Hector Sonon (né le 23 octobre 1970) peut être considéré comme l’un des chefs de file du milieu des bédéistes béninois et l’un des rares dessinateurs du continent à pouvoir vivre de son travail. Présent sur la scène nationale depuis plus de 20 ans, ce touche à tout du dessin compte à son actif un nombre important de titres pour la jeunesse, d’albums collectifs de bande dessinée et de dessins satiriques.
À vos débuts il y a vingt ans, le milieu artistique et éditorial n’était pas très propice à l’éclosion des dessinateurs. Comment avez-vous débuté dans la profession ?
En 1987, j’étais dessinateur de presse sous le règne de Mathieu Kérékou. Il y avait peu de liberté d’expression, les journaux étaient censurés, les journalistes arrêtés. Les pressions étaient intenses et pouvaient aller jusqu’à la bastonnade. Mon journal était La gazette du golfe, premier journal indépendant et privé. Aujourd’hui, il existe encore mais il est devenu quotidien, toujours sous la houlette de son créateur, Ismaël Soumanou, qui a également fondé une télévision et une radio. Puis, j’ai travaillé pour Ehuzu, qui signifie le changement, un organe pro gouvernemental.
Vous êtes donc rentré très jeune dans le milieu.
Oui, j’étais encore au collège, donc je travaillais uniquement le soir au moment du bouclage. On me laissait un vide, je dessinais et on utilisait du copier-coller. Cela jusqu’en 1989. Je faisais de la caricature, mais aussi de la bande dessinée et des illustrations pour la jeunesse. Puis, j’ai travaillé de 1989 à 1992 au Canard du golfe, le premier journal satirique du pays. En 1993, je suis parti à Lomé où j’ai travaillé pour Kpakpa désenchanté, un hebdomadaire satirique. Je suis revenu en 1995 au Bénin car la situation était très dangereuse au Togo. Tout ça peut apparaître comme un parcours un peu erratique, mais c’est la profession qui veut ça. J’étais allé travailler au Togo, car là-bas, à l’époque – depuis ça a changé – il n’y avait qu’un seul dessinateur de presse : Olivier Agloh, un super caricaturiste, très doué, très talentueux, mais tout seul ! Par la suite, j’ai repris au Canard du golfe dans mon pays où j’ai travaillé entre 95 et 99.
Est-ce à cette même époque que vous avez commencé la BD ?
En parallèle, j’avais effectivement commencé la BD et l’illustration jeunesse. Dès 1990, j’ai publié mon premier album, Zinsou et Sagbo que j’avais auto-édité. Je l’ai tiré à 300 exemplaires, vendu à 300 FCFA et suis rentré dans mes fonds au bout d’un an et demi. Cette histoire était un peu la mienne, puisqu’elle parlait de deux jumeaux, ce qui est mon cas. En 1999, j’ai illustré l’album de jeunesse, Mais qu’est ce qu’il a dodo ? pour les Nouvelles Éditions Ivoiriennes, sur un texte de Georges Bada. En 2000, avec Florent Couao-Zotti, on a commencé à publier notre série sur l’esclavage, Les couleurs de la mémoire dans la revue Interfaces. Mais, mon péché mignon reste la caricature.
Pourquoi cet attachement à la caricature ?
Les caricaturistes ont joué un rôle important dans la transition démocratique. On a été très présent à chaque étape importante de la vie politique de ces années-là : le départ de Kérékou en 1991, le gouvernement de Soglo, puis le retour de Kérékou
J’avais le sentiment que mon dessin avait une influence, il apparaissait à la une des journaux et ceux-ci s’arrachaient. C’était très gratifiant. La liberté de la presse est née avec la caricature. Tout cela fait réfléchir sur l’influence et le poids que l’on peut avoir dans l’opinion publique. Pourtant, on ne nous a pas laissé faire.
Avez-vous subi des pressions ?
