Une histoire passionnelle. Entre un homme et son instrument. Un compositeur et une viole d’amour. A 34 ans, Jasser Hadj Youssef, auteur d’un premier album, il y a deux ans, ne jure plus que par cet étrange instrument au destin méconnu.
La viole d’amour n’est pas un violon, mais elle lui ressemble. Les novices sy laisseront prendre. L’instrument est plus ancien, a plus de cordes et se joue aussi avec un archet. Il faut remonter au XVIIème siècle pour en entendre parler pour la première fois. On le retrouve dans le baroque. On cite volontiers les uvres de Haydn, Bach, Vivaldi. Néanmoins, l’instrument disparaît au XIXème, après avoir séduit le XVIIIème. Un altiste de la cour de Louis XV en a tiré une méthode, qui reste peu diffusée. Aujourd’hui, la viole d’amour sert presque de relique. Une raison expliquant (en partie seulement) l’intérêt de Jasser Haj Youssef -grand amateur de musiques anciennes-pour cet instrument.
« Grâce à quelques musiciens comme Jordi Saval, la viole de Gand a retrouvé sa place, dit-il. Pour la viole d’amour, personne n’a encore fait le super film, qui passera partout pour qu’on découvre toute la grâce de cet instrument ». Jasser sera peut-être cet homme providentiel. Qui sait ? Il est tellement épris de son instrument que tout lui paraît possible. Une histoire due au hasard, bien que l’artiste tunisien n’y croie pas vraiment. « Au départ, je voulais un violon avec plus de cordes pour pouvoir jouer dans les registres graves. Je voulais une tessiture que l’on trouve dans le violoncelle par exemple ou dans certains instruments traditionnels. Un jour, je suis tombé sur la viole d’amour. Et je me suis dis « waouw ». Il ressemble au violon, il a plus de cordes « . Seul problème, et pas des moindres : les luthiers n’en fabriquent plus.
Un jour, il en parle à une amie, Simona Morini, avec qui elle collabore au violon, sur une pièce de théâtre. Magie de la rencontre ! Elle lui propose sa propre viole d’amour. Une viole au destin étrange, conçue par amour, des années auparavant. « Par quelqu’un qui était fou d’elle, avec qui elle avait gardé une grande amitié. Il n’était pas luthier. Il avait pris des cours de lutherie pour pouvoir la fabriquer, qu’il lui a offerte, et qu’elle m’a passée. Elle m’a fait confiance, m’a dit de faire très attention au bébé. L’instrument n’était pas dans une boîte, mais enveloppé dans du tissu blanc ». Mais désirer la viole d’amour ne suffit pas à vous transformer en virtuose. Au moment où se vit cette histoire, Jasser Haj Youssef ne sait encore rien de la complexité de ce bel instrument.
Il n’a encore jamais vu quelqu’un en jouer. Il lui faut donc tout inventer, apprivoiser ce drôle d’animal, avec le talent qui est le sien, la curiosité qui l’anime. Lentement, mais sûrement, il y parvient. Un matin, il débarque en studio pour une séance d’enregistrement dans le 15ème à Paris. Ils ont besoin d’un violoniste. Il se présente avec les deux instruments sur lui. La viole d’amour surprend son monde, et il en garde un bout d’enregistrement. Une première pour lui ! « Je ne maîtrisais pas encore l’instrument. Il se trouve que mon producteur a eu cet enregistrement, l’a fait écouter à Ousman Danedjo, qui a dit « je le veux pour mon disque ». Un concert à l’Unesco plus tard, et la magie opère, pour de bon.
Tout le monde trouve le son « incroyable ». Et là, il se dit, sois sérieux, Jasser, il faut que tu écoutes Vivaldi, que tu saches ce qu’il a fait pour cet instrument et que tu travailles, sérieusement ! « Donc j’écoutais un Concerto pour viole d’amour et orchestre de Vivaldi. Mais je sortais déçu de l’écoute. Je ne retrouvais pas l’instrument que j’aimais. Je ne pensais pas qu’il allait sonner de cette manière-là. En fait, comme je découvrais l’instrument, je commençais à le jouer à ma manière. Si j’avais écouté avant de le prendre en main, je ne l’aurais pas choisi. Ça jouait dans les aigus, ça jouait trop de notes, et c’était noyé dans un orchestre. Ça ne me parlait pas. Je suis un autodidacte de la viole d’amour. Et je préfère continuer ainsi ».
Un autodidacte au parcours brillant, cependant. Un prix d’interprétation en musique arabe, des études de musicologie, un papa lui-même ethnomusicologue. A 16 ans, Jasser Haj Youssef animait une émission sur Radio Monastir sur les modes d’interprétation, en classique et en trad. A 19 ans, il a bénéficié du génie des profs d’Europe de l’Est conviés dans son pays, tout en intégrant un orchestre de chambre. Un cours intensif pour violon assuré par une Roumaine l’a transformé à jamais. Sira, son premier album, est au programme du bac musique en France, aux côtés de Miles Davis et de Jean-Philippe Rameau. Une méthodologie, une vision, une attente. Jasser Haj Youssef a tout pour nourrir le feu de sa passion pour l’instrument, bien qu’il rechigne à l’idée d’honorer une partition des pères au pays du baroque.
« Je me sens tellement libre avec cet instrument. Avec lui, je n’ai pas à reprendre cet académisme que j’ai eu à respecter quand j’ai appris le violon, avec les techniques, les concertos. Il faut faire ceci, il faut tenir comme ça ». Il suffit de voir comment il la tient, sa viole d’amour, quand il en joue. Pas comme un violon classique, ni comme un kamantche. « Je la tiens comme les indiens. Je m’assois par terre ou sur un tapis, un petit praticable, et puis je croise les jambes. L’instrument est complètement à l’envers ». Il se met en tailleur, pour l’occasion, en sort, souvent, un son unique et parle, désormais, de spiritualité. « A l’indienne », insiste-t-il . « Il y a des sonorités qui sortent de la viole, qui viennent vraiment de l’âme. Il y a eu un moment où je ne voulais pas partager cet instrument avec tout le monde. Quand quelqu’un m’appelait, je ne sortais pas ma viole d’amour, je sortais le violon. Mais la viole d’amour partait tellement d’un truc personnel que je n’aimais pas l’idée de devoir le partager avec des gens qui ne sentiraient pas sa valeur ».
Plus d’infos sur le net : http://www.jasserhajyoussef.comEn concert le 27/05/2015 à Beauvoir en Royans (38), Le Couvent des Carmes.
Le 13/08/2015 à Labeaume (07)
Le 19/09/2015 à Limoges, L’Orient des Troubadours, avec Jean-Paul Rigaud///Article N° : 12975