Ainsi donc, il existe au Maroc un village reculé où ne vivent que des femmes auxquels les bergers rendent visite. Plutôt que d’y faire un documentaire que la réticence des femmes rendait difficile, Narjiss Nejjar réalise une fiction poétique où les choses sont davantage évoquées que montrées. La vieille Mina, qui vient de passer 25 ans oubliée en prison après une rafle, amènera avec le tissage aux femmes une activité économique qui leur permette de rompre le cercle infernal de la prostitution, ce qui n’ira pas sans de douloureuses remises en causes. Son propos est ainsi de motiver les femmes de son pays à se faire violence pour se prendre en charge.
Louable intention dans un pays où les femmes accèdent rarement à la mise en scène. Mais pour ce faire, Narjiss Nejjar écrit, produit et réalise, à l’image de ses courts-métrages, un opus ampoulé et prétentieux, qui débute en toute simplicité par une auto-citation : » Un peuple est grand quand il sait dire l’amour sans honte « .
J’ai beau tenter de le prendre par tous les bouts, je n’arrive pas à lui trouver le moindre accès. La voix-off aligne au départ un tissu de platitudes et le systématisme de la lenteur des plans assène deux heures durant une symbolique qui pèse des tonnes. Certes, ces femmes sont belles et les montagnes sont magnifiques, mais le classicisme du cadre et les effets forcés de paysages photographiés à la Géo coupent toute adhésion. L’influence du cinéma iranien ou russe ne peut opérer quand l’image est à ce point vide de sens et c’est bien ce qui afflige ici : la mise en scène se cherche une originalité pour elle-même, bien loin des subtilités qu’auraient pu induire le thème. Narjiss Nejjar se fait une esthétique de carte-postale sur le dos de son sujet, et tombe ainsi dans un esthétisme grandiloquent. Comme le dit Mina dans le film, » c’est en coupant l’arbre qu’on s’aperçoit qu’il est creux « .
En cultivant ainsi l’évocation récurrente d’une douleur intériorisée, le propos reste d’une édifiante superficialité. La mise en abyme du seul personnage masculin, Fahd, une sorte de George Clooney tombant sous le charme de la femme leader du village, fera la deuxième moitié du film. Choqué par la mise en prostitution d’une jeune fille et cherchant à dépasser le rejet des hommes que la femme lui oppose, il se travestit pour pouvoir communiquer avec elle. Mais Les Yeux secs ne nous offre que la vue d’une relation impossible puis de la purification qui en ouvre le possible, sans lui donner un contenu qui dépasse le spectacle du trouble. » Ici, tout est à sec « , dit encore une femme. Le film aussi.
///Article N° : 2916