Oui, on peut appeler ça comme ça ! Par exemple, on devait passer tous les jours devant un comité de censure. On leur envoyait nos maquettes, et souvent, plus de la moitié des textes était censurée. Il y avait plusieurs navettes entre eux et nous et ces allers-retours étaient très contraignants. Mes dessins aussi passaient à la paire de ciseaux ! Il n’y avait pas d’assassinat de journalistes, certes, mais beaucoup d’intimidations.
Votre démarche était-elle bien comprise par tous ?
Non, évidemment, et loin de là. Par exemple, créer un journal satirique dans un monde qui découvre la liberté de parole, c’est une réelle aventure ! Avec Le Canard du golfe, lorsqu’on tapait sur Soglo, les gens pensaient qu’on roulait pour Kérékou, et quand celui-ci est revenu, on a fait pareil avec lui et donc, à nouveau, on a pensé qu’on avait changé de bord et qu’on tenait pour Soglo. Bon, c’est une » éducation » à faire, en fait on tirait sur tout le monde, sans distinctions aucune ! De fait, la constitution béninoise prévoit des aides à la presse, mais nous n’avons jamais reçu la moindre aide !
Pour vous, cette période constituait-elle le début prometteur d’une belle carrière ?
Mais, pas du tout ! Le Canard du golfe s’est arrêté en 1999, et je me suis retrouvé sans rien ! D’autres journaux sont arrivés et le marché s’était rétréci. Il fallait trouver un moyen de subsistance. En même temps, j’ai pu développer certains projets qui me tenaient à cur. Les Couleurs de la mémoire, j’en ai déjà parlé, ainsi que des albums jeunesse comme La Statuette sacrée, Les Belles noces de Faïma, Le Caméléon de Kodjo
Mais aussi des manuels scolaires pour tout le premier cycle jusqu’en CM2. C’est le gros avantage, je dois dire, de résider au Bénin, c’est qu’une maison d’édition comme Ruisseaux d’Afrique donne du travail régulièrement. J’ai aussi travaillé pour le journal Tam tam express entre 2000 et 2001. De fait, je vis de mon travail depuis 1993. Lorsque je ne publie pas, je fais des aquarelles, des cartes postales, des acryliques que je vends aux particuliers.
Que vous inspire la réussite des éditions Ruisseaux d’Afrique ?
C’est vraiment une chance pour nous. La directrice, Béatrice Gbado, est une battante et une vraie professionnelle. Grâce à elle, le Bénin est en position dominante en matière d’édition jeunesse sur le continent. Et puis, encore une fois, cela nous donne du travail. J’ai travaillé sur des livres de coloriage, et aussi sur la collection enfant et santé qui contient une dizaine de titres.
Tout en continuant d’autres activités en parallèle ?
Oui, en 2002, j’ai travaillé pour un journal de Porto Novo, Adjinakou, pendant un an. Puis, avec des transfuges du Canard du golfe, on a créé Le Caméléon qui a duré de 2002 à 2004.
En matière de BD, j’ai commencé à être publié à l’étranger, en particulier dans des collectifs. En 2001, avec A l’ombre du baobab, soutenu par l’ONG Équilibre et Population qu’on avait rencontré lors du salon de la BD de Kinshasa en 2000. Ils m’avaient demandé de choisir un thème parmi leur problématique liée à la santé. En 2005, il y a eu chez Albin Michel, l’album BD Africa, piloté par P’tit Luc. Je le connaissais depuis le Festival de Libreville de 1998 et 1999. On s’était revu au salon de la BD de Paris. Par la suite, il est venu au Bénin. Mais le projet a beaucoup tardé, pour ma part, j’ai mis un an pour rendre sept planches du fait du manque de temps. Je faisais un story-board que j’envoyais à P’tit Luc qui me le renvoyait. Tout cela a pris plusieurs mois. Et puis en 2003, avec les copains, on a sorti Les Héros de la BD béninoises en édition locale avec l’aide du CCF.
