Dans ce village de Guinée-Bissau, on plante un arbre à chaque naissance. L’arbre grandit avec l’enfant, lui survit et devient son âme. Il symbolise ainsi, comme un peu partout à travers le monde, la croissance de l’être humain vers son éternité. Lorsque Dou revient dans son village, son frère jumeau, Hami, vient de mourir. Pourtant, c’est l’arbre de Dou qui est mort, un po di sangui, un arbre de sang…
De quoi Hami est-il mort ? Un mal ronge la communauté villageoise qui n’arrive à éteindre le feu qu’avec l’aide de Calacado, le sorcier qui décide de la place de chacun. L’Afrique brûle de ne pouvoir, comme l’enfant d’Hami, différencier le vivant du mort. Tout bascule lorsque les forestiers de la grande ville viennent convoiter la forêt. Face au désarroi, Calacado confie à Dou la mission d’accompagner le village en exil et à Saly de le guider vers le soleil, elle qui en est tombée amoureuse. C’est en Tunisie que Flora Gomes est allé tourner ces impressionnantes images de l’exode initiateur d’un village en plein désert. Car son propos a la force de déplacer tout un village, malgré tous les problèmes logistiques et financiers que cela pouvait poser : c’est de l’Afrique qu’il nous parle, de son avenir et du rôle qu’elle peut jouer dans le monde.
Les fréquents travelings latéraux d’une caméra tout en douceur donnent corps au lien qui unit les êtres entre eux et avec leur environnement. C’est vers cette unité que tend le film, partant de la dualité qui déchire les humains et que Flora Gomes choisit d’exprimer dans la gémellité : Hami et Dou sont les deux facettes d’un seul fils, Hamidou, que réclame une mère en tremblant et en criant dans une scène saisissante où des femmes couvertes d’argile font traverser à une cruche jumelle des tentures teintées de rouge, couleur du pouvoir dans la tradition animiste. C’est en écoutant et surmontant ses oppositions internes que l’homme africain pourra trouver sa place dans le monde. C’est aussi en faisant le tri pour accueillir ce qui est bon chez les autres : « Il y a du positif et du négatif dans chaque culture », déclarait Flora Gomes à Cannes. Le prix à payer pour la modernisation dépasse le vieux conflit tradition/modernité : une certaine abnégation, le sacrifice d’une partie de soi est nécessaire, pour accueillir chez l’autre ce qui fait sa valeur : « Les ancêtres ont dit qu’un de vous devait mourir mais ton père et l’imam n’ont pas voulu », s’exclame la mère en transe avant d’accoucher de la cruche réconciliatrice.
Mais le rouge est aussi la couleur du sang versé. Dans le magnifique Mortu Nega (1988), ceux dont la mort n’a pas voulu interrogeaient les morts de la lutte contre le colonisateur portugais sur l’avenir de leur pays accédant à l’indépendance. Dans Po di sangui, le muet tend des fils rouges dans tout le village autour de la dépouille du sorcier, en lien et en hommage à celui qui ne doit pas mourir, car, disait encore Flora Gomes, « l’Afrique est nécessaire au monde ». La petite fille d’Hami dessine encore un arbre sur les murs d’une case avant de fixer le spectateur avec un large sourire
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