Un transport en commun

De Dyana Gaye

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Un transport en commun laisse pantois. Est-ce du lard ou du cochon ? Une comédie musicale africaine ou bien une resaucée des Demoiselles de Rochefort ? Une envolée légère ou un fond socio-tragique ? Et pourquoi des personnages qui chantent et dansent mais ne savent ni vraiment chanter ni vraiment danser ?
Cela démarre façon documentaire à la gare routière de Dakar, fourmillante comme à l’accoutumée, et nous voilà plongés en pleine sociologie du Sénégal. Les protagonistes se réunissent peu à peu, passagers bien typés d’un « 7 places », un taxi-brousse en direction de St Louis. Chacun aura sa chanson, en écho de ce qu’il représente, de ses espoirs, de ses envies, de ses regrets, de ses questions, de ses colères : un jeune sentimental qui rêve d’aller en Italie, une orpheline qui se rend aux obsèques du père qu’elle n’a pas connue, deux vacancières à l’accent parisien, un homme au franc-parler sur l’état du pays, une tenancière d’un salon de coiffure kitsch dont la nièce, fatiguée de tresser, emprunte une autre voiture à son insu et s’éprend d’un étudiant grenoblois style jeune premier naïf… Sur les huit chansons de ce 48 minutes, deux seulement sont sur des rythmes africains. Dyana Gaye mêle à plaisir les registres, non pour faire un catalogue de la comédie musicale mais pour être au plus près des textes, d’une certaine gravité sur la situation sociale. La légèreté est restaurée par les musiques, les chorégraphies, l’entrain des personnages et le décalage absolu d’un genre plutôt daté transplanté dans un contexte noir-africain où il n’a jamais été vraiment repris.
Car en dehors de Nha Fala de Flora Gomes (Guinée Bissau) avec Fatou Ndiaye ou bien les musicaux d’un pays qui adore le chant choral, l’Afrique du Sud, comme Sarafina de James D. Roodt avec Whoopi Goldberg ou l’adaptation d’un opéra, U-Carmen eKhayelitsha de Mark Dornford-May, on cherche en vain des comédies musicales africaines. Il n’y aurait historiquement que Naïtou de Moussa Kemoko Diakité qui filme pour l’occasion la Troupe nationale des Ballets africains de Guinée, ou bien La Vie est belle de Mweze Ngangura et Benoît Lamy avec Papa Wemba, ainsi que Les Habits neufs du gouverneur du même Congolais Mweze. Jit de Michael Raeburn (Zimbabwe) alignait des scènes musicales comme des clips tandis qu’en 1975, le Nigérian Ola Balogun avait élargi l’impact de son cinéma militant avec les chansons et la musique de Duro Ladipo dans Ajani Ogun. La comédie musicale est trop complexe, trop chère, trop éloignée des préoccupations des cinéastes qui ont laissé le terrain aux comédies musicales égyptiennes ou aux Bollywood.
Quelle mouche a donc piqué Dyana Gaye ? Elle s’en explique dans notre entretien (cf. [article n°9013]) : elle avait envie de réunir ses passions – cinéma, danse et musique. Elle le fait avec des non-professionnels et c’est sans doute sa réussite. Avec des pros, on aurait tout de suite critiqué la faiblesse des moyens. Ici, ce sont tout simplement des gens qui osent, sans avoir peur du ridicule, et qui y mettent une belle énergie communicative. Le résultat est attachant, tonique, guilleret, original, en tout cas étonnant voire détonnant. Car en métissant les registres musicaux, Dyana Gaye sort du schéma africain et s’approprie toute la tradition de la comédie musicale. Cela en gênera plus d’un mais c’est bien évidemment l’effet recherché.

///Article N° : 9520

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