entretiens d’Olivier Barlet avec Drissa Touré au Fespaco 1997 et à Namur 1999

Namur, octobre 1999
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Fespaco 1997

Avec Haramuya, tu modifies radicalement ton approche cinématographique.

La vie moderne est active et dynamique. Je propose des images qui provoquent une réaction dans la tête des gens soumis à cette course quotidienne. Faut-il la montrer ou pas ? Je n’en suis pas juge.

Le film est ancré dans une mosaïque du réel, un peu à la façon de « Short Cuts » de Robert Altman…

Je ne l’ai pas vu. J’ai voulu ce style. Pas une écriture linéaire, pas d’intrigue, pas de dénouement. Simplement prendre un groupe de gens qui sont ensemble. Ça m’intéresse de voir comment les gens réagissent au film.

Le montage est assez dense.

Dès l’écriture, je voulais ça. Kahena Attia a évité que cela ne soit qu’un cafouillage. Je lui ai dis que je voulais une structure en rond : faire le cercle mais que ce cercle s’emboîte et que ça passe. Quand dans la tête du spectateur, il y ait un film imaginaire mais qu’il ne se perde pas totalement. Elle a pris un bic, une feuille, a fait le cercle et a dit : « je vais te proposer quelque chose ». Voilà comment ça s’est passé.

Le lieu du terminus est central : c’est là qu’émerge quelque chose de nouveau. Cela se perd un peu sur la fin, non ?

Les difficultés de tournage se ressentent sur ce travail. Le spectateur ne peut pas le comprendre. C’est la dure réalité de la production. Mon souhait serait d’avoir un producteur pour que je me concentre sur la réalisation. On est au four et au moulin sans arrêt. C’est épuisant.

Le passage à la piscine de l’hôtel Indépendance semble être la seule fois où on sort du monde marginal.

C’est un lieu public de la ville ! Si un gars de la marge rentre, il nage ! Comme au barrage.

Et la fin, c’est une ouverture sur la situation en Yougoslavie ?

Le vieux intègre dit aux jeunes d’arrêter de danser car il veut prier. Ceux-ci l’envoient balader mais le respectent aussi : quand il insiste, ils cessent. Ils mettent la télé pour se distraire : les voilà encore confrontés à la violence. Il n’y a pas de fin car il n’y a pas de solution !

Tu insères un coucher de soleil un peu chromo…

Je suis très optimiste : la vie continue, un soleil nouveau…

As-tu voulu t’attaquer au développement de l’intégrisme ?

Je ne m’attaque à rien, je montre les choses. Ce musulman a le droit d’être ce qu’il est. Je le montre dans un contexte moderne, lui qui est africain d’origine animiste : sa base est sapée. Il est devenu musulman, dans une ville nouvelle : deux acculturations. J’ai fait l’école coranique et suis allé mendier après le cours. Dans le film, ils amènent de la drogue qu’ils croient être de l’herbe. J’ai voulu montrer ce que ça peut donner !

Ils ne sont pas un peu ridiculisés ?

On rigole mais ils ne sont pas portés en ridicule. C’est grave ce qui leur arrive. Tout lui tombe dessus et personne ne peut lui expliquer que ce n’est pas de sa faute mais celle du système. C’est montrer la gravité, comme les marginaux qui dorment dans la rue ou fument de la drogue. Pour qu’on prenne conscience de la réalité et qu’on n’y soit pas indifférent.

En fait, tu as un regard empathique pour tous tes personnages.

J’adore la vie, les gens. Je suis de la marge. Les marginaux ont la joie de vivre, malgré leurs contraintes. Il y a de l’optimisme en eux. La vie est quand même belle, même si elle est dure.

La thématique et la structure en flashs rendent Haramuya très nouveau. Emergent du cinéma burkinabé, qu’est-ce qui te pousse à faire un cinéma aussi différent ?

Je n’ai pas fait d’école de cinéma : pas de moule. J’ai quitté mon Bobo natal et suis venu à Ouaga pour trouver du boulot. J’étais à la rue, dans les bars… J’ai fait des petits boulots, chauffeur… Ça vient de là, de la rue. Quand on aime quelque chose, on arrive. J’ai fait trois courts métrages en étant chauffeur. Avec le Fespaco, je discutais avec les cinéastes, demandait comment faire. Ils sont très accueillants. Ils m’ont dit que c’était possible. Après, j’ai écris Laada est suis parti en France. Arrivé à Paris sans connaître personne, j’ai eu ma part de galère. C’est la vie qui me forme. Le cinéma ne fait pas vivre. J’ai fait de la manutention pour payer mon loyer. Je fais mon boulot de chauffeur. Deux fois par mois, je vais chercher la remorque chargée et la dépose à Marseille ! Je gagne ma vie et continue d’écrire mes scénarios : je raconte la vie de mon milieu.