Avez-vous des influences en matière de BD ?
À mes débuts, c’était Enki Bilal et Franquin, mais aussi P’tit Luc pour les textes. J’aime aussi beaucoup François Boucq, je l’ai rencontré au Nigeria où il m’a expliqué plein de choses. Et puis Loustal, avec ses aquarelles, ses couleurs
Vous avez également travaillé sur des projets de dessins animés
Oui, en 2008, on a introduit deux projets auprès d’un programme de l’Union européenne : le PSICD, c’est-à-dire le Programme de Soutien aux Initiatives Culturelles Décentralisées. L’un tenait en la création d’une collection d’albums de BD. L’autre touchait au dessin animé. Le projet consistait en des ateliers avec la coopération belge. Des professionnels venaient et nous assistaient dans les illustrations à l’occasion de stages organisés sur place. Fin 2008, on a pu présenter un film de quatre minutes et on a créé une association Afrique art toons. Une expérience exaltante.
Vous avez par ailleurs lancé une collection de BD
En mars 2009, à l’occasion du Festival de Porto Novo, on a lancé une collection de 10 titres avec une jeune maison d’éditions, Star édition. Ça se passe pas mal, je crois. Ça se vend bien à Cotonou et cela a eu un gros succès à Paris, lors du salon du livre où tout le stock est parti. Reste à conclure ce test avec d’autres éditeurs et avec des ouvrages non-subventionnés. Car il a fallu convaincre Star éditions. Heureusement l’Union européenne a financé une partie des titres, l’éditeur n’avait rien à avancer. Nous, les auteurs, on se bat, on est structuré en association, on y croit, on est solidaire. Chez les dessinateurs de presse, par exemple, chaque 5 mai, on fait une exposition de caricatures. Le problème est que les éditeurs, eux, n’y croient pas. S’ils investissent dans la littérature jeunesse, pour la BD, rien ne se passe. Moi, je continue, je travaille et monte des projets, on verra bien.
Quels sont ces projets ?
Tout d’abord un recueil de caricatures. J’y pense de plus en plus. Tous mes dessins sont classés et je crois qu’un jour, je le réaliserai. J’avais aussi l’intention de créer ma propre maison d’édition, mais c’est trop difficile. Et puis je voudrais retravailler avec Florent Couao-Zotti, il faut trouver le temps, il voyage tout le temps, moi aussi, ce n’est pas simple. On manque de scénaristes en Afrique, tout le monde le sait. Maintenant, il faut passer à l’organisation de stages pour apprendre à écrire des scénarios, on a progressé, on est plus ou moins au point sur les techniques graphiques. C’est l’écriture qui manque.
Vous vous êtes également fait connaître à l’étranger ?
J’ai reçu le prix Africa e Mediterraneo en 2007-2008, mais j’attends encore que l’album soit publié. Et puis il y a eu l’aventure des carnets de la création des Éditions de l’il qui ont publié un carnet sur moi en 2005, suite à une exposition que j’avais réalisée au CCF. J’avais également illustré deux ans plus tôt une nouvelle de Florent Couao-Zotti.
Quel bilan tireriez-vous de ces 20 années de pratiques professionnelles ?
Je travaille avec plaisir, je parviens à vivre de mon métier. Je ne fais rien d’autre. C’est possible, il faut beaucoup travailler et être polyvalent. J’ai publié en cette année 2009 Koffi Aze, un album de BD dont j’ai écrit l’histoire chez Star Édition à Cotonou. D’autres projets de BD sont en cours, je suis confiant.
Depuis octobre 2009 :
Hector Sonon a ouvert son propre blog : http://sonongo.blogspot.com/ et travaille sur un prochain album, Toubab or not toubab, qui devrait sortir dans la collection Rivages chez Casterman, sur un scénario de Mathias Mercier adapté d’un roman du même titre de Jean Claude Derey.
Hector Sonon vit maintenant au Danemark.///Article N° : 10232