« Ecoute cette ode, belle femme » : dès le générique, un véritable plaisir de chants et de danses, Moussa Sene-Absa précise son propos : ce film sera un hommage à l’affirmation des femmes. Bien sûr, cela passera par un réquisitoire contre les hommes, personnifiés par des maris violents, potentats intolérants qui, à défaut de pouvoir réussir leur vie, frappés par le chômage s’adonnent à l’alcool et reportent leur colère sur leur famille. Madame Brouette en sait quelque chose, qui décide de quitter le sien pour se débrouiller seule avec sa fille, en vendant à la criée les fruits et légumes qu’elle porte dans sa brouette à longueur de journée.
Le film se fait comédie permanente pour impliquer le spectateur, mais aussi suspens policier, étant entièrement construit sur des flash backs et l’enquête d’une équipe de télévision pour savoir si Madame Brouette a effectivement tué son mari policier. Nous sommes ainsi dans la peau du commissaire qui cherche à comprendre pourquoi son collaborateur a été tué, donc en situation d’écoute.
Comme dans « Tableau ferraille », le Bay Fall Moussa Sene-Absa utilise les churs qui donnent au récit un souffle impressionnant à défaut d’une véritable émotion. Le chur chante la perdrix qui aime la liberté, à l’image de cette femme confrontée à toutes les exclusions et qui développe une emblématique détermination.
« La vie de couple, c’est comme la langue et les dents : les dents mordent la langue, mais ce n’est pas pour ça que la langue va déménager pour aller vivre ailleurs » : à ce point de vue des hommes, Madame Brouette oppose une détermination sans concession. Pourtant, son histoire sera tragique car elle cédera une fois de plus à la séduction. Est-ce donc le programme sempiternel de la condition féminine ? En cela, Moussa Sene-Absa offre comme c’est logique une vision masculine où la femme n’existe que comme objet du désir masculin, en conformité avec les normes dominantes. Rokhaya Niang, qui se révèle une remarquable actrice pour son deuxième rôle principal alors qu’elle débute au cinéma, a comme dans « Le Prix du pardon » de Mansour Sora Wade la beauté nécessaire à l’emploi. Madame Brouette est pourtant suffisamment décidée pour faire changer les choses et sa force ravira nombre de femmes.
On ne peut que vibrer à la faveur des scènes épiques de l’incendie ou de la fête où les hommes se déguisent en femmes et vice-versa. De même, certains échanges font véritablement rire, les musiques et les danses s’entremêlent à plaisir et l’ensemble du film respire une ambiance enjouée. Ce mélange des genres qui se veut délibérément populaire, entièrement tourné en français, pourrait avoir donné un film parfaitement convaincant si les entrelacs de la narration permettaient aux scènes pathétiques d’émouvoir et aux scènes d’action de captiver. Le mélange des registres installe une distance qui fait du film un beau spectacle mais limite l’adhésion. De cette tranche de vie, on retient une femme décidée portée par une belle énergie malgré les vicissitudes des hommes et la dureté de la vie, un regard qui ne s’oublie pas.
2002, 104 min, 35 mm, image : Jean-Jacques Bouhon, musique : Majoly/Serge Fiori, Madu Diabaté, avec Ousseynou Diop, Rokhaya Niang, Khadiatou Sy, prod : Productions La Fête, 387 rue St Paul ouest, Montréal 8 ave de la porte de Montwage, 75014 Paris. (514) 848 04 17. rdemers@lafête.com///Article N° : 2798