de travail en amont pour mûrir quelqu’un. Il nous faut donc apprendre à lire et écrire ! J’essaye de ne pas caster de comédien qui n’a pas fait de théâtre avant. Il faut une démarche où le corps a travaillé. Nous avons une littérature qui peut nous enseigner les personnages, la dramaturgie, etc.
Y a-t-il commande ? Les livres sont là ou bien les participants doivent-ils les trouver eux-mêmes ?
Au niveau méthodologie, on va constituer un comité de quelques personnes pour choisir des livres à mettre sur la table. Et on choisira les cinéastes en fonction de ce qu’ils proposent par rapport aux histoires de ces livres. Il est difficile de trouver de bons scénaristes.
Et les écrivains ne sont pas scénaristes : on a vu Abdourahmane Waberi déclarer forfait pour « Daratt », par exemple.
Ce sont des disciplines différentes. Un musicien classique n’est pas un jazzman. Mais dans le pool de l’atelier, peut-être émergeront des scénaristes qui pourront porter l’ensemble. Ou bien on pourra faire appel à des énergies extérieures.
Est-ce que vous comptez participer au programme comme réalisateur ?
Non, seulement comme producteur. Il y aurait eu conflit d’intérêt et j’ai mes propres projets à avancer. Ce ne serait qu’en dernier recours s’il y avait nécessité.
« Papy » a tourné avec succès dans plein de festivals. A quoi attribuez-vous ce succès ? Qu’est-ce qui a bien marché dans ce film ?
J’ai parlé tout à l’heure du travail en amont, de préparer le scénario. J’avais pensé que ce qui pouvait fonctionner était de prendre des codes universels, dans le drame mais aussi dans la drôlerie, avec en plus une espèce d’alchimie qui fasse que les comédiens se sentent à l’aise et soient touchants. Je me souviens avoir été critiqué par un expatrié qui travaillait pour une coopération qui me disait que c’était un film de bourgeois congolais. Un an plus tard, il m’a dit avoir montré le film dans un village et été frappé que les gens ont ri et ont aimé. Je crois que ce qui marche, c’est les règles : la construction d’un héros, le fait qu’il soit un policier, l’uniforme, le personnage de la femme, la trahison et son émotion, le retournement burlesque, c’est l’histoire du cinéma qui se retrouve dans une forme dramatique. On y ajoute des comédiens en forme et l’esthétique. Mais j’insiste sur la construction !
Cette utilisation des codes du cinéma de genre, vous la poussez au bout dans « Viva Riva ».
Absolument. J’aime les films de genre. Les cinéastes juifs allemands qui ont émigré aux Etats-Unis pour échapper au nazisme étaient des intellectuels raffinés qui se sont retrouvés dans un environnement différent. Il leur fallait adapter des choses assez pointues à un public qui cherche avant tout à se distraire. La grandeur de ce cinéma américain est de rester subtil tout en créant des codes permettant au public d’adhérer.
Et en les transgressant sans arrêt !
Effectivement. Viva Riva est un film de genre. Les codes y sont, mais les messages sociaux plus subtils aussi. La force du genre est de faire passer des messages.
Les spectateurs congolais sont essentiellement confrontés au thriller américain. Votre démarche est-elle de construire là-dessus ?
Même si Viva Riva est un film de genre, le processus est très complexe. La construction du film est semblable au thriller mais la couleur est différente. Je suis encore en phase de montage et nous avons regardé le résultat actuel avec l’équipe. Leur réaction était de dire qu’un tel film en lingala avec de l’action et des jolies femmes va cartonner. C’est un outil comme un autre. Je n’ai pas peur des thrillers américains mais des matchs de foot et des églises, qui représentent les lavages de cerveau actuels.
Cannes, mai 2010///Article N° : 9582