« Il n’y a pas de littérature sans économie du livre »

Entretien de Bachirou Assouma avec Jean-Baptiste Adjibi, Directeur des Editions béninoises Afridic

Interview publiée dans La Tribune de la Capitale (quotidien béninois), n° 381 du jeudi 17 juillet 2003, page 12.
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On le connaissait pour sa chronique quotidienne sur Radio France Internationale. Dans l’émission  » Façon de parler « , il analysait pour nous toutes les subtilités de la langue française en France et dans le monde. Aujourd’hui, c’est au livre afro-caribéen qu’il se consacre en créant les éditions AFRIDIC dont le catalogue est déjà bien garni. Interview.

Vous dirigez depuis trois ans les éditions Afridic. Qu’est-ce qui vous a amené à créer une maison d’édition ?
Afridic est un groupement généraliste qui a été mis en place en 1994 et déclaré en 1996. Le sigle est créé à partir de diffusion, information, communication africaines. Il y a quelques années, il s’est doté d’un pôle d’édition. Ceci parce qu’un matin une phrase est revenue hanter ma mémoire.
Et quelle est cette phrase ?
 » La littérature africaine représente tout au plus quinze minutes de la littérature française.  »
C’était la réponse d’un professeur coopérant à un étudiant qui se hasardait dans des comparaisons entre les deux littératures. On en avait souri et même ri. Mais aujourd’hui cette phrase ne me fait plus rire. Voilà, en image ce qui m’a entraîné dans l’aventure de l’édition de livres.
Et vous espérez quoi ? Passer de  » 15 minutes  » à 15% ?
Ce serait absurde. Ce n’est pas comme cela que moi je vois les choses. Cette comparaison s’appuie sur la proximité voire l’identité linguistique entre la France et une partie de l’Afrique. Si on prend en compte d’autres critères, on voit bien qu’il n’y a pas lieu de comparer.
Mais, vous éditez en français. La comparaison sera toujours tentante entre la littérature africaine et sa consoeur française.
Vous avez bien dit « sa consoeur « . Et vous avez raison. D’autres auraient dit  » sa mère « . Et ils n’ont pas à 100% tort. Nous sommes effectivement éditeurs francophones. Et nous en sommes fiers. Mais le livre, pour son développement se sert et doit se servir de tous les moyens qui lui permettent d’accéder à ses publics.
Justement quels publics visent les éditions Afridic ?
Nous ne pouvons nous offrir le luxe de cibler un public particulier. Nous raisonnons en terme de  » livre africain « . Et pour cela, notre public est très large.
Qu’est-ce que vous entendez par  » livre africain  » ?
Dans livre africain, nous entendons  » livre dont le centre d’intérêt est l’Afrique ou la diaspora africaine.  » Ce qui veut dire que nos auteurs ne sont pas exclusivement africains. Par contre, nos publics sont en Afrique même, et dans la diaspora africaine. Et c’est d’ailleurs pour répondre à cette exigence que nous avons créé plusieurs séries éditoriales.
Et apparemment ça marche puisque que vous avez déjà sorti une demi-douzaine de titres.
Ca marche serait trop dire. Disons que l’envie reste. Pour l’instant, nous n’avons pas changé d’avis. Nous avons envie de continuer. Nous comptons une demi-douzaine de titres. C’est peu mais le rythme s’accélère.
On vous soupçonne d’avoir une préférence pour les essais et documents, les travaux universitaires. A ce jour, vous n’avez pas de collection consacrée au roman.
Au début, nous avions une seule collection,  » Verba « , dédiée aux documents informatifs ou formatifs. Ce sont des contenus ayant été effectivement ou potentiellement oraux avant leur publication par les éditions Afridic. Et il se trouve que bien des travaux universitaires correspondent à ce critère. Par exemple, l’un des livres de référence aujourd’hui sur le Vodou figure dans ce catalogue.[voir encadré, ndlr]Il y a également des traductions, des transcriptions.
Justement quel intérêt peut-il y avoir à transcrire en français une œuvre de langue béninoise ?
Prenez par exemple Le mari lubrique de Babayabo [dont vous êtes co-traducteur, ndlr]. C’est une œuvre sonore éditée en LP cassette. Elle est tout en gungbé. Sa version écrite en gungbé n’existe pas. Pour la réaliser on peut procéder de plusieurs façons dont les deux suivantes : soit la traduire directement en gungbé, soit prendre le détour du français. C’est ce qui a été fait dans le cas d’espèce. Cette version française rend paradoxalement plus facile une éventuelle transcription en gungbé. C’est l’aspect expérimental, utilitariste de la langue étrangère. Quand vous travaillez au quotidien avec une langue, elle devient un outil. Pour des personnes qui écrivent au quotidien le français et qui comprennent très bien le gungbé, le recours aux deux langues est nécessaire pour réaliser une telle opération.
Comptez-vous élargir votre lectorat, par exemple en publiant de la littérature générale ?
Bien entendu. Et nous avons commencé avec une série dénommée AfridicPoésie. Elle a été inaugurée en juin dernier par un premier recueil, La vie au fil des mots, de Ruth Ozoua. C’est une Martiniquaise.
C’est bon pour votre quota diaspora…
[Rires]Pour l’instant on n’a de compte à rendre à personne si ce n’est à la petite équipe dévouée qui m’entoure. La vie au fil des mots est un coup de cœur. D’autres recueils vont suivre pour enrichir la collection. Il ne s’agit pas d’observer un quota mais de suivre nos objectifs. Les Antillais ne connaissent pas l’Afrique. Certains d’entre eux font des efforts. On les encourage. Et cela nous permet de découvrir la diaspora et de la faire découvrir. Voilà tout.
