Un peuple se soulève. Un président quitte ses fonctions. Un gouvernement de transition est nommé. Et pendant ce temps-là, les opérateurs culturels continuent de s’activer. Qu’en est-il des rendez-vous phares des burkinabè ? Qu’est ce que cela change ou non pour eux ? Dans quel contexte ont-ils évolué ? Comment envisagent-ils l’avenir ? Cette semaine, cas d’école avec le Festival de contes Yeleen, qui se déroule à Bobo-Dioulasso depuis 1997.
Du 28 au 31 octobre 2014, le peuple burkinabè est sorti dans la rue pour mettre fin à la présidence de Blaise Compaoré, en poste depuis 27 ans, qui souhaitait modifier la Constitution pour être réélu en 2015. Suivant ce soulèvement populaire, de nombreuses infrastructures ont été incendiées et saccagées telles que l’Assemblée Nationale de Ouagadougou, la capitale ; le Palais de Justice et la mairie de Bobo-Dioulasso, seconde ville du pays. De nombreux dignitaires proches du pouvoir ont été démis de leur fonction ou se sont cachés par peur de représailles. Avec la menace sécuritaire et Ebola, des manifestations culturelles telles que le Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (SIAO), les Nuits atypiques de Koudougou et le Salon international de la littérature orale et du livre de jeunesse de Bobo-Dioulasso (SILLOB) ont été annulés fin 2014.
« Il n’y a pas eu beaucoup de festivaliers venant d’Occident mais l’Afrique était là« , reconnaît Charles Sidibé, secrétaire général de la Maison de la Parole, organisatrice du festival Yeleen, qui s’est tenu du 20 décembre 2014 au 2 janvier 2015 à Bobo-Dioulasso. « Il n’aurait pas été bon pour la crédibilité du festival d’être supprimé lors de sa 18e édition, rapporte Romaric Sanou, administrateur de la Maison de la Parole. C’est vrai qu’Ebola est un problème sérieux mais il ne doit pas avoir raison de la promotion de la culture car elle est le baromètre de la société et permet de consoler les gens de leurs problèmes « .
Soutenu par la commune de Bobo-Dioulasso, le Conseil Régional des Hauts-Bassins, l’Union économique et monétaire d’ouest-africaine (UEMOA), Africalia, l’Organisation internationale de la Francophonie et l’Institut Français, le Festival international de contes et des arts du récit Yeleen compte déjà 18 éditions à son compteur.
Basé à Bobo-Dioulasso, ville riche d’un million d’habitants, le festival bénéficie d’un emplacement au carrefour du Mali, de la Côte d’Ivoire et du Ghana.
Encourageant la valorisation des cultures orales et promouvant des conteurs du monde entier, Yeleen s’articule chaque année autour de thématiques telles que « La place de la femme dans la pratique moderne du conte » (2012), « Raconte-moi chez toi » (2013), « Oralité entre tradition et modernité » (2014)
Si les sujets abordées ne sont jamais entrées en conflit avec la gouvernance du président Blaise Compaoré (1987-2014), un incident diplomatique a néanmoins frappé en 2013 le festival : un conteur béninois, critiquant dans son spectacle le système politique français, a conduit l’Institut Français de Ouagadougou à ne pas programmer de spectacle du festival l’année suivante
« Maintenant, nous aurons des garde-fous dans le choix de nos conteurs« , affirme Romaric Sanou.
Pour comprendre la genèse du festival Yeleen, il faut remonter à 1995, année où le comédien et griot Sotigui Kouyaté décide de léguer à ses fils une parcelle du quartier Diarradougou (le « village des lions », NDLR).
Hassane, Dani et Papa Kouyaté font ainsi construire le Centre Djeliya (1), espace d’accueil, de rencontres et d’échanges à vocation sociale et culturelle. Pour financer les travaux, des amis du Cercle Galante d’Avignon (structure d’échanges culturels Nord/Sud, NDLR), créent l’association Djéliya Internationale. Des camps de jeunes sont organisés et l’acteur, metteur en scène et conteur Hassane Kouyaté met en place une vente de briques à l’occasion de ses spectacles en Europe. « Il demandait aux spectateurs intéressés de financer l’achat de briques, raconte Romaric Sanou de la Maison de la Parole. Beaucoup de gens ont adhéré « . Sur le principe d’1 franc = 1 brique de banco, l’association parvient à finaliser le Centre Djéliya en 2002.