On sent un net changement d’écriture de Laada à Haramuya.

C’était l’expérience de Laada au Fespaco et à Un certain regard à Cannes : j’ai côtoyé des grands du cinéma. J’ai fait beaucoup de festivals et était à l’écoute. C’est tout ça qui m’a engagé à repenser l’image.

Quel était ton rapport avec François Kuhnel ?

On s’était rencontrés par hasard. Je suis mon feeling et ça a été porteur. Je ne dirige pas tout. Mon apport est une contribution. J’avais une idée de plan, il proposait un traveling pour augmenter l’intensité. C’était vraiment du travail d’équipe.

Le scénario a-t-il beaucoup évolué ?

Les financeurs aimaient le scénario mais le trouvaient trop décousu : « on va te payer un scénariste ». J’ai refusé une écriture linéaire. C’est ATRIA qui m’a proposé Françoise Balogun. J’avais refusé tous les autres. Elle ne s’est pas présentée comme scénariste mais a insisté sur les passages non-aboutis. Je les ai retravaillés. Une série de va-et-vient. Avec elle, j’ai pu sortir de la structure complexe que je voulais. J’ai encore eu d’autres consultants. A un moment donné, le film passe avant tout, on n’existe plus, je ne suis plus le garant moral…

Pourquoi voulais-tu aborder de front le problème de la corruption libanaise ?

Je ne l’ai pas abordée de front : a fait partie de la ville, de l’économie. C’est très complexe. Le commerçant connaît le système, il est moderne, il peu en profiter. Ce n’est qu’une sonnette d’alarme : attention ! Ne pas copier mécaniquement l’Europe ni revenir à une tradition ancienne !

As-tu pu montrer Haramuya en Afrique ?

Nos films sont plus vus en Europe mais mon pari a été de le montrer en Afrique. Il a été possible de monter une tournée africaine dans cinq pays mais c’était dans les centres culturels français ! C’est dommage que ce soit si difficile car le public te forme tout le temps !

Tu as maintenant des projets aux Etats-Unis…

Le producteur a vu Haramuya et m’a demandé si je voulais faire un film aux Etats-Unis. Les Afro-américains ont un problème de perte d’identité : il aurait voulu un regard d’Africain sur ce phénomène dans une cité américain. J’y ai passé sept mois à observer. Mon premier choc a été ce gouffre entre eux et nous, avec même un certain rejet de la part des autres Noirs dans la rue. Mais voyant à quel point la communauté afro-américaine vit dans la pauvreté, j’ai dit à mon producteur que c’était l’aspect social qui m’intéressait : montrer que le rêve américain est un bluff et que l’Afrique peut apporter son message d’humanité. Nous n’avons rien à envier à une société qui robotise tout !

C’est inverser le rapport habituel !

On va me détester si je le fais avec prétention ! C’est tout la difficulté du projet et cela ne peut être réussi qu’en se plaçant dans une compréhension universelle. J’ai donc axé mon scénario sur la confrontation entre un Américain blanc et un Afro-américain. C’est un constat : on construit plus de prisons que d’écoles aux Etats-Unis ! Un Noir américain finit par devenir inquiétant quand il n’a jamais été en prison ! Je le traite par la fiction, en abordant ce milieu différent en fonction de mes valeurs culturelles.

Namur, octobre 1999

Quel est le sujet de ton film à New York ?

Un Afro-américain est à la recherche de son identité. Il rêve de l’Afrique et se retrouve dans un rituel africain mais s’exprime en anglais… Il rencontre un Américain d’origine russe qui a du mal avec la dérive capitaliste de ses parents. Tous deux vont essayer de s’en sortir.

Il ne s’agit pas de donner de leçon de morale aux Américains mais de partager ce que j’ai découvert. En arrivant là-bas, les Noirs m’ont affirmé qu’ils n’étaient pas Africains mais Américains !

Le film est-il construit par petites touches comme Haramuya ?

Oui. Le film va montrer à quel point cette société est métissée. L’Américain n’existe pas. Tout le monde est italo-américain, afro-américain etc.

Que dirais-tu à un jeune qui veut faire du cinéma ?

Il faut y croire et ne pas s’attacher au coût d’un film. Il faut s’écouter soi-même : son envie de partager quelque chose de soi. L’argent suivra si on y croit et si on a de l’audace, sans jamais lâcher.

propos recueillis par Olivier Barlet

 

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