» La corruption en Afrique noire offre des visages d’énormité burlesque qui, d’abord, glacent le cur et l’esprit.(
) Au-delà du folklore, cette lèpre qui ronge les sociétés africaines leur interdit tout effort sérieux de construction. «
Mongo Beti, Dictionnaire de la Négritude, L’Harmattan, 1989
« Je suis né dans un contexte où il était peu concevable qu’un écrivain ne soit pas militant » déclarait Mongo Beti dans nos colonnes. (1) Il n’est pas neutre de le convoquer pour introduire ce dossier, lui qui n’a jamais désarmé dans sa dénonciation de ce fléau et en appelait à « la résistance civique non-violente ». (2) Chaque année depuis sa mort, la lutte est âpre entre le Cameroun et son voisin le Nigeria pour la première place au palmarès des pays les plus corrompus établi par Transparency International !
Dans ce contexte singulier, on ne s’étonnera pas du ton exceptionnellement critique de ce dossier, le soixantième de notre revue !
Dans un pays où même l’eau potable, pourtant si abondante, manque à la majorité de la population, l’accès à la culture apparaît à la plupart comme un luxe inouï.
L’État a depuis longtemps démissionné dans ce domaine. Seuls 0,15 % de son budget sont attribués à un ministère de la Culture devenu le Palais de la Belle au bois dormant. En six ans, son prestigieux titulaire, l’écrivain Ferdinand Léopold Oyono, n’y a pas réveillé grand monde, ce que n’annonçait pourtant pas la subversion de ses écrits (Une vie de boy, Le vieux nègre et la médaille).
Refusant d’appartenir à une intelligentsia clientélisée et stérile, les vrais créateurs n’ont guère d’autre choix que l’exil. L’absence d’infrastructures élémentaires (notamment de vraies salles de spectacle) rend même précaire l’organisation des quelques rares festivals où se concentre la vie culturelle. Une vie qui se serait éteinte sans doute sans le soutien devenu incontournable des ONG et des centres culturels étrangers.
Les initiatives privées ne manquent pourtant pas, mais elles ont du mal à s’inscrire dans la durée, par manque de moyens mais aussi de professionnalisme et d’esprit collectif. En témoigne notamment la tentative avortée de régler une fois pour toutes la question cruciale des droits d’auteur, devenue l’enjeu de combines, de polémiques et de rivalités personnelles. Dans les médias camerounais, il n’est souvent plus question de culture que dans la rubrique des scandales financiers !
Et pourtant, qu’elle est belle, cette » Belle au bois dormant » !
Le Cameroun est probablement le pays d’Afrique où le patrimoine culturel traditionnel, pré-colonial, est encore le plus vivace, source inépuisable de » récupération inspirée « .
Et dans tous les domaines, des arts multimédias au rap, de la danse à la sculpture, du roman au théâtre, le renouvellement des formes et des styles laisse entrevoir un formidable potentiel, même s’il s’exprime surtout hors des frontières.
Il fallait que s’exprime enfin la colère impatiente des vrais acteurs de la scène culturelle camerounaise. Ce dossier ne se contente donc pas de les encenser ou de les recenser. A la veille d’une échéance électorale majeure, il pourrait être l’ébauche d’un » cahier de doléances » pour de futurs États généraux de la culture camerounaise.
Car il ne faudrait rien moins qu’une révolution des institutions et des mentalités pour réveiller enfin la Belle.
1. Entretien de Boniface Mongo-Mboussa avec Mongo Beti, Africultures 16, mars 1999.
2. Entretien de Patrice Nganang avec Mongo Beti, Africultures 14, mai 1999.///Article N° : 3552