Dans le commerce triangulaire Europe-Afrique-Amérique, le 2ème moment, celui du transport des esclaves, était appelé « le passage du milieu ». Pour l’illustrer, Guy Deslauriers fait appel au récit d’un homme mais évite tous les écueils de l’exercice : plutôt que de représenter, il évoque. Utilisant force ralentis, flashs et images saccadées, il réfléchit plutôt qu’il ne montre. Le résultat est d’une grande qualité. Sa retenue dans le filmage des corps évite de les appréhender comme du bétail. En préférant la métonymie à l’hyperbole, les détails suffisent à suggérer le tout et le spectateur, dans une émotion qui n’est plus sentimentalisme mais compréhension, recompose la longue agonie de la traite. Suicides, maladies, épidémies ponctuent la traversée jusqu’à ce que la préparation d’une révolte réchauffe les curs. Le film se concentre sur les visages, les yeux, le roulis, les bruits pour permettre de saisir ce que pouvait être durer en endurant. La méditation s’élargit aux rapts et razzias satisfaisant l’appétit des négriers : « Je vous parle d’une terre qui livre aux quatre vents le meilleur de ses fils ». De la cale, remonteront des êtres marqués, transformés. Dédié à l’Afrique crucifiée comme aux esclaves d’aujourd’hui, ce film au scénario signé par Claude Chonville et Patrick Chamoiseau est une magnifique et essentielle contribution au travail de mémoire.
1999, 85 mn. Kréol Productions (01 40 24 25 09). Sortie France le 14 février.///Article N° : 1755