Zahia Ziouani: « Le monde de la culture est encore trop inégalitaire”

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Zahia Ziouani, cheffe d’orchestre française d’origine algérienne, dirige l’Orchestre symphonique Divertimento qu’elle fonde en 1998 en Seine-Saint-Denis. Une initiative qu’elle a voulu populaire afin d’emmener la musique symphonique au sein des classes les plus défavorisées. Elle est la marraine du festival Visions Sociales, qui s’est déroulé du 20 au 27 mai 2023 à Mandelieu-la-Napoule. Elle y a présenté son biopic, Divertimento réalisé par Marie-Castille Mention-Schaar. 

Africultures. Comment avez-vous participé à la création du film Divertimento ?

ZAHIA ZIOUANI : J’ai participé à plusieurs étapes. Avec la réalisatrice, d’abord sur la partie écriture du scénario, on a eu de très longs échanges pour qu’elle puisse s’imprégner aussi de ma vie, de mon histoire. Ensuite j’ai participé au choix de la musique et à la sélection des différents extraits. Puis, je suis aussi intervenue au niveau de la préparation des comédiennes, notamment celles qui jouent mon rôle. Ma sœur Fettouma aussi a aussi fait de même pour la comédienne qui joue son rôle dans le film. Nous étions présentes régulièrement sur le tournage. Il y a aussi quelques musiques qui ont été enregistrées par le vrai Orchestre Divertimento, et qui sont issues de mon album Bacchanale : Saint-Saëns et la Méditerranée. 

Oulaya Amamra (à gauche) joue le rôle de Zahia Ziouani (à droite)

Ce film qui vous met en scène à l’âge de 17 ans, nous force à nous demander comment vous avez fait pour vous construire dans ce monde où il n’y avait pas de modèles qui vous ressemblaient?

Je me suis construite en essayant d’être moi-même. C’est vrai que cela n’a pas été simple parce que je voyais peu de jeunes chefs d’orchestre, peu de femmes et encore moins des personnes issues de la diversité ou des quartiers populaires. Évidemment, j’ai travaillé dur mais j’ai également eu cette chance d’avoir dans ma famille  des modèles comme ma grand-mère à qui j’ai pu m’identifier.  Elle a connu la guerre en Algérie, elle a été résistante. Elle s’est battue toute sa vie aussi pour permettre à ses enfants d’être indépendants. En plus, j’ai eu la chance de rencontrer un grand maître de la direction d’orchestre, Sergiu Celibidache, qui m’a appris à faire mes premiers pas. En créant l’Orchestre Divertimento, j’ai réfléchi à quelle cheffe d’orchestre j’avais envie d’être et quel orchestre j’avais envie de diriger. Installé au départ en Seine Saint Denis, aujourd’hui, il a une dimension nationale et internationale.

La première partie du film montre votre introduction dans un entre soi parisien. Est ce que vous avez cherché à vous conformer ?

 En fait, je ne crois pas… J’ai montré avec mon travail que j’ai ma place. Certains agissent en essayant justement de susciter un comportement agressif ou violent pour légitimer leur façon de penser. En réponse, j’ai toujours été moi. C’est la clé de la réussite de Divertimento, j’ai toujours été fidèle à mes valeurs. Je voulais que ça soit toujours un projet d’excellence, avec un travail de qualité, que l’engagement soit au cœur de ce projet. Quand on a commencé à avoir de belles opportunités, on a su rester fidèle à ce projet d’origine, à cette idée qu’il faut partager avec toutes les diversités, qu’elles soient sociales, culturelles ou intergénérationnelles. Comme tous les autres, j’aspire à pouvoir jouer dans les plus grandes salles du monde entier, mais sans me couper du contact avec le public. C’est ce qui nous fait rester dans la durée.

Le monde de la musique symphonique a-t-il beaucoup évolué depuis vos débuts ? 

Parfois je n’ai pas l’impression que les choses aient vraiment changées.  Je n’ai pas l’impression que mon métier soit plus facile aujourd’hui que ça ne l’était à l’époque à mes débuts. 4% des chefs d’orchestre en France sont des femmes. Aujourd’hui, les orchestres nationaux qui sont largement financés par les pouvoirs publics ne programment pas du tout de femmes et ne les nomment pas à des postes importants.Ce milieu qui pendant longtemps, associait la musique classique à des milieux aisés, n’a pas forcément envie de s’ouvrir et devenir populaire au sens noble du terme. 

J’entends parfois dire « tu n’es pas à ta place » ou « on n’a pas l’habitude de voir une femme issue de l’immigration ».  Il y a même des musiciens qui n’ont pas été très sympa à mes débuts mais qui travaillent aujourd’hui avec moi parce qu’on a réussi à se faire confiance à un moment donné.  

