Créé en 2008 par Nezha Drissi, disparue en 2012, le Festival international de documentaire à Agadir (FIDADOC) tente de structurer une filière documentaire marocaine par le biais de la Ruche, atelier de production pour des projets en développement. Compte-rendu de la 7e édition qui se tenait du 4 au 9 mai 2015.
Situé à Agadir en terre amazigh, le Festival international de documentaire à Agadir (FIDADOC) est un rendez-vous annuel dédié au cinéma du réel au Maroc. Pour sa 7e édition qui se déroulait du 4 au 9 mai 2015, les organisateurs de ce festival présidé par la productrice marocaine Hind Saïh et dirigé par Hicham Falah – également directeur du Festival de films de femmes de Salé – ont perpétué leur désir d’accompagner la structuration d’une filière documentaire au Maroc.
Parent » en voie de développement » d’un cinéma pourtant cité en modèle par de nombreux pays d’Afrique (1) et reconnu internationalement (Nabil Ayouch sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes 2015, son frère Hicham Ayouch Etalon d’Or de Yennenga du Fespaco 2015), le documentaire marocain suscite pourtant de plus en plus d’intérêt, notamment avec la création depuis 2011 d’un créneau documentaire diffusé en prime-time sur la chaîne nationale de télévision 2M, » Des histoires et des hommes « , le dimanche soir à 21h30.
» C’est un peu un rêve fou, rapporte Reda Benjelloun, directeur des magazines d’information et du documentaire à 2M et partenaire du FIDADOC. Personnellement j’avais besoin d’un défi et cela coïncidait avec ce qu’on appelle les Printemps arabes, ce besoin de témoigner, de parler avec un « je », de réécrire une Histoire moins officielle, plus critique et de comprendre la complexité du monde qui est à nos portes chaque jour. Dès le départ, il y a eu une audience dingue : c’était inattendu. Le meilleur compliment que j’ai entendu, au lendemain de la diffusion du Thé ou l’électricité (de Jérôme le Maire, vainqueur du FIDADOC 2012, NDLR), venait de mon épicier. Il m’a dit : « J’ai vu chez moi ». Je lui ai demandé : « Ah, tu es de cette région ? » Il m’a répondu : « Non, mais c’est la même chose. C’est le Maroc qu’on ne voyait pas » « .
Depuis 2012, le FIDADOC a initié La Ruche, atelier de production documentaire entre jeunes réalisateurs et experts internationaux. A ce jour, 60 projets ont été sélectionnés et 5 ont été terminés. Cette année, 15 projets documentaires ont été retenus sur 45, provenant, pour 7 d’entre eux de Tétouan (étudiants en Master documentaire, scénographe) ; pour 4 autres de Marrakech (écoles ECAM et ESAV) ; pour 4 de l’étranger (Algérie, Allemagne, Égypte, France) ; pour 2 de Ouarzazate (Université) et un seul de Casablanca (2M Magazine). » Il y a de vraies réflexions sur qui nous sommes, notre mémoire, la réconciliation avec notre image, le réel et même, en terme de traitement, des nouvelles écritures moins formelles et classiques. J’ai même vu cette année pour la première fois, un projet d’animation« , raconte Reda Benjelloun.
Durant toute la durée du festival, 56 participants ont pris part à des rencontres professionnelles animées par Luciano Barisone (directeur du festival Visions du Réel en Suisse) et donnant lieu à des échanges et réflexions autour de la production de documentaire, la recherche de financements et le pitch (présentation courte, NDLR) des différents projets.
» C’est un peu mal organisé même si je sais que beaucoup d’efforts sont fournis pour que cela réussisse, analyse quant à lui Fouad Boutahar, participant à la Ruche 2015. Les porteurs de projet ont eu peu de temps. Nous étions 15 avec seulement 3 encadrants, ce n’était pas suffisant. Surtout pour moi qui me suis déplacé à mes frais de l’Allemagne au Maroc pour défendre mon projet Fisherman’s End sur l’accord de pêche entre le Maroc et l’Union Européenne« . Coup de chance, pourtant, Fouad Boutahar fait partie des 7 participants sélectionnés pour la résidence d’écriture 2015. Le réalisateur basé à Leipzig (Allemagne) a donc terminé le festival le sourire aux lèvres.
Chaque année, plusieurs projets retenus par les encadrants de la Ruche participent à la Résidence d’écriture au film documentaire de création de Safi (Maroc), dans la lignée des ateliers d’écriture du réseau AFRICADOC organisés au Burkina Faso, au Mali et au Tchad – mais qui ont également eu lieu au Cameroun, en Guinée Conakry, à Madagascar et en Afrique du Sud.
