« C’est parce qu’on va à l’encontre de la tradition qu’on est traité de fou »

Entretien d'Olivier Barlet avec Mohamed Camara

Cannes, mai 1997
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Manga et Sorry s’aiment et bravent l’interdit homosexuel. Leurs familles arrivent à leur imposer une séparation. Manga tente une relation avec une femme blanche, mais finit par rejoindre Sorry qui s’est marié et a un enfant. Avec Dakan (la destinée, 1997, cf critique dans Africultures 18), le Guinéen Mohamed Camara a réalisé le premier film africain prenant ouvertement l’homosexualité comme thème.

Ton film milite-t-il pour la cause homosexuelle ?
Je n’ai pas fait un film militant. Je me suis situé en tant qu’individu, créateur désirant partager des émotions et des sensibilités.
Le sujet a-t-il été un gros obstacle ?
Enorme. Après Denko sur l’inceste et Minka sur le suicide des enfants, je pensais pouvoir m’attaquer à un sujet brûlant mais les refus ont été systématiques jusqu’à ce que je rencontre René Feret qui a trouvé le projet intéressant. Avec le soutien de la 7 cinéma (Arte) et de Diaphana Distribution, il a pu monter le financement.
Il n’est pas innocent que ton film se déroule en Afrique.
Mais si : il aurait pu se dérouler n’importe où. Je suis Guinéen et Manding et le tourne donc là d’où je viens. Mais le sujet est universel : deux jeunes s’aiment malgré la pression sociale. Je ne parle pas au nom d’un pays ou d’un continent mais au mien propre.
Les comédiens ont-ils été difficiles à trouver ?
J’ai écrit le film pour moi mais le scénario prévoyait un plus jeune : je me suis donc effacé. Sinon, je ne m’occupe pas du casting et ne vérifie qu’après coup que la sensibilité passera entre nous.
Le thème du film étant en gros « on ne peut pas guérir l’amour », tu places l’homosexualité au niveau d’un véritable amour ?
C’est très ambigu et complexe mais je pense que si des gens vont ensemble, c’est parce qu’ils s’aiment, quelque soient leurs sexes.
En société africaine, on la considère en général comme une perversité ou une maladie.
Même si l’Occident s’y est quelque peu habitué, elle est rejetée partout. Je pense simplement qu’il faut accorder aux gens la liberté qui leur fait défaut. Chacun a sa façon d’aimer et c’est à respecter.
Le film débute par une scène choc où les deux hommes s’embrassent dans une voiture. Pourquoi ce choix ?
Sans doute est-ce une question de tempérament ! Il ne faut pas chercher plus loin. Je n’ai pas hésité.
On sent dans le choix de tes sujets et leur traitement un rapport très fort à la mère.
La femme est centrale dans notre culture : la mère-Afrique est berceau de l’humanité ; en langue soussou, Guinée veut dire femme… Mettre au monde est l’acte le plus prodigieux possible.
La question de la filiation revient effectivement fortement dans le film.
Oui, car c’est la quête de soi-même. La question se pose d’autant plus fort que la société éclate, comme en Occident.
Qu’est-ce qui motivait la place laissée au guérisseur ?
Parce que je suis profondément ancré dans la culture traditionnelle mais aussi parce que je veux montrer que la question « Peut-on guérir l’amour ? » est mal posée car c’est parce qu’on va à l’encontre de la tradition qu’on est traité de fou.
Pourquoi avoir tourné en français ?
Ils sont dans une capitale africaine : c’est leur langue ! Et c’est la langue de communication qui permet au film de circuler en Afrique. Cela n’handicape pas le film : l’émotion n’est pas liée à la langue mais au comportement.
L’image traduit un choix esthétique net : lumières de côté, fonds sombres…
C’est une discrétion pour les personnages afin de faire passer de façon simple et discrète un sujet délicat.
La kora de Sory Kanda Kouyaté accompagne le film…
Je voulais éviter le tam-tam pour casser cette image de l’Afrique. Une musique, tout comme les décors, est un vrai personnage : je n’écris pas sans en tenir compte, ce qui me permet de bien lier le tout.
Une femme blanche, pourquoi ?
Elle vit avec quelqu’un qui lui a tout donné et a maintenant besoin d’elle : c’est un personnage digne. Le fait qu’elle soit blanche ne fait pas la différence. En Afrique, l’étranger est roi : c’était important pour le scénario. Le Blanc n’est plus forcément le colon : les esprits peuvent évoluer.
Faire s’allier à l’écran un corps noir et un corps blanc n’est pas neutre : une affirmation de la valeur du métissage ?
Bien sûr ! Pourquoi pas ?
Quels ont été les partenaires financiers ?
Le CNC, le ministère de la Coopération, le FAS, l’Agence de la Francophonie, la 7 Cinéma (Arte) et des techniciens guinéens. Le rôle de René Feret a été déterminant.
La sélection cannoise a dû te réjouir.
Oui, la Quinzaine des Réalisateurs est une sélection importante et j’en suis fier aussi car c’est le premier film guinéen à avoir été à Cannes.

///Article N° : 1735

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