Alors tout le monde à sa place dans le monde de la musique symphonique ? 

Oui, bien sûr ! Elle procure beaucoup d’émotions et ne laisse personne indifférent. Tout le monde doit y avoir accès. Même dans des territoires  au fin fond de la Seine Saint Denis.  On y a trouvé des jeunes qui étaient très intéressés. Je rencontre des gens qui sont étonnés de voir ces jeunes réussir dans la musique classique. Je leur dis que c’est également  par la culture qu’on peut leur permettre de développer leur potentiel. Je me bats pour ça, pour qu’on ne choisisse pas à la place des jeunes et des habitants, ce qu’ils ont le droit d’entendre ou pas. 

J’ai eu de la chance car mes parents nous ont poussées, ma soeur et moi à faire de la musique, et ils ont été très présents. La réussite, l’instruction ne doivent pas être liées  à un milieu social. Mes parents sont venus d’Algérie, mon père n’a jamais eu l’opportunité d’aller à l’école et ma mère n’a pas pu faire  des études qu’elle aurait souhaitées faire. Pourtant, ils sont très instruits tous les deux et ils nous ont très bien éduqués. Tout cela m’a aussi permis d’être outillée pour faire face à aux difficultés comme le montre le film.  

Le film fait ressortir cette problématique intersectionnelle. On se rend compte que la musique ne voyage pas partout comme au sein des prisons ou dans les banlieues. C’est important pour vous d’investir ces espaces, des milieux culturels et sociaux différents ?
J’ai beaucoup appris de mon expérience personnelle. Quand mes parents nous emmenaient voir des concerts, c’était toujours dans les grandes salles à Paris. J’ai vécu ça comme une forme d’injustice. Je me demandais toujours pourquoi dans la ville où j’habite, dans mon département, je n’ai pas accès aux concerts de qualité ? C’est pour ça que j’y veille aujourd’hui en faisant de la transmission, d’où l’amalgame que certains font en pensant que l’aspect éducation que j’y apporte ne valorise pas mon travail. Ils oublient que je suis avant tout une cheffe d’orchestre qui a une vraie vision artistique et que je suis capable de diriger de grandes symphonies. Mon engagement n’aurait pas de valeur si je n’étais pas une bonne cheffe d’orchestre.   

Je suis très attachée à cela parce que je trouve que le monde de la culture est encore trop inégalitaire. Parmi toutes les inégalités qui existent en France : sociale, économique, l’éducation et autres, le monde de la culture est peut être l’un des plus inégalitaires. C’est pour ça que je veux contribuer à réduire ces inégalités au sein de territoires différents et à fédérer des diversités ensemble. Aujourd’hui, dans notre société on n’a pas beaucoup d’endroits où on peut se retrouver ainsi et ça nous manque.

C’est dans cette démarche que vous avez accepté de devenir la marraine de ce festival Visions Sociales ?

Le festival Vision Sociale est proche des valeurs que je porte et que je développe avec l’orchestre. C’est-à-dire l’art et son excellence, avec de très beaux films qui sont présentés  en y intégrant cette démarche d’ouverture et de diversité. J’y suis très sensible et c’est pour ça que j’ai été d’autant plus heureuse et honorée qu’on m’ait proposé d’être la marraine de cette édition.

Vous enchaînez les projets. Est ce que vous en avez encore d’autres à venir ?

Écoutez, j’en ai encore pas mal. On récolte le fruit de plusieurs années de travail avec l’orchestre. On a été  très actifs pendant la période sanitaire. Une dynamique s’est développée autour de la sortie du film et de notre disque. On a une série de concerts à venir entre août et en novembre. Je suis également en train d’écrire en ce moment des spectacles avec la Philharmonie de Paris pour la Coupe du monde de rugby, en octobre prochain. J’ai aussi des projets autour des jeux olympiques. J’aime faire le lien avec parfois des univers qui paraissent éloignés de la musique symphonique comme le sport, alors qu’il y a beaucoup de points communs. Les grands événements sportifs réunissent aussi des gens qui viennent de toute la planète, cette dimension de rencontre entre les cultures, elle m’intéresse beaucoup. Ce que j’ai envie surtout, c’est de continuer à développer l’orchestre, et même, pourquoi pas lui offrir une scène ? Aujourd’hui, il n’y a pas de salle emblématique dédiée à la musique symphonique en Seine-Saint-Denis et je trouve que c’est un département où  les habitants  méritent d’entendre la musique dans de bonnes conditions.

Propos recueillis par Angelina Mensah

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