School Daze

De Spike Lee

De la politique en musique
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La comédie musicale n’est pas considérée comme un genre sérieux. Pourtant, de Gold Diggers à West Side Story, il arrive que des cinéastes abordent des sujets graves en chanson, comme Spike Lee avec son deuxième film, School Daze. C’est peut-être pourquoi la critique a très peu porté son attention sur l’aspect musical du film au profit du message politique.

School Daze, comme beaucoup de films de Spike Lee, ne se prête pas à l’étiquetage des genres. L’action se déroule sur le campus d’une université noire du Sud des Etats-Unis modelée sur celle où Spike Lee a fait ses études (Morehouse College – Atlanta, Georgia). Dap Dunlap (Larry Fishburne) organise le mouvement de désinvestissement de son université qui, comme toutes les grandes institutions privées américaines, avait investi de l’argent en Afrique du Sud. Il s’oppose à Julian / Big Brother All-Mighty (Giancarlo Esposito) qui dirige d’une main de fer la fraternité Gamma-Phi-Gamma dont le cousin de Dap, Half-Pint (Spike Lee) veut devenir membre. Les deux groupes ont leurs contreparties féminines, les Gamma Rays et les Jigaboos. Les Gamma Rays font partie d’une sororité où il est difficile d’être acceptée si l’on n’a pas le teint clair. Les Jigaboos (les « négresses »), ainsi nommées par les Gamma Rays parce qu’elles gardent leurs cheveux crépus et qu’elles ont la peau plus foncée, nomment les Gamma Rays des Wannabees (want-to-be), sous-entendant qu’elles cherchent à être blanches. C’est le thème du premier numéro de danse du film : les Jigaboos et les Wannabees se confrontent dans un salon de coiffure, le « Madame Re-Re’s » – en hommage à Aretha Franklin. Le morceau composé par Bill Lee, jazz man et père de Spike, s’intitule « Straight and Nappy » (cheveux lisses et cheveux crépus) et évoque la distinction traditionnelle, aujourd’hui politiquement incorrecte, entre les « bons » et les « mauvais » cheveux (« good and bad hair »), les métisses ayant des « bons » cheveux, les autres optant le plus souvent pour le défrisage.
Elément central du film, ce conflit entre les Noirs en fonction de leur couleur de peau, que Spike Lee avoue avoir exagéré pour les besoins du film, est évidemment fort complexe. Spike Lee a d’ailleurs intelligemment choisi de donner à Larry Fishburne, plus clair que Giancarlo Esposito, le rôle du militant politique. Il s’agit en effet d’un conflit plus large qui opposent les Noirs politisés à ceux qui acceptent le statu quo, en partie parce que grâce à leur position sociale, leur éducation ou même leur couleur de peau, ils se contentent d’appartenir à une caste intermédiaire qui se serait établie au sein de la communauté noire. Cette division n’est pas nouvelle. On peut la faire remonter aux temps de l’esclavage où les maîtres avaient tendance à favoriser leur progéniture métisse en les employant comme domestique, leur évitant ainsi le travail des champs. Les esclaves des champs ne s’opposaient pas aux Wannabees mais aux « house negroes »; les esclaves domestiques ne parlaient pas des Jigaboos mais des « field negroes », deux expressions encore en usage aujourd’hui. School Daze offre une analyse du positionnement de chacun en fonction de sa couleur de peau. Ainsi les femmes à la peau claire sont de toute évidence considérées plus attirantes. En revanche Rachel accuse Dap de n’être avec elle que parce qu’elle a la peau foncée, ce qui sert son image de militant afro-centriste. Dap se défend de ces accusations sans grande conviction. Comme le montre très bien l’excellent documentaire de Kathy Sandler, A Question of Color (1993), clair ou foncé, chacun est conscient de son apparence et doit l’assumer.
Pourquoi Spike Lee a-t-il choisi la comédie musicale pour exprimer son propos ? En fait, School Daze se déroule pendant le week-end de « Homecoming » où les anciens diplômés reviennent faire la fête et assister au match de football. « La musique fait partie intégrale du week-end de Homecoming dans une fac noire, c’est pour ça que je voulais que School Daze soit une semi-comédie musicale. » Spike Lee ne conçoit donc pas complètement School Daze comme une comédie musicale. Il y a pourtant suffisamment de numéros de danse pour satisfaire les critères du genre. « Da Butt », le morceau joué par le groupe EU à la soirée finale, assorti de sa danse de trémoussage de fesses, fut d’ailleurs un des hits de 1988. Excepté « Straight and Nappy », les numéros s’intègrent au scénario de manière presque imperceptible, ils font partie des événements du week-end. Tisha Campbell, dans le rôle de Jane Toussaint, interprète « Be Alone Tonight » au spectacle de couronnement où elle sera d’ailleurs élue reine. Comme Diana Ross lorsqu’elle chantait avec les Supremes, Jane parle au milieu du morceau pour se remettre à chanter ensuite. Les deux scènes d’amour, une pour Dap et son amie Rachel, une pour Jane et Julian, sont entrecoupées de plans des musiciens et chanteurs qui offrent donc plus qu’un simple fond musical. Keith John interprète « I Can Only Be Me », une chanson écrite par Stevie Wonder qu’il a longtemps accompagné. Terrence Blanchard joue « Perfect Match » à la trompette pour Jane et Julian. Ces deux scènes, teintées au filtre bleu, servent manifestement de voile pudique. Après She’s Gotta Have It, Spike Lee choisit consciemment de minimiser les scènes de sexe. Suite à ces intermèdes nocturnes, les festivités de Homecoming se poursuivent avec la parade (musique et majorettes), le match de foot (pom-pom girls et danse dans les gradins) et le Step show où les Gamma Men et la bande de Dap font chacun un numéro de Step. Ils martèlent le sol selon une chorégraphie impressionnante de prouesse physique pour les premiers, de désinvolture contrôlée pour les seconds. Enfin le week-end se termine par la traditionnelle Jam Party que le film sacrifie quelque peu en se contentant de plans rapprochés des arrière-trains des étudiants (et étudiantes). Si l’on peut critiquer ce choix artistique, il assura manifestement le succès commercial du morceau.
La comédie musicale est donc justifiée par le Homecoming, un événement essentiellement musical. Ce choix artistique a en fait sans doute d’autres motivations. En 1988, Spike Lee n’est pas encore une institution. Son premier film est une comédie que le public et la presse ont apprécié parce qu’elle n’était que très superficiellement politique. Dans un mémo à la direction, Jeff Lipsky, employé chez Samuel Goldwyn, défend ce film qu’il espère distribuer : « Ce n’est pas un film social ; ici c’est le talent d’un individu qui s’exprime au lieu qu’un individu parle pour son groupe ethnique ou pour une cause. » School Daze en revanche a des objectifs plus ambitieux, et Spike Lee comprend bien que pour un studio hollywoodien, un Noir qui fait de la musique fera moins peur qu’un Noir qui fait de la politique.

///Article N° : 1989

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