« Je m’applaudis tout court »

Entretien d'Olivier Barlet avec Jean Odoutan

Print Friendly, PDF & Email

Barbecue Pejo se déroulait au Bénin, Mama Aloko et Djib en France. Quel est le sens de ce passage de l’Afrique à Paris ?
C’est du Jean Odoutan, né au Bénin, venu en France. Il raconte d’abord une aventure africaine pour marquer son identité africaine. Puis il fait Djib, qui est une sorte d’autobiographie – quand il était à la DASS et qu’il a vécu dans une famille française. Mama Aloko est une suite logique du même Jean Odoutan, de son passage à la DASS, puis de ses fréquentations des quartiers populaires de Paris où l’on rencontre une foule sympathique. Pour l’instant, je fais des films autobiographiques qui ne sont pas du tout nombrilistes.
Effectivement, il y a un aspect chronique assez fort.
Je suis un galérien et je traîne un peu sur les trottoirs des quartiers où ça bouge. Je décris ça dans mes films. Les gens qui vont voir mes films perçoivent ce message que je veux faire passer. C’est vrai que cela reste de petites chroniques, de petites histoires, pour le moment. Je trouve que cela a de la force. Ce que je fais reste du domaine de l’expérimental. 45rdlc, c’est mon laboratoire. Quand je voudrai comprendre comment on fait des films, j’écrirai autre chose que ce que j’écris maintenant. J’ai aussi besoin de passer par ce que je fais maintenant. Pour après avancer.
On te reproche de bâcler tes films vite fait !
Je dirais que Mama Aloko est un peu plus abouti que les deux premiers, techniquement, sur l’histoire, par les comédiens et aussi la mise en scène, sur laquelle j’ai fait un travail plus pointu. J’ai ensuite fait La valse des gros derrières, qui techniquement est mieux que Mama Aloko et qui est mon préféré. Je travaille aussi sur les deux prochains long-métrages, qui seront tournés au Bénin l’année prochaine, La porte du non-retour et Etoile polaire.
La Porte du non-retour a pour thème l’esclavage, que j’avais déjà brièvement abordé dans Djib et Barbecue Pejo, où un Antillais retourne sur la terre mère pour trouver ses racines. On y retrouve le même type qui sur place veut essayer de comprendre les motivations des instigateurs de la traite du bois d’ébène. Il demande à tous les gens de l’amener vers cette porte du non-retour. Il a toujours la chaîne dans la tête, il est toxico, il veut rompre avec son statut de fils d’esclave et il porte en horreur tout ce qui est Blanc, Europe, Occident. Sur son parcours, il rencontre une fille, une domestique qui a aussi dans la tête de rompre avec ce statut de fils d’esclave. Cette fille, une catholique fervente, insiste pour lui faire rejoindre l’Eglise. Il va finir par s’apercevoir que ce sont les catholiques qui sont à l’origine du trafic d’esclaves. On rit par moment mais c’est un film très grave. Les dialogues sont là pour dramatiser certaines séquences, les situations, les décors sont durs.
L’Etoile polaire est un road movie. Une fille fait une thèse sur Laurentine Milebo qui tourne dans tous les films de Jean Odoutan. Elle cherche à la voir, on lui apprend qu’elle est devenue prostituée à Pigalle. Un proxénète lui indique qu’elle est partie au Bénin. La fille demande au réalisateur de l’aider. Je pars au Bénin, que je parcours du Sud au Nord et je rencontre tous les comédiens qui ont participé à Barbecue Pejo. Sur mon parcours, je rencontre une Blanche avec qui se noue une aventure amoureuse. C’est un film beaucoup plus léger, sans connotation « sociale » forte comme il y a dans les autres films.
Je sais les défauts qu’il y a dans mes films. En deux ans, j’ai fais quatre films. Je dirais aux gens qui me critiquent d’essayer d’en faire autant. Peu importe qu’on dise que je bricole mes films. J’ai même marqué dans mon dossier de presse que je fais du bricolage. Mais pour l’instant, mes films existent, ils font partie du patrimoine mondial. Peu de Noirs ont leurs critiques dans Libé ou Télérama. Les gens sont conscient des difficultés pour des petits gars comme nous, qui touchent déjà les réalisateurs français. Quand on arrive à faire, ils applaudissent des deux mains. Moi le premier, je m’applaudis tout court.
On sent que tu aimes ce jeu permanent du langage et du canular dans tes films.
J’aimais beaucoup les poésies et je pratiquais les calembours à mon époque de la fac. Ce que font, différemment, les rappeurs et maintenant les slameurs. J’aime jouer avec les dialogues. J’apprécie le cinéma français et notamment les films d’Audiard. Le cinéma que je cherche à faire, c’est avoir une bonne histoire et des dialogues qui percutent. C’est pour cela que je dis que je fais du cinéma expérimental, parce que je travaille mes dialogues. Cela évoluera après vers moins de dialogues. Pour le moment j’en ai besoin, c’est comme une musique, cela m’aide à sortir mon énergie.
Le côté loufoque et décalé est toujours présent. Cela me correspond. Ce n’est pas parce que ma vie passée a été dure, que je vais faire des films durs. Je préfère dédramatiser et montrer des choses pour rire, que la vie est belle. Je suis mon propre psychanalyste.
Dans Mama Aloko, l’aspect communautaire est très fort.
Depuis mon enfance, cela me poursuit ; déjà, au Bénin, nous étions très nombreux dans ma famille, il y avait beaucoup de monde à la maison, à la DASS ensuite, en tant qu’animateur de quartier aussi. J’aime être entouré, c’est pourquoi je crée toujours une famille dans mon travail, je bosse toujours avec les mêmes, avec Laurentine Milebo, Didier Dorlipo… C’est aussi une manière de faire émerger des comédiens noirs, et qu’on arrête de nous proposer des rôles misérabilistes d’éboueurs, de dealers etc. On prépare le terrain pour les prochains qui vont débarquer et qui j’espère auront moins de soucis que nous.

///Article N° : 124

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire