Tasuma s’attache à un personnage attachant et là réside à la fois sa force et son pouvoir de conviction. Sogo Sanon, ancien combattant engagé de force dans l’armée française pour servir en Indochine et en Algérie puis libéré après l’indépendance en 1963, est un homme hors du commun. Anticonformiste et pacifiste, il n’est pas un idéologue à pancartes mais un être sensible, fidèle à son parcours malgré la dureté et atteint dans sa dignité par l’injustice faite aux anciens « tirailleurs » dans l’inégalité de traitement par rapport à leurs collègues français. Surtout, il a une détermination utile, s’investissant pour le bien de son village en achetant un moulin à céréales qui soulage les femmes du pénible pilage. Mais il le fait à crédit, fatigué d’attendre le paiement d’une retraite que l’administration française tarde à lui verser.
Le jeu à rebondissements qui en résulte est traité en utilisant subtilement les arcanes du récit traditionnel qui lui confère la force morale de la fable. Comme dans Visages de femmes de Désiré Ecaré et tant d’autres films, le chant des femmes résume le récit, mais c’est aussi le fou qui en annonce les développements, découpant le film selon les jours de la semaine.
Sanou Kollo ne s’est pas départi dans ce film de la qualité qui avait marqué Paweogo ou Jigi : les personnages trouvent à l’écran une corporalité très humaine parce qu’ils y sont saisis en harmonie avec leur environnement, inscrits dans le corps social de la communauté villageoise.
La solidarité qui les unit est une vibration collective magnifiant chacun d’entre eux : toujours cadrés en plan moyen ou plan d’ensemble, ils sont sans cesse en interaction dans l’image et c’est ainsi un rythme qui se dégage, celui d’un devenir soudé attentif aux apports de chacun. Les débats qui agitent les anciens sous l’égide du chef de village répondent aux règles oratoires des proverbes ou de la parenté de plaisanterie.
Le contraste n’en est que plus fort avec la superficialité des rapports urbains où les visées mercantiles et les préséances de pouvoir dominent. Le village est un être vivant, traversé de conflits où les coutumes se voient remises en cause par ceux-là même qui aspirent au développement, Sogo en tête, malgré son âge, sa confrontation avec l’ailleurs lui ayant ouvert les yeux et l’ayant guidé vers l’essentiel. C’est là qu’il trouve sa dignité et non dans un uniforme qu’il porte plus en témoin de ce qu’il a vécu que pour revendiquer une quelconque supériorité. Il partage avec les membres de sa communauté la beauté des gens simples et lorsqu’il rencontre ses compagnons d’armes, ce sera pour chanter ensemble de vieilles antiennes militaires sans jugement mais aussi sans illusion sur leurs contenus, ne faisant que convoquer une mémoire, celle d’une génération forcée à combattre sans comprendre mais consciente de l’avoir fait avec le sens du devoir accompli.
Leur conscience politique est totale, incarnée ici par Sogo. Mais les traces de la blessure restent vives, d’où cette dualité rendue en miroir par le personnage du fou qui s’obstine à photographier ce qu’il voit avec un regard décalé mais qui est capable d’enseigner et de prévoir, avec une lucidité supérieure à tous. La transgression reste prophétique, dans un milieu villageois qui apparaît tout sauf immémorial et figé.
Rythmé et bien dirigé, le nouveau film de Sanou Kollo profite de l’expérience qu’il a capitalisée à la télévision, ayant continué à travailler malgré la difficulté de boucler des films de cinéma. Il a ainsi participé à l’excellente série Taxi-brousse, réalisée au Bénin. Belle démonstration que lorsqu’une production locale s’affirme, le savoir-faire se développe d’où peuvent émerger de bons films de cinéma d’intérêt universel.
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