Entre temps, Hassane Kouyaté convie ceux qui le souhaitent à participer aux travaux à Bobo-Dioulasso. « Une fois sur place, il fallait occuper ces visiteurs venus pour un projet noble. C’est ainsi que des soirées contées ont été organisées en collaboration avec les vieux du quartier de Diarradougou, rapporte encore Romaric Sanou. L’année suivante, les vieux se sont cotisés et sont venus voir le président de l’association pour lui donner l’argent : « Ce que vous avez commencé, on ne veut pas que ça s’arrête car ce que vous faites est très important pour la culture burkinabè et mondiale »« . Ainsi naquit en 1997 le Festival de contes Yeleen, présidé par Hassane Kouyaté, directeur depuis novembre 2014 de l’établissement public de coopération culturelle de la Martinique (2).
Depuis sa création, le Festival Yeleen démarre durant trois jours à Ouagadougou puis se déroule pendant une semaine à Bobo-Dioulasso. Avec un engouement international puisque les éditions réunissent jusqu’à 500 invités venant d’Algérie, de Belgique, du Brésil, du Canada, de France, du Liban, du Maroc, de Suisse… L’ampleur de ces invitations a d’ailleurs bénéficié à l’ensemble du Burkina Faso : « Sans vouloir nous jeter des fleurs, c’est grâce au festival que Air Algérie a ouvert une ligne au Burkina Faso, avance Romaric Sanou. Le président et les organisateurs ont pris contact avec eux. Comme le festival dure un peu, l’avion ne pouvait pas repartir vide donc ils ont embarqué des passagers et ouvert la ligne en même temps« .
Point intéressant du festival Yeleen, l’impact local voulu par ses organisateurs. Pour participer au festival, les spectateurs peuvent souscrire à plusieurs formules tels que la formule Festivalier (vol, hébergement, demi-pension, déplacements nationaux, spectacles), la formule Festivalier-stagiaire (vol, hébergement, demi-pension, déplacements nationaux, stage, spectacles), la formule simple (hébergement, visites, déplacements nationaux, spectacles) ou le stage simple (3).
Avant leur arrivée, les festivaliers doivent choisir entre trois types de logement : hôtel, villa ou chez l’habitant. « Le Centre Djéliya répertorie les logements pour savoir ce qu’il faut améliorer : lumière, peinture
explique Charles Sidibé. Pour ce qui est de la restauration, tous les festivaliers mangent ensemble au Centre Djéliya« . « Le festival a un aspect social, ajoute Romaric Sanou. Nous devons faire en sorte qu’il contribue un peu à la qualité de vie des habitants. Chaque modèle de logement a un coût et une contribution est attendue. Les cours sélectionnées reçoivent de l’argent pour réparer leurs latrines, l’électricité
Et avoir un impact sur la vie des populations« .
La vie des populations a été depuis longtemps marquée par le sigle de capitale culturelle attribué sous Thomas Sankara (président de 1983 à 1987 et assassiné en 1987, NDLR) à la ville de Bobo-Dioulasso. Depuis 1983, Bobo héberge tous les deux ans la Semaine Nationale de la Culture (4). Cependant, si l’on en croit Romaric Sanou, les événements culturels burkinabè ont majoritairement lieu à Ouagadougou, capitale économique du pays : « Les évènements pauvres sont ici. On pourrait au moins en décentraliser ! Le Fespaco fait semblant (5), on ne voit rien du Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (SIAO), alors que nous sommes « culturellement cultivés » (traditionnellement habitué au mélange culturel, NDLR). Malheureusement, comme l’économie, on veut tout déporter à Ouagadougou. « Capitale culturelle », ce ne sont que des mots« . Un point de vue contrebalancé par Ousmane Boundaoane, opérateur culturel burkinabè dont Bobo-Dioulasso est la ville préférée : « Il ne faut pas exagérer. Les bobolais aiment mettent toujours en avant la concurrence Bobo-Ouaga comme Paris et Marseille en France. Bobo-Dioulasso – Sya pour les anciens – a failli être la capitale du pays du temps de la colonisation parce qu’elle était un carrefour entre la kola du Sud, les céréales du Nord, le commerce du tissu et du sel C’est la première ville en terme de traces, là d’où viennent les premiers orchestres et Lompolo Koné, le père du théâtre moderne burkinabè. Il suffit de comparer le musée de la musique de Bobo et celui de Ouaga, cela n’a rien à voir ! Celui de Bobo donne envie alors que celui de Ouaga est vide de contenu« .
Quant aux infrastructures culturelles, elles sont peu nombreuses.
Le théâtre de l’Amitié, équipement municipal de plein air d’une capacité de 2000 places créé sous la Révolution – au même titre que les théâtres populaire de Ouagadougou (devenu en 2006, Centre de développement chorégraphique La Termitière) et de Koudougou – ne peut par exemple qu’accueillir des spectacles le soir (en raison du soleil) et en dehors de la saison des pluies.
