« La politique africaine, c’est presqu’un conte ! »

Entretien d'Olivier Barlet avec Moustapha Alassane

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En avril dernier, le festival Racines noires de Paris rendait hommage à Moustapha Alassane, mécanicien, autodidacte et premier réalisateur de films d’animation de l’histoire du cinéma africain . Déjà, Le Retour d’un aventurier annonçait tant par sa caméra que par son sujet le cinéma d’animation dont il émaillera ses films comme FVVA (Femmes, Villa, Voiture, Argent, 1972) et auquel il se consacrera avec par exemple Bon voyage, Sim (1966, 5′) où le président de la « République des crapauds » part en voyage, ou Samba le grand (1977, 14′) où des marionnettes animées racontent les aventures d’un héros légendaire qui demande la main d’une princesse, laquelle lui impose de multiples épreuves.

Vous avez assez systématiquement intégré des éléments d’animation dans vos films : pourquoi ce choix ?
Mon premier film a été réalisé dans les années soixante, et le deuxième au début des années soixante-dix. Après j’ai réalisé des films de marionnettes : jusqu’à ce jour je continue dans ce sens là. Ma méthode de travail a légèrement changé. Avant ma méthode était classique dans l’utilisation de la caméra et de la pellicule, mais depuis que je sais qu’on peut faire ces choses avec l’informatique, j’ai opté pour ça afin d’éviter les tracasseries de pellicules et d’expéditions en laboratoires, etc. : on aboutit au même résultat dans un délai relativement court.
Pourquoi avoir choisi des grenouilles en particulier ?
Ce n’est pas un animal fétiche pour moi, je l’ai choisi par hasard. Les grenouilles n’apparaissent que deux ou trois mois dans l’année et disparaissent avec la chaleur, et moi je les vois revivre, ça me fait plaisir ! Ceci dit, je m’intéresse à d’autres animaux comme le lièvre et la tortue, mais dans un premier temps j’ai opté pour cette grenouille : elle est malheureuse cette grenouille, elle disparaît ; moi je voulais la faire revivre, tu comprends ?
Les conditions techniques ne devaient pas être faciles, parce que c’est une image prise après l’autre, après avoir peu à peu modifié la marionnette,
J’ai eu la chance de pouvoir travailler avec le cinéaste canadien Claude Jutra puis Norman Mac Laren, qui m’ont ouvert les procédés de studio d’animation et permis d’accéder à des caméras de films d’animation et aux procédés de laboratoires. Après, j’ai continué à réaliser moi-même, avec du matériel que j’ai acheté, jusqu’au jour où j’ai changé pour la méthode de travail sur informatique.
Quand a pu se faire le passage ?
Ce n’est pas aisé de passer à l’informatique, il faut connaître les moyens, en avoir beaucoup, mais on arrive quand même à avoir un résultat dans un délai relativement court qui permet de continuer le travail. Je crois que l’avenir c’est ça.
Et vous produisez comme ça en permanence ?
Non, actuellement, je suis en train de solutionner la maîtrise de cet équipement. Je commence à comprendre les logiciels et sans tarder j’aurai l’occasion de monter des films. Mais j’ai trop longtemps été tout seul, à essayer de me documenter. Pourtant, l’informatique va nous permettre de transcrire notre tradition orale. C’est essentiel.
Vous êtes le seul à procéder ainsi au Niger ?
Je n’habite pas Niamey, et là où je suis, personne ne fait ça. J’aurais bien voulu que ce soit collectif ! Pour faire du cinéma d’animation, il faut beaucoup de patience, d’endurance et de persévérance. Les jeunes n’aiment pas tellement s’adonner à des trucs compliqués, ça ne nous facilite pas la tâche. Et le cinéma d’animation n’est pas aidé.
Qu’est-ce qui vous pousse plus à faire de l’animation plutôt que du cinéma de fiction ?
J’ai fait les deux, mais je fais du cinéma d’animation actuellement parce que j’affronte l’utilisation de l’ordinateur. Je ne peux pas demander aux gens d’investir dans ce que j’apprends… Pour un film classique, quand on a trouvé le scénario, on peut y aller. Là c’est différent : on doit d’abord maîtriser le système, le métier par rapport au matériel, et ça je ne peux que le faire individuellement.
Cherchez-vous par l’animation à toucher le public de manière différente ?
Quand quelqu’un s’avance et prend le risque de faire du cinéma, que ce soit un film d’animation ou pas, c’est qu’il a envie de toucher le public, et de faire passer un message.
Vos animations avaient un aspect presque politique,
Oui, c’est amusant comme ça, on touche tous les thèmes : il y a des contes, et d’autres tirés de la politique africaine, ou de la politique tout court. Il faut vivre avec son temps ! Les propos de la politique africaine c’est presque un conte !
Quel film préférez-vous de ceux que vous avez réalisés ?
Il n’y en a pas ! J’oublie partiellement ce que j’ai fait pour penser au film que je fais maintenant. J’ai beaucoup aimé ce que j’ai fait : il y a longtemps que je ne l’avais pas vu, et je me suis rafraîchi la mémoire.
Dans quelle direction voudriez-vous aller ?
Aujourd’hui tout est important pour moi en Afrique, tout est à faire : que ce soit des thèmes politiques ou autres, nous en avons besoin. C’est un devoir de vivre avec mon temps. Et si nous avons le matériel pour mettre la tradition orale en cassettes, il faut le faire !
Arrivez-vous à bien distribuer vos films ?
Non, parce que nous n’avons pas de structure de distribution en Afrique : ça se fait à la tête de la personne qui fait le film.
Je suis frappé du peu de films africains d’animation sur les écrans français. Arrivez-vous à les vendre à des télévisions par exemple ?
Non, les Français sont trop égoïstes ! Vu le rapport étroit entre la France et l’Afrique, on devrait travailler main dans la main. Et aujourd’hui, il nous faut même payer pour que nos enfants s’expriment bien en français…
Vous avez l’impression d’une dégradation de l’aide ?
Je crois que c’est difficile. Les critères pour faire fonctionner les Africains comme la démocratie, la bonne gouvernance, etc. ne sont pas nécessaires.
Comment vous situez-vous entre le public enfant et le public adulte ?
Est-ce que moi, quand je regarde le film, je ne suis pas un enfant ? Je vois ça comme si c’était un enfant qui réalise le film : la réaction des enfants devient la réaction du réalisateur à chaque scène qui les intéresse, mais est-ce qu’ils comprennent ? Je ne sais pas : il faudrait leur demander…
Donc on fera des films pour les enfants différemment.
Quand un enfant tue un poussin, si personne ne dit rien, un jour il va tuer un humain, mais quand un adulte tue un poussin tout de suite, c’est un fou. Il y a beaucoup de films où les gens sont comme ça ; on les laisse faire et ça donne un génocide après ! Le monde entier pleure : on le voit aux actualités. Et on se dit qu’on eu tort de regarder faire. Il faut prendre position.
On vous rencontre assez peu dans les festivals internationaux : vous refusez les invitations ou vous êtes peu invité ?
Le cinéma ne fait pas vivre son homme en Afrique. J’ai donc arrêté de faire des va et vient pour me concentrer sur ce qui peut me permettre d’être à l’abri de ce problème engendré par le manque de professionnalisme. Je me consacre à la construction d’un hôtel pour joindre les deux bouts.
C’est une activité qui vous permet de faire du cinéma en parallèle.
C’est parce que ça a abouti que j’ai maintenant un peu de temps pour venir dans les festivals.

///Article N° : 1447

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