Après trois ans d’absence sur le marché du disque, Lura annonce Di Korpu ku Alma ( » de corps et d’âme « ).Ce troisième album est dominé par l’écriture du regretté Orlando Pantera qui signe cinq compositions sur treize, dont le frénétique » Batuku « .
Née en 1975 à Lisbonne, la belle Lura est, comme on dirait dans l’Hexagone, de la génération issue de l’immigration cap-verdienne au Portugal. C’est en pratiquant le théâtre dans la compagnie Plano Seis qu’elle exerce sa voix au chant. En 1996, son album Nha Vida la propulse sur la scène musicale internationale, suivi six ans plus tard par In Love.
Sur scène, la charmante Lura joue à fond la carte de la séduction. Sa voix, belle, fine et caressante, ne sonne pas toujours juste quand elle navigue entre le ténor et la basse. Elle n’en a d’ailleurs pas toujours été fière : «
avant je trouvais que j’avais une voix terrible, j’avais honte de chanter ‘joyeux anniversaire’
»
Lura a le mérite d’écrire ses chansons dans le créole originel du terroir. Elle signe quatre titres de ce nouvel opus et quelques-uns avec son compatriote, le pianiste Fernando Andrade. Les textes oscillent entre la satire sociale, les éloges de la révolte des militants cap-verdiens ( » No Ri Na « , » Vazulina « , » Es Vida « ) et la caricature des pratiques profiteuses des immigrants de Lisbonne ( » So Um Cartinha « ). Gardons un il ouvert sur Lura même si son nouvel album reste un disque de variété.
Bonga est à l’Angola ce que feu Fela A.. Kuti a été au Nigeria : des résistants, des objecteurs de conscience qui ont choisi l’arme de la musique pour combattre l’oppression et porter l’étendard de l’africanité aux sommets du continent et du monde
Initié à la musique par son père accordéoniste, le jeune Jose Adelino Barcelo de Carvalho remplace son nom colonial par celui de Bonga Kuenda qui veut dire en kimbudu : celui qui cherche, qui est toujours en avant.
Adolescent, il choisit le nom de Kissuea pour sa première formation, appellation qui évoque la misère des quartiers pauvres de Kipri, sa ville natale. Avec son groupe, il chante et joue la dikanza, percussion traditionnelle faite de bambou strié qu’on frappe à l’aide d’une baguette de bois, instrument considéré comme symbole du retour aux sources.
Les thèmes que développe Kissuea participent à la prise de conscience de l’identité angolaise : la violence coloniale, la misère des populations, l’ambiance délétère du pays et la révolte latente des masses. À défaut d’armes pour combattre l’envahisseur, la musique constitue leur outil de résistance.
Maiorais ( » Les grands « ) reste un album authentiquement angolais tout en ouvrant des lucarnes sur le reste de l’Afrique et les Caraïbes. De ses cordes râpées, la voix de Bonga coule avec sensualité et se pose avec délicatesse sur une musique fluide. Quand il visite quelques contrées du continent, il s’approprie » Akié » du Camerouno-nigérian, Prince Nico M’barga et y ajoute des épices de son semba originel ( » Sao Salvador « ). Poursuivant l’escapade, il s’engage dans les méandres du golfe de Guinée et établit le dialogue entre harmonica et timbo (percussion à lames métalliques), suggérant un air aux relents du high-life. Au total, treize compositions où les essences multiples des musiques noires se mêlent subtilement, portées par la voix particulièrement émotive de Bonga. Un album qui surligne le déchirement et l’humiliation de l’Afrique et qui dit aussi l’amour.
Yenna-d umyar ( » Le Sage a dit « ), le nouvel album de Abdenbi Lounis Aît-Menguellet, affirme et confirme son verbe » fouetteur » de conscience. L’artiste s’inspire des traditions millénaires des montagnes du Djurdjura en Algérie, s’approprie le chaâbi populaire, use du mezmoum méditerranéen d’origine grec, vivifie le blues kabyle et propose une succession de sept titres qui promènent l’auditeur de la Kabylie en Orient en passant par l’Andalousie. Des ballades, des mélodies, du parler-chanté, soutenus par une orchestration intégrant des accents ibériques, celtique ou irlandais. Une musique et des mots ciselés pour véhiculer la pensée et la vision consciente de Aït Menguellet.
Sa parole relève la déliquescence des valeurs de notre monde perturbé et les cicatrices de nos âmes ruinées ( » Dis nous, vieux sage
« ). Elle décrit la traîtrise ( » A Dda Yidir « ), peint la fatalité de la condition humaine, dénonce l’ingratitude de la politique ou murmure la solitude du poète incompris ( » Yerna yimen wass « ). Elle se construit d’images fortes et de métaphores, de mots précis, pointus, incisifs et inquisiteurs.
En Algérie comme en France, le charisme d’Aït Menguellet traverse les générations, faisant de lui un mentor qui inspire de jeunes artistes comme Mustapha et Hakim Amokrane de Zebda qui ont repris quelques-unes de ses compositions. C’est un homme humble, un poète militant qui préfère se définir avec humour comme un chanteur » provisoire « .
Ce n’est qu’en 2004, grâce à la tournée promotionnelle de l’album Amassakoul, que le public occidental découvre l’emblématique formation malienne de Tinariwen (en tamasheq, » les déserts « ), alors même qu’elle existe depuis 1982.
C’est dans un camp d’entraînement militaire libyen que les fondateurs du groupe, Ibrahim A. Alhabib, Hassan et Inteyedin (décédé en 1995), découvrent les instruments électriques, Bob Dylan, John Lennon et Bob Marley. Ils s’imprègnent de la force contestataire de ces derniers, adaptent leur musique traditionnelle tamasheq aux nouvelles découvertes instrumentales, insufflent un sang neuf à leur art.
Originaires de Kidal, au Nord-Est du Mali, leur musique crie la rage et le dénuement de leur peuple oublié de la République. Leurs textes versifient l’outrage des massacres des Touaregs par l’armée malienne en 1963 et les années de rébellion que ces tueries engendrèrent jusqu’en 1992 ( » Le Chant des Fauves « ). Leur chant est un long poème, un conte égrenant l’exil de 70 % des Touaregs en Algérie et en Libye pendant ces années de braises ( » Bismillah « ). Leur art peint le désert, son vide, sa stérilité, son hostilité, où l’homme, dans sa lutte quotidienne avec la nature, frôle la mort en permanence. Leurs vers composent des romances, disent l’errance du nomade solitaire.
L’album Radio Tidas, du nom de la radio locale de Kidal, enregistré en 2000, est en fait la toute première production de Tinariwen. On la doit à leur rencontre avec le groupe français Lo’Jo et leur producteur Justin Adams. Réalisée dans des conditions précaires, l’uvre, chargée de mélancolie, constitue une pièce historique qui traduit toute la poésie et toute l’émotion de Tinariwen.
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