Débats-forum Fespaco 2025 / 3 : Omar Boulakirba parle de « Chroniques fidèles… » d’Abdenour Zahzah

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Le film du réalisateur algérien Abdenour Zahzah qui porte le long titre Chroniques fidèles survenues au siècle dernier à l’hôpital psychiatrique Blida-Joinville, au temps où le Docteur Frantz Fanon était chef de la cinquième division entre 1953 et 1956 était en compétition à la 29ème édition du Fespaco où il a obtenu le prix du Jury de la Semaine de la critique après avoir été sélectionné à la Berlinale 2024 et aux JCC. Le réalisateur étant absorbé par la sortie du film dans toute la Tunisie, c’est son acteur Omar Boulakirba (qui interprète le rôle de l’infirmier Charef) qui l’a représenté au Fespaco, pour un débat-forum animé par Madina Diallo et Olivier Barlet.

Olivier Barlet : Omar Boulakirba, le film est en noir et blanc et porte un titre très long. Pourquoi ces choix ?

Omar Boulakirba : Pour le titre, c’est venu comme ça. Le réalisateur a voulu donner un titre qui décrive avec minutie son contenu. Quant au noir-et-blanc, c’est pour respecter le fait qu’on ne connaît pas Fanon en couleurs : ses photos et vidéos sont en noir et blanc. Nous avons tourné dans les lieux où a réellement évolué Fanon : son hôpital, sa maison. Nous avons voulu rester dans cette atmosphère.

J’imagine que les lieux ont évolué depuis les années 50. Vouliez-vous les ramener à cette époque ou bien les prendre tels qu’ils sont aujourd’hui ?

Non, les lieux n’ont pas changé. L’hôpital s’appelle maintenant Frantz Fanon mais c’est le même décor. On a restauré quelques trucs, mais ce ne fut pas trop de travail.

Madina Diallo : Et pourquoi faire un film sur Fanon ?

Parce que Fanon est un symbole de la résistance, de l’antiracisme. Il est mort à 36 ans, mais il a laissé des choses bien plus grandes que son âge. Sans être algérien, il a soutenu la résistance algérienne et a souhaité devenir algérien et être enterré en Algérie.

Madeleine Sergooris : En fait, est-ce un documentaire ou une fiction ?

Le film est entièrement joué par des acteurs, même les malades. A ce niveau, c’est une fiction. Par contre, la presque totalité des scènes documentent des faits réels. Ne sont fiction que Juliette/Yamina, la femme adoptée que Fanon accueille chez lui, et puis la scène du commissaire Sarazin qui vient consulter Fanon. Sinon, tout est réel, « chronique fidèle ». Quant aux dernières images du film, ce sont des documents d’époque, qui évoquent ce qu’on voit dans le film.

Question de la salle : Qu’est-ce qui vous permet de dire que le film documente des faits réels ?

Abdenour Zahzah a réalisé en 2002 avec Bachir Ridouh un 52 minutes, une biographie de Fanon à partir d’archives : Frantz Fanon : Mémoire d’asile. Fanon a proprement changé l’hôpital, si bien que les patients y pratiquaient l’élevage, la couture, un journal, le foot, etc.

Sur quels types de documents vous êtes-vous basés ?

Pour son film de 2002 et depuis, Abdenour Zahzah n’a jamais arrêté de chercher des archives, tous types de documents. Il a même recueilli les témoignages de gens qui ont travaillé avec Fanon à l’hôpital. Un gros travail d’enquête. Il a pris soin de ne rien inventer, de restaurer les détails. D’où le titre : des chroniques fidèles.

Simia Haruna : Comment s’est déroulé le casting, notamment pour trouver l’acteur principal ?

Pour dire la vérité, ce fut difficile : peu de gens ressemblaient à Fanon ! Il est né en Martinique et Alexandre Desane en Haïti, donc aussi une origine caribéenne. Et c’est un passionné de Fanon !

Olivier Barlet : On l’a dit, en voyant le film, la question du réel ne cesse de se poser. Il y a une distance constante. Le personnage de Fanon est très froid. Vous-même, dans le rôle de Charef, son infirmier-chef, vous ne l’acceptez pas au départ, et n’allez que peu à peu comprendre la démarche. Le noir et blanc contribue également à cette distance. Comment l’avez-vous vécu en tant qu’acteur et comment l’avez-vous travaillé avec Abdenour Zahzah ?

Nous avons tourné dans un vrai hôpital où il y avait des patients, des médecins, des infirmiers, etc. Il était délicat de les croiser tous les jours. D’ailleurs, cet hôpital est sur deux étages. Si on voulait tourner au premier, il fallait faire descendre les patients. Ce n’était pas facile. Charef a vraiment existé. Cette distance est peut-être à chercher dans l’identité algérienne. Fanon, lui, est souvent seul : il était nouveau, il ne connaissait personne, pas plus que le fonctionnement de l’hôpital. Et au départ, il était perçu du côté français.

