Le Secret de Chanda (Life, above all)

D'Oliver Schmitz

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Ce film a été présenté en sélection officielle dans la section « Un certain regard » au festival de Cannes de mai 2010. « Hijack Stories » d’Oliver Schmitz avait déjà été sélectionné dans la même section en 2001.

Etait-ce cette dominante sépia ? Ou bien cette façon de faire parler des enfants comme des adultes ? Ce film m’a ramené 20 ou 30 ans en arrière, lorsque je traduisais de l’allemand des livres pour adolescents sur des enfants du Tiers-monde. Ecrits par des auteurs occidentaux pleins de bonnes intentions, ils trimbalaient un imaginaire plaqué sur une réalité qu’ils croyaient connaître dans des histoires dramatiques aux ficelles prévisibles conduisant vers une exemplaire rédemption finale. J’étais à l’époque moins critique que maintenant et adhérais émotionnellement à ces histoires feuilletonesques…
Le Secret de Chanda a cette façon surannée d’évoquer le présent. Il combat les préjugés en les montrant tout crus : le sida est une honte, un châtiment divin, tandis qu’une gamine condamnée à se prostituer pour exister sera rejetée de tous. Une musique appuyée en rajoute sur une mise en scène démonstrative alignant des scènes volontiers larmoyantes. Alors que dans le roman éponyme* de l’auteur à succès canadien Allan Stratton, l’héroïne a 16 ans, Oliver Schmitz et son scénariste lui aussi canadien Dennis Foon ont rajeuni Chanda de trois ans pour la rendre plus innocente. La fibre appelée n’est effectivement plus la même. La détermination de la Chanda du film impressionne d’autant plus qu’elle est adulte avant l’âge. Elle devra affronter seule les superstitions, l’ignorance et la peur pour sauver sa famille, jusqu’à mener toute sa communauté sur la voie de la rédemption. Sa révolte contre l’hypocrisie se veut une leçon de courage, édifiante pour tous. Comme le livre qui est écrit à la première personne, le film épouse le point de vue de l’adolescente pour que nous partagions pleinement ses sentiments et adhérions à son combat.
Engagé, Oliver Schmitz avait en 1987 coécrit avec Thomas Mogatlane Mapantsula, un des seuls films à montrer la réalité noire des townships sud-africains avant la fin de l’apartheid. De ses chroniques sur Johannesburg de Jo’Burg stories (1997) à sa remise en cause de la réalité de la nation arc-en-ciel dans Hijack Stories (2001), Schmitz s’était attaché à suivre la société sud-africaine au plus près. Maintenant installé à Berlin, il réalise des films allemands, notamment pour la télévision. Il lui est alors plus aisé d’adapter un livre que de perpétrer ce regard de l’intérieur. Mais si cette histoire l’a accroché, ce n’est pas seulement parce qu’elle aborde les préjugés qui entourent encore le grand mal du pays, le sida, mais aussi et surtout parce qu’elle évoque ainsi les tabous et les non-dits, et donc les blocages, de la société sud-africaine (cf. notre entretien [n°9504]). Sa position extérieure et son financement allemand laissent Schmitz plus libre de se faire politiquement incorrect en montrant une communauté qui garde ses secrets tout en stigmatisant ses voisins. Soucieux d’authenticité et de ne pas se déconnecter du public local, il s’est battu avec succès pour que le film soit tourné en pedi et non en anglais, et tous les acteurs sont locaux et s’en tirent bien, tandis que le film avance à un rythme bien dosé.
Où est le problème alors ? Le personnage d’ado déterminée de Chanda touche les spectateurs (qui lui ont fait un triomphe à Cannes, même si des voix critiques s’élevaient pour relativiser ce succès). Peut-être même que cette histoire les amène à mettre en cause leurs préjugés ? Ce qui me fait en douter est que cette histoire frise trop le mélo pour atteindre son but. Chanda perd la moitié de sa famille mais qui pleure ? Schmitz et son scénariste noient leurs personnages dans une sauce guimauve où l’on a l’impression que derrière l’écran, une marionnette surgit à chaque plan pour nous dire « est-ce que vous avez bien compris ? ». Et toute la pesante esthétique du film cherche à le souligner. Cette histoire vient trop des bonnes intentions d’un scénariste pour pouvoir restaurer la complexité humaine. Et je doute qu’on combatte vraiment les préjugés avec des slogans du style de celui de l’affiche du film : « Rien n’est plus contagieux que le mensonge ».
En outre, le rapport au sida évolue en Afrique du Sud à la faveur des combats de la société civile contre les arriérations gouvernementales ou le lobying de l’industrie pharmaceutique pour interdire les génériques, sans oublier la nouvelle prise en compte du problème par un Jacob Zuma qui n’avait auparavant pas brillé par sa finesse sur ce sujet. Que la honte de la maladie soit encore forte ne fait pas de doute, mais une complexité s’installe qui ne se résout pas dans la rédemption collective que met en scène le récit.
Le message appuyé n’est décidément pas un bon copain du cinéma.

* Le Secret de Chanda, Bayard Jeunesse, collection MilléZime, 11,90 €, 2006.///Article N° : 9515

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