Limoges 2004 : sous le signe de la diversité

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La 21ème édition des Francophonies en Limousin s’est tenue sous l’étoile de la diversité culturelle des francophonies.

Le Festival de Limoges de 2004, ce furent des spectacles où l’Afrique fédérait autour d’elle des équipes internationales d’artistes de tous horizons, mais où elle était aussi tour à tour l’Afrique des couleurs traditionnelles et de la tragédie antique avec une Antigone en pays sérère ou Khasso, une pièce du Malien Moussa Konaté dont on a pu entendre une lecture, l’Afrique des génocides et des enfants soldats avec le huis clos d’un bourreau face à son avocate dans L’Oeil du Cyclone, le spectacle ivoirien, l’Afrique des performances physiques et de la danse au détour d’un  » Sacre du printemps  » tout en noir. C’était aussi l’Afrique des cultures urbaines, du rap et du slam, grâce à la programmation des Rencontres de la Villette  » hors les murs « , l’Afrique des écritures contemporaines avec le Togolais Gustave Akakpo dont Cartharsis a été mise en lecture au Théâtre Expression 7 et qui a reçu le Prix SACD de la Francophonie pour La Mère trop tôt (Lansman, 2004). Ou encore l’Afrique des contes avec un spectacle jeune public d’Hassane et Dany Kouyaté.
D’Antigone aux enfants soldats
Production internationale qui réunit la France, le Sénégal et la Suisse, Ngoye, une Antigone d’Afrique a été montée par Gilles Laubert à Dakar avant de venir en tournée en Europe. Un des atouts de ce spectacle est à l’évidence la sobriété ingénieuse de la scénographie, cette espèce de patio de jardin japonais avec tôles ondulées et armatures métalliques qui découpent dans l’espace l’encadrement d’images souvent très picturales, grâce aux magnifiques couleurs des costumes et des tissus qui habillent les corps souffrants. Ce dispositif dit la fermeture, le labyrinthe, et rend intemporel la situation racontée, lui donnant ainsi une grande force d’évocation. D’origines diverses, les acteurs mettent en place un plateau arc-en-ciel qui transcende le projet initial d’inscrire Sophocle dans la sphère culturelle sérère, en proposant une transcription des termes politiques et des références religieuses en wolof. Finalement, les contingences qui ont contraint Gilles Laubert à renouveler sa distribution ont donné une autre ampleur aux enjeux poétiques de la pièce. Dommage cependant que l’adaptation du texte de Sophocle par Gilles Laubert et Massamba Gueye ait pris le parti de moderniser la langue et ait fragilisé la tension tragique en introduisant de l’anachronisme dans les situations et les postures. La raideur de Créon nous semble en effet décalée et sa langue est dérisoire face aux enjeux du pouvoir dont il est investi. En perdant en archaïsme, la langue perd sa densité, et l’incandescence tragique devient une lumière falote.
De toute évidence, les démesures d’Afrique cristallisent les imaginaires, comme dans cet Oeil du Cyclone qui convoque l’univers des enfants soldats. Une fois devenus grands, ils n’ont d’autre horizon que le combat et la guerre, le seul monde qu’ils connaissent et qui les reconnaissent. Le texte de Luis Marquès est interprété par Mouna Ndiaye et Fargass Assandé dans une mise en scène de Vagba Obou de Sales qui emporte l’Ymako teatri bien loin des contes de Kaïdara et de la sagesse immémoriale dont la compagnie s’était fait une spécialité.
Images dangereuses
Heddy Maalem avait choisi de jouer avec la diversité noire en réunissant quatorze danseurs de divers pays d’Afrique et des Antilles pour une chorégraphie du  » Sacre du printemps  » de Stravinsky. Un spectacle d’un sens plastique extraordinaire, avec notamment une ouverture d’une vive beauté : des projections en vision macro d’une forêt vierge sous l’orage sur un écran en fond de scène, tandis que se découpe l’ombre de deux corps, celle d’un homme et celle d’une femme formant un couple édénique. Un regret néanmoins : les danseurs et danseuses en slip et ensemble soutien-gorge/culotte coordonnés de couleur vive sont parfois alignés dans une posture d’exhibition où la diversité des morphologies noires, dans la nudité, se détache sur le fond blanc du vélum. L’image offerte a des relents amers des expositions coloniales d’antan et de cette anthropologie de bazar qui a présidé au décervelage de plusieurs nations d’Europe convaincues de leur supériorité spirituelle sur la corporéité musculeuse du nègre. Ces images s’invitent au spectacle et ne sont pas déconstruites par le travail chorégraphique qui, au contraire, joue avec elles, sans réelle distance. Les images ont leur danger, elles demandent à ce qu’on les manipule avec précaution, sous peine de complaisance. Or de l’esclavage à la colonisation, la nudité du corps noir a une histoire tragique qui a participé à l’aliénation de tout un peuple. Difficile de l’enjamber sans frémir.
Cultures urbaines et musique à l’honneur
La diversité, c’était aussi la diversité des cultures urbaines et des générations avec la programmation  » hors les murs  » des Rencontres de la Villette. Plusieurs spectacles étaient présentés à Limoges, notamment Cancer Positif 2, un texte d’Edward Bond adapté par Eva Doumbia et Binda Ngazolo pour un spectacle créé en 2002 en Côte d’Ivoire, ou encore Bintou de Koffi Kwahulé venu de Belgique dans une mise en scène de Rosa Gasquet (voir Africultures n°58).
La diversité de l’Afrique ne s’arrêtait pas au théâtre. Elle passait aussi par la musique de l’Ivoirienne Dobet Gnahoré, mêlant mélodies mandingues, rumba congolaise, zigli-biti ivoirien, bikoutsi camerounais et choeurs zoulous, et celui du groupe de tradition culturelle haïtienne venu de Cuba, Desandann. Enfin, l’importance de la diversité nous fut rappelée par le film de Patrick Cazals, consacré au poète haïtien René Depestre. Il a été projeté en avant-première en présence du grand homme qui a toujours défendu la diversité culturelle et pour qui justement  » la francophonie plurielle, constituée au carrefour de différentes civilisations, peut fournir un nouvel oxygène du sens « . Les expressions francophones ont respiré à pleins poumons cet automne à Limoges ! Une fête du sens qui ne manquait pas d’air…

///Article N° : 3640

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Les images de l'article
Ngoye, une Antigone d'Afrique, d'après Sophocle, mise en scène de Gilles Laubert. Créon (Macodou M'Bengue) © DR





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