Omar Frantz Fanon né le 25 juillet à Fort de France en Martinique et mort prématurément le 6 décembre 1961 en terre algérienne n’aura pas connu l’Algérie indépendante, pour laquelle il s’est battu et choisit d’y mourir.
Mobilisé pour rallier les Forces Françaises, il découvre Bejaia pour la première fois en 1944, puis blessé de guerre, fut ramené en Martinique, son île natale qu’il ne tarda pas à quitter pour aller à Lyon poursuivre des études de médecine. C’est là qu’il découvre les figures multiples du racisme ambiant. En 1953 Fanon avait 28 ans, il était en pleine force de l’âge. Fraîchement sorti de la faculté de Lyon, son Doctorat de psychiatrie en poche, il rêve de déployer ses éclats de jeune médecin en servant la cause du tiers-monde. Il saisit l’opportunité d’une première affectation en Algérie, précisément dans l’unité psychiatrique de Blida, ex-Joinville.
À peine prenait-il ses fonctions qu’il s’attela à l’observation minutieuse du comportement de ses malades dont il tentait, avec une attention particulière, de saisir les contours symptomatologiques de l’affection mentale. À l’analyse sémiologique, il introduisit à la faveur d’un travail par lui initié, la dimension socioculturelle dans l’évaluation thérapeutique de ses patients et les entretiens qu’il effectuait avec eux. Les premiers résultats sont perceptibles : il en conclut que la structure sociale et politique dans le contexte colonial algérien a accéléré le phénomène de dépersonnalisation par l’éloignement de l’individu de son milieu d’origine.
Tout l’intérêt de son activité médicale va être orienté vers cette nécessité d’une interaction méthodologique de la dimension psychologique et anthropologique ; privilégiant ainsi les déterminations sociales et religieuses dans l’économie de la santé mentale. Clairvoyant et audacieux, il expérimente cette piste évaluative sur un terrain miné par la conjonction de doctrines discriminatoires existantes et d’attitudes racistes de ses collègues qui recyclaient l’idée du primitivisme et des mentalités arriérées liés à l’indigène algérien. Le doute méthodique employé par cet habile praticien comme instrument de mise en cause de ces méthodes est mis au service d’une prophylaxie destinée à limiter les effets aliénants de certains troubles mentaux.
Mais cette démarche est malvenue. Elle est même sentie comme un acte de sédition, un affront qui répugnait vertement à la junte médicale, de la part d’un jeune médecin noir, qui plus est.
Mais comment échapper à l’étreinte du corset professionnel qui l’enserrait et le tenait de plus en plus à l’étroit ? Il prend la grave décision de démissionner de son poste pour aller rejoindre en 1956 les rangs des combattants algériens en Tunisie. Il sacrifie ainsi l’aisance matérielle où il vivait et le confort de sa situation professionnelle, à la poursuite d’un idéal révolutionnaire incertain, dont les chemins pour y parvenir sont semés d’embûches. Il délaisse son quartier européen, aux jardins fleuris entourant les villas coquettes aux façades impeccablement alignées, préférant les bourgades des médinas, aux chemins durs et raboteux, pour rejoindre par monts escarpés le maquis de ses frères et apporter son soutien avec une ardeur implacable à la cause algérienne.
À Tunis, il prend la direction d’El Moudjahid, unique organe de presse de l’ALN, dont les écrits en faveur de l’indépendance enflammaient toute une jeunesse prête à mourir pour l’indépendance. Travailleur infatigable, Fanon redouble d’activité au sein de l’organisation clandestine. Il fit connaissance avec ses plus grands leaders et sera chargé d’étendre la flamme révolutionnaire partout en Afrique, dont il sera un des meilleurs propagandistes de la cause indépendantiste. En 1958 il est délégué à Accra, l’ancienne Gold Coast britannique par le FLN, pour représenter son pays l’Algérie, en plein combat. C’est pour lui l’occasion de rencontrer d’autres personnalités non moins emblématiques pour ne citer que Kwame Nkrumah, du Ghana indépendant, le Camerounais Félix Moumié, assassiné par les services français, Patrice Lumumba, assassiné par la sûreté belge, ainsi que d’autres leaders noirs américains comme le panafricaniste Marcus Garvey ou le grand sociologue et activiste W.E.B du Bois.
Parallèlement à cette intense activité de médecin et de militant,Fanon continue à réfléchir aux formes de violence historiques introduites par le colon afin d’assujettir l’indigène et perpétuer sa domination en le terrorisant. Ainsi pour échapper à l’exercice programmé de la coercition, est-il nécessaire d’opposer au colon la violence qu’il a lui-même engendrée, avec ses formes de terreur érigées en principe d’autorité. Fanon se convainc donc de l’inutilité de dialoguer avec ce dernier, en vue d’un projet de libération et de décolonisation en perspective. Tel est le rapport consubstantiel à toute nature dominatrice, celle du colonisateur en particulier qui contraint l’indigène à passer sous les fourches caudines de son système despotique.
Qu’il s’agisse de : « Libération nationale, renaissance nationale, restitution de la nation au peuple
quelles que soient les rubriques utilisées ou les formules nouvelles introduites, la décolonisation est toujours un phénomène violent », dira-t-il dans Les Damnés de la terre. (1)
La décolonisation n’est donc pas une mystification, ni un phénomène magique ; il s’agit bien d’un processus inéluctable dans l’acte décisif de remplacement inévitable du colonisateur par le colonisé ; c’est l’étape nécessaire à l’app
1. Éditions Maspéro, 1961, p. 68///Article N° : 10552