Madeleine Sergooris : Ce que je trouve assez pertinent dans l’interprétation, c’est le silence. J’ai beaucoup apprécié le silence dans ce film, ce qui est rare aujourd’hui. Cela permet de s’interroger, d’avoir son propre monologue intérieur.

En tant qu’acteur, je pense que le silence parle mieux que les mots. Et au cinéma, c’est l’image qui parle, plus que le dialogue.

Ce silence était-il lié au personnage de Fanon ou au réalisateur ?

Abdenour Zahzah s’est véritablement imprégné de la personnalité de Fanon. Il était comme ça. D’ailleurs, Zahzah pouvait en parler avec Olivier, le fils de Fanon, qui a joué dans le film le rôle de l’avocat martiniquais Marcel Manville, ami d’enfance de Fanon qui s’est également engagé pour l’indépendance de l’Algérie. Dans le film, c’est lui qui remet un passeport et un billet à Fanon et lui dit de partir avec le minimum de bagages pour l’Italie où le FLN lui donnera d’autres instructions.

Olivier Barlet : Effectivement, Fanon devait élaborer sa méthode. On sent sa tension. Comment Abdenour Zahzah vous a-t-il dirigés ?

En tant qu’acteur, j’ai l’habitude de travailler sur les personnages. Il m’a indiqué les caractéristiques du personnage. Charef était un type sérieux, responsable. En tant que chef algérien dans l’hôpital, il ne rigolait pas. Le réalisateur nous a laissé libres de sentir nos rôles. Par contre, Alexandre qui n’est pas algérien devait faire l’apprentissage de la mentalité algérienne en 1950. Ce n’était pas facile pour lui. Il a travaillé dur et ej trouve qu’il y est très bien arrivé.

Avez-vous fait beaucoup de répétitions ?

Non, il n’y avait pas trop de répétitions. Abdenour écoutait nos propositions, et les acceptait. C’était une équipe vraiment soudée. Le tournage a duré un mois. On ne pouvait pas déranger l’hôpital plus longtemps.

Question de la salle : Frantz Fanon est-il connu en Algérie aujourd’hui ?

Oui, bien sûr. Il y a des rues qui portent son nom, des hôpitaux, des écoles. Et une statue où il a vécu. Après sa mort, sa femme Josie est restée en Algérie, elle y est morte. Son fils a un passeport algérien. Fanon, il a le statut d’un martyr, d’un combattant algérien. Pour nous, Fanon, c’est un Algérien. Il est mort aux Etats-Unis où il était soigné, mais il avait demandé à être enterré en Algérie.

Question de la salle : Comment le film a-t-il été reçu en Algérie ?

La sortie en Algérie, c’était chaud ! Il a été présenté en octobre 2024 en avant première à la salle Ibn Zeydoun à Alger et il a gagné le prix du jury au festival d’Annaba. Il a été distribué dans les salles de cinéma. Il a également sélectionné à la Berlinale et à reçu des prix aux festivals du Caire, de Louxor et de Barcelone. Il tourne en salles dans toute la Tunisie.

Souley Moutari, journaliste et critique nigérien : Le film sera-t-il montré aussi en Martinique ?

Oui, il est déjà passé en Martinique en festival mais la sortie française n’est pas encore prévue. Le film voyage bien, un peu partout.

Et quel a été le budget du film vu qu’il lui a fallu une longue préparation ?

Il est clair qu’aller dans les détails demande un budget. En tant qu’acteur, je ne connais pas les montants mais il a été aidé par les ministères de la Culture et de la Santé algériens, ainsi que l’Institut français.

Olivier Barlet : Il y a des rôles qui vous marquent, et d’autres moins. Parfois, ce sont des rôles qui vous changent, qui vous font grandir, qui vous aident à approfondir des choses dans la vie… Est-ce que ça a été le cas ?

Oui, bien sûr. Interpréter un rôle, c’est sentir le personnage, ce qu’a écrit le scénariste. C’est un travail : répéter, refaire, demander, poser des questions au scénariste ou au réalisateur. Ce n’est pas facile. Moi, j’aime le défi. J’aime jouer des rôles nouveaux.

Dans Aliénations, un documentaire de Malek Bensmaïl de 2004, l’hôpital psychiatrique était un miroir de l’état de l’Algérie. Etait-ce le même projet ?

Le film de Zahzah est comme une réminiscence, un passé qui est encore dans le présent, issu d’un gros travail de documentation de la part d’un passionné.

Fanon est né en 1925, il y a 100 ans.

Oui, le film est clairement un hommage à Frantz Fanon.


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