Disco Afrika, une histoire malgache, de Luck Razanajaona

De la musique pour dire l’Afrique

Print Friendly, PDF & Email

Après la Berlinale 2024 et sa sélection au Fespaco 2025, section Perspectives, le film est visible gratuitement sur tv5mondeplus. Il est à l’intersection entre documentaire et fiction, revisite le passé politique de Madagascar à travers la quête d’un jeune de 20 ans qui tente d’élucider l’assassinat de son père, musicien et révolutionnaire.

Il rêve de s’en sortir. De la précarité d’abord. De l’étouffement ensuite. De s’envoler « bien loin de ces miasmes morbides ». Aspirations légitimes. Pourtant, d’emblée, le réalisateur semble noyer les rêves du jeune Kwame. Campé dans un espace clos, sans échappatoire : l’insularité. Ici il n’y a plus rien à espérer. Tout s’anéantit, se brise sous le poids inexorable, de la corruption. Le film puise dans le réel. Avant ses études de cinéma, le réalisateur travaillait comme assistant social dans les prisons malgaches. Il se rend alors compte du « désarroi de la jeunesse malgache. » qui sombre dans un pays où « tout le système social, l’éducation, l’électricité, l’hôpital, etc., est privé ». De la sorte, le futur réalisateur pose les prémices du scénario.

Disko Afrika s’inscrit dès les premières scènes dans le sillage du cinéma néoréaliste. Il s’agit dès lors de peindre la réalité quotidienne de Tamatave, première ville portuaire de Madagascar – ce pays qui voit impuissamment sa jeunesse se rouler dans la fange dans les mines clandestines à la recherche de la pierre précieuse (ici un saphir) pour survivre, pierre qui finira par arriver dans les mains de grandes marques de joaillerie et d’horlogerie sans que ce pays en profite. Le film évoque aussi le pillage de sa forêt dénoncé fort longtemps par l’écologiste sénégalais Ali El Haîdar[1]. Le phénomène se généralise dans le continent. Quand cesseront ces pratiques ? C’est autour de cette interrogation que Luck Razanajaona tisse un récit fédérateur et continental en suivant son personnage prénommé Kwame, comme Kwame Nkrumah, figure incontournable du mouvement panafricain.

Il multiplie les références avec différentes musiques, notamment l’afrobeat– mélange de sonorités jazz, yoruba et funk du nigérian Fela Kuti, « une musique à danser et un vecteur de contestation, voire de résistance à l’oppression du peuple, à l’injustice sociale, à l’inégalité des rapports de force, à la trahison des valeurs africaines au profit des anciennes puissances coloniales »[2]. Luck Razanajaona en appelle à l’implication de la jeunesse africaine dans les affaires de la cité, à l’image du personnage de Kwame dont la trajectoire est rendue avec finesse. Attiré d’abord par le gain facile, il s’en détourne et envisage une révolution, en ayant comme repère les âmes courageuses qui ont donné leur sang.  « C’est à la jeunesse de prendre son destin en main. Il faut s’engager. Voter et exercer ses droits pour améliorer leur pays », déclare l’ancien étudiant de l’Ecole Supérieure des Arts Visuels de Marrakech (ESAV).

© We Film

Film-constat, Disko Afrika traite de la situation économique, politique et sociale de Madagascar. Seul un réveil de conscience peut imposer le changement. « Pour changer les choses, il faut prendre des risques », entend-on dans le film. Le réalisateur se donne pour mission de loger cette conscience dans la tête de la jeunesse malgache, et partant africaine. L’ambition militante du film ne phagocyte cependant pas la dimension créative. Le film bascule tranquillement par moment dans le fantastique avec l’apparition d’un fantôme inspiré de la mythologie malgache. La protection des ancêtres est un moyen habile pour le réalisateur de souligner le lien de l’Homme à la terre, qui l’accueille et le protège quand on l’enterre, et donc d’opérer le lien avec le père

Les clairs-obscurs des éclairages à la bougie répondent à l’intimité des scènes de nuit, dégageant une impressionnante poésie. Le spectateur appréciera l’émouvante séquence où Kwame, assis autour d’une table avec sa mère et Babaa, compagnon de son père, entend le récit de son assassinat lorsque son groupe d’opposants fut fusillé et jeté dans une fosse commune. Cela ne va pas sans musique : elle est l’âme du film. Les chansons véhiculent les idées et renforcent le récit politique tandis que les mélodies dynamisent la narration. Elle réinjecte constamment une lueur d’espoir dans le chaos où se meut le jeune Kwame, remarquablement incarné par Parista Sambo, un acteur non-professionnel dont le naturel renforce l’intensité émotionnelle du récit. C’est cette association entre la quête du père et la découverte de son disque enregistré avec son groupe The Tout Puissant African Voice qui articule tout le film, et conduit à une fin, que nous ne révèlerons pas mais qui offre elle aussi une forte dose d’émotion : Thione Ballago Seck, de l’Orchestra Baobab, un icône de la musique sénégalaise, ajoute la beauté de sa voix au récit poignant de Kwame.

[1] Sur l’antenne de la BBC : « Le trafic est devenu inquiétant dans les années 2010 quand les Chinois s’y sont intéressés. Ils ont pillé tout le bois de rose de Madagascar et d’autres pays. Ils sont maintenant en Afrique de l’Ouest et pillent littéralement nos forêts. »

[2] Comme l’indique François Bensignor sur « Les origines de l’afrobeat », in Hommes et migrations, n°352


Laisser un commentaire