Ils se réunissent ensuite en décembre de chaque année à Saint-Louis (Sénégal) dans le cadre des Rencontres Tënk » en fonction de la faisabilité du projet, de l’état du développement, de l’état de motivation et de disponibilité de la personne« , nous expliquait Charline Pouret, coordinatrice de la Ruche. Cette année, pourtant, la ville de Safi est remise en cause, ayant retiré son soutien financier. La résidence d’écriture aura tout de même lieu, en septembre, dans une ville marocaine non déterminée pour le moment.
Organisé durant deux semaines en partenariat avec les associations Likaa (Maroc) et Krysalide Diffusion (France), la Résidence permet d’accompagner l’écriture de 11 projets sélectionnés grâce à deux encadrants, le réalisateur sénégalais Sellou Diallo et le réalisateur français Jean-Luc Cohen : « Nous essayons de faire passer une idée à un début de trajectoire de film, explique Jean-Luc Cohen qui travaille depuis trois ans sur cette initiative. A La Ruche, nous recevons les porteurs de projet individuellement, animons des ateliers mais restons malgré tout avec des projets fragiles : seuls les moins fragiles vont en Résidence« .
Un problème soulevé par les organisateurs de la Ruche est le manque de diversification des candidats qui postulent à la Ruche : « Les résidents viennent souvent des écoles et qui dit école, dit gens jeunes, avec pas forcément assez de vécu, de recul, de maturité, et de culture, poursuit Jean-Luc Cohen. Ils ont vu trop peu de films et confondent reportage et documentaire, ce qui ne valorise pas la matrice d’un projet documentaire dans lequel le fond est aussi important que la forme« .
Malgré la nécessité d’affiner encore le travail d’orfèvre mené par la Ruche, le projet du FIDADOC est, à terme, d’organiser un marché documentaire couvrant toute la zone MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) et l’Afrique de l’Ouest : » Il faudrait organiser des rencontres de coproduction sur le modèle de Saint-Louis qui seraient consacrés à des projets du Maghreb et des pays d’Afrique subsaharienne limitrophes, explique Hicham Falah. Aujourd’hui, pour les Américains ou les Européens, ce qui se passe au Maroc ou en Irak est à peu près la même chose. Dans la zone MENA, il y a différents pôles de création et de production qui sont principalement le Maghreb, l’Égypte, le Liban et la Palestine. L’idée serait de parvenir à proposer les projets les plus intéressants de toute cette région-là« .
Avec peu de réalisateurs marocains de documentaires visibles à l’international (Ali Essafi, Mohamed El Ahoudi, Dalila Ennadre, Izza Genini, Karima Zoubir, Hakim Belabbès), le développement de MENADOC arrive peut-être un peu trop tôt dans le processus de dynamisation du secteur documentaire marocain : » C’est peut-être une trop grosse ambition pour le moment, témoigne Reda Benjelloun. Ce serait une chose formidable non seulement pour le cinéma documentaire marocain mais aussi pour celui de toute la région. Mais je pense que c’est prématuré. Pour parvenir à ramener ici des chaînes et des producteurs privés qui reviendront parce qu’ils trouvent de très bons projets, nous devons faire nos preuves à l’international. Il faut que dans les grands rendez-vous du documentaire internationaux, on repère une production marocaine, tunisienne ou sénégalaise et que l’on se dise : « Waouh, ça bouge chez eux, il y a peut-être quelque chose à faire avec ces gens-là »…« .
Alors, en attendant la renommée internationale de cinéastes marocains et de la sous-région, Hicham Falah demeure optimiste : » Quand ce que nous essayons de faire à Agadir pour le Maghreb et ce qui est en train de se faire avec Docudays et Screen Institute de Beyrouth au Liban – qui intègre des projets de tout le Proche-Orient – seront mûrs, nous ferons du FIDADOC un lieu professionnel de vente, d’achat et de présentation de films documentaires commun à toute la région pour le grand marché international » . De quoi peut-être convaincre le Centre cinématographique du Maroc (CCM) de soutenir le premier festival de documentaires du pays puisque pour la première fois cette année, le directeur général Sarim Fassi-Fihri a fait le déplacement à Agadir.
Claire Diao, à Agadir
Les projets de la Ruche sélectionnés pour la Résidence d’écriture 2015 sont :
Dar Bricha d’Aziz OUMOUSSA et Houssaine DAHROUCH (Tétouan
Kamelia de Celia BCHIR (Marrakech)
Ainsi soit tombés d’Adnane BARAKA (Marrakech)
Mon ami Jillali de Samah AIDOUNI (Tétouan)
Cendrillon
d’Ilham LAHMIDI et Rim HITMI (Tétouan)
Fisherman’s End de Fouad BOUTAHAR (Allemagne)
Mineurs de Ouahib MORTADA (France)///Article N° : 13000