Où est basée votre maison d’édition ?
 » Basée « , dites-vous ?. De nos jours, vous pouvez faire à peu près tout à partir d’à peu près n’importe où. Le monde a changé. Nous vivons une époque nouvelle. Ce n’est pas pour donner dans la démagogie pseudo-globaliste mais aujourd’hui notre globe vit autre chose. Cela dit, Afridic a des points d’ancrage de sa pirogue. Nous avons commencé en France certes mais nous sommes en cours d’installation au Bénin. Et c’est un peu pour cela que je suis là.
Quel est le parcours du candidat à l’édition chez Afridic ?
Le parcours classique. En tant qu’auteur moi-même chez d’autres éditeurs [ndlr Pas Papa, roman, Paris, éditions 00H00, 2001], je sais combien il est difficile de se faire éditer même si on a un texte intéressant. Je sais aussi le plaisir qu’on ressent lorsqu’une équipe de professionnels reconnaît vos qualités, peut-être votre talent. Et puis, je suis curieux de nature. Je cherche à découvrir. Donc tous les manuscrits jugés publiables par leurs auteurs peuvent nous être adressés. Cela ne veut pas dire qu’ils le seront tous.
Quel rôle jouez-vous exactement en tant que directeur ?
En fait mon vrai titre au sein de l’équipe, c’est  » directeur littéraire « . Mais puisque je suis un peu le fondateur, l’épithète est souvent abandonné. Mais c’est à tort, car c’est là mon vrai rôle : je coordonne la validation littéraire du texte. A savoir les critères linguistiques, stylistiques. C’est l’équivalent d’un directeur artistique dans une maison de disque. Cela suppose que le manuscrit est déjà accepté. Et pour qu’il le soit, nous décidons ensemble. Un manuscrit, ça se défend. Le plus souvent, c’est l’un d’entre nous qui, séduit, le soumet au verdict collectif. Il doit le défendre, argumenter y compris avec des arguments économiques (la force de vente établie ou potentielle de l’auteur ou du sujet.)
J’allais y venir. Cela coûte cher une maison d’édition ?
Très cher. Financièrement. Humainement. Mais c’est tout aussi gratifiant. Le plaisir que procure un nouveau titre qui paraît est à la mesure de la souffrance endurée par l’auteur mais aussi de l’investissement humain et financier engagé par l’éditeur.
Justement quelles sont les ressources financières d’Afridic ?
Je vous le dis tout de suite : c’est un budget à 0 % de subvention. Seulement des fonds personnels. Pas que nous soyons contre les subventions au livre mais nous ne nous pressons pas. Pour l’instant, nous essayons de voir dans quelle mesure nous pouvons tenir tout seuls sans rien demander à personne. En misant sur nos poches et sur la vente effective des livres. C’est la vente effective qui peut faire de l’édition de livres un métier. Sans vente réelle, on est pas dans le professionnel, on est dans l’humanitaire. Pour l’instant, les livres se vendent sans difficulté même s’ils ne couvrent pas les frais engagés par nous.
Parlant de métier, vivez-vous de l’édition ?
Bien sûr que non. En tout cas pas pour l’instant. Je gagne ma vie dans l’enseignement. Même en France où il y a une grande tradition de l’achat et de la lecture, vivre du livre est donné à peu de gens, auteurs ou éditeurs. A moins de dix titres, ça serait difficile. Et même à cent. Cela dit, il n’y aura pas de culture sans économie de la culture. Pas de littérature sans économie du livre. Notre catalogue est en croissance puisque cette année nous avons sorti deux titres en moins de trois mois. Pour une toute jeune maison, c’est plutôt flatteur, je crois.
Que pensez-vous de l’écriture et de la littérature au Bénin ?
Ils se portent plutôt bien à mon avis. Mais je crains que très bientôt, le football ne soit en mesure de faire mieux que tous les diplômés réunis à travers les quatre ou cinq générations de scolarisation. En effet, au Bénin comme ailleurs, le foot risque de prendre toute la place. Je n’ai rien contre le football. C’est un spectacle agréable à regarder. Mais si on ne donne pas un rêve collectif permanent à un groupe, il saute sur  » le premier Jésus Christ qui passe  » comme dirait un chanteur célèbre. La liesse autour de la qualification de l’équipe nationale pour la Coupe d’Afrique des Nations (CAN), cette  » Coupe du Monde africaine  »  est symptomatique d’un malaise, d’une frustration refoulée. Un peuple a besoin de rêve, porteurs et permanents. Les lettres ont à un moment donné joué ce rôle au Bénin. D’où la réputation de  » quartier latin d’Afrique ». Car l’intérêt pour le  » wéman  » était une sorte de marque de fabrique de ce pays. Je suis Béninois. Le foot, on le regardait de haut. On s’en foutait de ne pas faire des champions de football. Aujourd’hui, on le regarde de bas. On aimerait bien faire des champions de sport. Ce n’est peut-être pas notre point le plus fort. Et si c’est quand même la seule chose capable de nous procurer une joie aussi immense, une communion sans précédent (autant voire plus que pendant la Conférence nationale) alors, il faut se poser des questions. Il faut interroger nos frustrations. Quoi qu’il en soit, la littérature, c’est bien connu, est le meilleur exutoire. Donc moi j’attends les manuscrits.
Et aussi les subventions ?
Ca c’est une autre histoire.

Editions Afridic
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Tél. Fax : (00. 229) 22. 32. 28
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Directeur Jean-Baptiste Adjibi
Assistante : Anita Demé
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Service International : 2, rue des Tertres – 92220 Bagneux –France
Tél. 01 45 36 05 28.///Article N° : 3247

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