Cinéma mozambicain : il était une fois les images

Print Friendly, PDF & Email

En 1977, Jean-Luc Godard va pour la première fois à Maputo et loge à l’Hôtel Tivoli, en plein centre de la capitale. Pendant deux jours, personne ne le contacte. L’Institut national du cinéma existe déjà, mais par un de ces mystères qui relèvent du hasard ou des mutations délibérées dans les couloirs du pouvoir, personne n’est au courant de son arrivée. Ruy Guerra, le metteur en scène mozambicain du cinema novo brésilien, est aussi à Maputo. A l’INC, Fernando Almeida e Silva, qui a capté avec de grandes difficultés les images de la période de transition et l’apothéose de l’indépendance, se prépare à réaliser le journal cinématographique Kuxa Kanema (la naissance du cinéma). Incognito, dans son week-end involontaire, l’auteur de Vivre sa vie attend. Il attend peut-être le directeur de l’INC, un ministre, un cinéaste… Le destin a voulu que ce soit moi, jeune écrivain, qui ce samedi après-midi ensoleillé découvre Godard qui regardait passer les heures au bar de son hôtel. Amateur de ciné-club, rédacteur et homme à tout faire à l’INC, j’avais observé dans le fonds de la salle ce monsieur assis qui ressemblait tant à Godard ! C’était bien lui et il a commencé son expérience mozambicaine par une petite promenade de bord de mer et un dîner chez Fernando Almeida e Silva. Il venait de Suisse, la vidéo sur le dos ainsi que la Sonimage et le vin amer de la période Dziga Vertov. Et il offrait de faire ce qu’il nommait Images pour la renaissance d’une nation – son idée du cinéma au-delà de celle de Griffith. Il écrira le résultat de cette fabuleuse déconvenue dans le numéro 300 des Cahiers du Cinéma.
Mais le cinéma commençait à naître. L’INC nationalisait la production, la distribution et les salles, se dotait de moyens audio-visuels, d’un laboratoire permettant de traiter la pellicule noir et blanc, de caméras, de nagras, d’hommes, de tout ! Jean Rouch se rendra aussi à Maputo. Ruy Guerra, qui vient réorganiser le cinéma mobile, réalise, à la façon du cinema novo, Mueda – mémoire et massacre. Fernando de Almeida et Silva (qui mourra après avoir terminé le long métrage La Tempête de la terre, une histoire luso-mozambicaine sur la mémoire coloniale et les utopies de la libération) en est encore à présenter Mozambique, une année d’indépendance dont le final inquiétera les Jdanov du pouvoir. Le responsable et l’âme de la première série des Kuxa Kanema (9 éditions mensuelles de 25 mn en 1977 et 78), le regretté auteur d’Amenic (qui avait été produit au Brésil et qu’avaient célébré les Cahiers du Cinéma), va inaugurer une nouvelle poétique et une thématique spécifique au cinéma mozambicain. Les KK, comme on les dénommait, connaîtront d’autres phases style newsreel mais cette période incroyable avait entraîné la sympathie et la complicité du Cubain Santiago Alvarez et l’enthousiasme militant de Med Hondo, ainsi que l’échange d’expériences avec Haïlé Gérima, et fit venir au pays une série de cinéastes du monde entier.
C’est dans ce contexte qu’arrive à Maputo le journaliste brésilien Licinio Azevedo qui vient recueillir des témoignages sur la lutte armée pour une coproduction avec la Tanzanie, Crossing the River, un film d’action sur la guerre contre le colonialisme portugais. De ce projet inachevé sont restés deux livres et la présence dynamique jusqu’à aujourd’hui du reporter devenu un des grands noms du cinéma mozambicain.
Cette décade prodigieuse, pour reprendre une expression chère aux cinéphiles, se termine en 1987 avec le très suspect incendie de l’INC. Les archives sont sauvées et avec elles la mémoire de l’après-indépendance. Elles attendent l’impossible cinémathèque et manifestent l’immense effort de ces créateurs désillusionnés.
La télévision expérimentale en 1979 – mais qui se fortifie au milieu des années 80 – ainsi que les vicissitudes de la politique, de l’économie et de la guerre font mourir ce rêve de création et de continuité d’une cinématographie nationale. De cette période, restent les œuvres marquantes de José Cardoso, Le Vent souffle du Nord et Le Temps des léopards (coprod. Mozambique-Yougoslavie, 1985), deux fictions venant s’ajouter à un ensemble de documentaires tournés par une poignée de cinéastes émergents.
Aujourd’hui, tout se produit en vidéo. Les ONG, les agences internationales et les intérêts privés définissent les exigences de production, loin des thématiques de l’INC et des KK. Calane da Silva, Camilo de Sousa, Ismael Vuvo, Manuela Soeiro, Joao Costa (dir. Photo), Gabriel Mondlane (son), Sol de Carvalho, Joao Ribeiro et Antonio Forjaz (qui travaillent la fiction), José Cardoso (toujours lui) et quelques autres vont résister. Mais c’est Licinio Azevedo qui va se démarquer avec des titres originaux, des docu-drames comme La Guerre de l’eau, L’Arbre des ancêtres, Marianne et la lune…
Aujourd’hui, les maisons de production manquent d’appuis financiers. Il n’y a aucune articulation avec la télévision ni une politique nationale pour l’audiovisuel. Mais tous luttent avec opiniâtreté pour offrir au monde les images de la naissance d’une nation qui n’en finit pas de naître depuis qu’il y a 25 ans, au stade de Machava, Samora Machel proclamait le 25 juin 1975 l’indépendance du Mozambique. 

* poète mozambicain vivant à Lisbonne.///Article N° : 1254

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire