Les Rencontres cinéma de Manosque 2013 (5-10 février) proposent une rétrospective des films de Newton Aduaka : belle occasion d’y découvrir sa dernière oeuvre, « One man’s show », découverte en novembre 2012 au festival d’Apt et qui est en compétition officielle au Fespaco de février 2013.
Lorsqu’après s’être essayé avec succès à plusieurs genres et des films d’envergure, un réalisateur revient à une démarche aussi intimiste, c’est qu’il s’interroge à la fois sur lui-même et son rapport au cinéma. One man’show est effectivement une uvre de transition, une méditation d’une magnifique sincérité. Newton Aduaka trouve dans l’acteur Émile Abossolo Mbo un alter ego, l’incarnation de sa propre inquiétude face au sens de son travail de créateur autant que de son rapport au monde
et aux femmes. Incarner ne veut pas seulement dire interpréter mais proprement représenter charnellement : Émile, qui conserve son nom à l’écran, vit son personnage dans une permanente improvisation. C’est ainsi que, même sur un canevas précis, il y mêle ses propres mots. Cette libération des corps invite le spectateur à partager ce jeu d’expérimentation et l’engage à dépasser la passivité de la consommation du spectacle. Le film se recentre sur l’expérience des acteurs durant le tournage, et se voit ainsi façonné par une dynamique extérieure à son écriture, voire à son projet.
Clairement, Aduaka a trouvé dans Champs de sons, le one man’s show que joue encore Émile Abossolo Mbo au théâtre, l’expression dramatisée d’une crise essentielle car elle est celle de l’image elle-même : comment l’image peut-elle se faire crise pour devenir critique, dépasser la représentation spectaculaire pour atteindre la fécondité de l’incertitude existentielle. « La liberté n’est pas une destination : tu vis dedans », se répète Émile sur scène tandis que dans la fiction du film, il tente de trouver dans sa vie la voie de cette sagesse. Tourner le dos au prophétisme des lendemains qui chantent est le programme des cinémas d’Afrique des années 2000 : le remplacer par la recherche en soi-même de cette liberté qui ne pourra être un futur que si elle est un présent. Cela suppose une introspection solitaire et tranquille : « tu ne peux pas courir plus vite que le temps », se répète Émile comme un mantra. Et cela passe par la remise en cause de sa relation aux autres, à commencer par ces femmes qui souffrent de ses promesses non-tenues. « T’est un groom : tu fais entrer et sortir des gens de ta vie ». Comment s’ancrer pour pouvoir construire quand on cultive l’instabilité ? Face à la femme, face à l’enfant, c’est de responsabilité qu’il s’agit, et c’est cela qui travaille ce cinéma, conscient que rien ne changera jamais avec des hommes qui n’assurent pas.
Envisager l’avenir, c’est revenir au présent en fermant les yeux, comme le proposait Djibril Diop Mambety : « Je vais t’expliquer comment on fait un film : tu fermes les yeux, tu les fermes très très très fort
». C’est de ce retour aux sources que se nourrit Aduaka et c’est lui qu’Émile propose à son fils. Alors seulement, l’imagination peut se libérer et la divine comédie prendre corps. Le film suit la structure du poème de Dante – purgatoire, enfer, paradis – mais remplace purgatoire par naissance. Et le paradis est bien court car cet homme n’a d’avenir que dans sa renaissance. S’il est condamné, c’est qu’il ne faisait qu’effleurer les êtres. Mais au-delà du théâtre de la vie, quand on ne trouve plus les mots et que seule reste la douleur, quand la musique envahit l’écran parce que le rejet de l’enfant rend caduque tout discours, quand on ne monologue plus que devant une salle vide car on est ramené face à soi-même, on s’interroge sans fard, comme Émile, comme Newton. C’est la féconde cruauté de cette lucidité qui rend cette « improvisation écrite » aussi déchirante qu’émouvante. En osmose avec ses acteurs (on note la magique présence d’Aïssa Maïga), qui tous ensemble prennent autant de risques que lui pour capter l’essentiel, Aduaka dédie à Fanon qui les connaissait si bien ce tableau vivant de nos fragilités. D’un scénario tout simple de la descente aux enfers d’un homme qui croyait pouvoir être roi, Newton Aduaka tire un film aussi sensible que subtil dont chaque scène nous habite dès qu’on ferme les yeux.
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