La Maison de la Culture, construite en 2010 à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance, ne répond pas non plus aux normes acoustiques locales : « Ils l’ont construite sans impliquer les acteurs culturels, rapporte Romaric Sanou. Ils sont allés prendre un joyau d’une autre réalité et l’ont déposé à Bobo. Le directeur m’a dit que chaque événement lui coûte 500 000FCFA (883) et que, pour faire des bénéfices, il est obligé de louer le lieu à 800 000FCA (1413), tout simplement parce qu’il n’y a qu’une seule personne dans toute la sous-région qui sait faire fonctionner la climatisation et que son déplacement coûte 300 000FCFA (500) ! L’infrastructure est là mais n’est pas exploitée. Personne n’est prêt à débourser 2000FCFA (3,50) ou 3000FCFA (5,30) pour suivre un spectacle. Et avec ces prix d’entrée, on ne peut pas rentabiliser la salle puisqu’il faut rémunérer les artistes et payer les frais de communication« .
Un état des lieux qu’Ousmane Boundaone concède, mais tempère néanmoins. « C’est une bêtise urbanistique. On dirait une soucoupe volante
On fait le contenant et après on se demande ce qu’on va y faire. Le bâtiment existe depuis 2010 mais c’est en 2014 que nous avons rédigé les textes de fonctionnement, un projet artistique
(rires). Mais ça existe. Il faut l’utiliser, la rentabiliser, l’habiter. Pour moi, Bobo n’est pas mal équipé. Ceux qui veulent s’exprimer peuvent le faire. Et ce que l’on oublie souvent, c’est que la plupart des grands artistes burkinabè viennent de cette ville : Gaston Kaboré pour le cinéma, la famille Kouyaté et Moussa Sanou pour le théâtre, Serge Coulibaly pour la danse et le plus grand groupe de musique, Farafina« .
Autre impact local, la création de la Maison de la Parole qui découle du festival Yeleen. Créée en 2001, cette Maison située dans le quartier Daccart-Ville de Bobo-Dioulasso pilote le festival mais aussi d’autres activités tels que le Salon international de la littérature orale et du livre de jeunesse de Bobo-Dioulasso (SILLOB) depuis 2008 et Afrifôgo (contraction des mots Afrique et fôgo « le cercle » en dioula), plate-forme des arts de la parole visant, depuis 2012, à professionnaliser au Burkina Faso, au Niger et au Mali le secteur du conte. Si le festival Yeleen est essentiellement composé d’organisateurs bénévoles, deux postes équivalent temps plein ont pu être financé grâce au projet Afrifôgo soutenu par l’organisation belge Africalia.
Pour sa prochaine édition qui se tiendra du 19 décembre 2015 au 2 janvier 2016 avec pour thématique : « Les enjeux de la conservation du patrimoine immatériel et du conte en particulier dans les pays de l’Afrique de l’Ouest« , le Festival Yeleen bénéficiera d’un partenariat longue durée avec l’UEMOA qui permettra la participation d’associations des pays membres, d’instituer pour la première fois un Prix du meilleur conte de permettre la circulation dudit spectacle dans les pays membres. « Nous profiterons de ce partenariat pour relancer notre festival à l’international, refaire notre site internet et faire revenir nos centaines de festivaliers« , précise Romaric Sanou.
L’un des projets phare de la Maison de la Parole, outre la construction d’une salle de spectacles sur son toit, sera aussi de créer un Centre régional des arts du récit et de la littérature orale à Bobo-Dioulasso. « Nous avons déjà acquis un terrain et fait la clôture grâce au soutien de la Banque Mondiale et sommes à la recherche de partenaires financiers pour le construire « . Ce centre universitaire réunira à la fois des chercheurs, un médiateur qui collectera et conservera des contes et une salle de spectacles couverte ainsi qu’un studio d’enregistrement.
Enfin, pour permettre au SILLOB d’avoir lieu cette année, la fin du salon deviendra la partie Recherche du festival Yeleen et coïncidera avec le début de la manifestation.
Claire Diao, à Bobo-Dioulasso
(1)Voir le site du Centre Djéliya
(2)Lire le communiqué du Ministère de la culture et de la communication français
(3)Ces formules sont en train d’évoluer avec le soutien de l’Union économique et monétaire (UEMOA) d’Afrique de l’Ouest.
(4)Voir le site de la Semaine Nationale de la Culture
(5)Le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), l’un des événements culturels majeurs du Burkina Faso, organise à chaque édition un décrochage de quelques jours à Bobo-Dioulasso sans grande communication ni visibilité. L’ouverture prochaine du Ciné Guimbi dans le quartier Koko de Bobo-Dioulasso changera peut-être la donne.Lire l’entretien de
Sylvie Chalaye avec Hassane Kouyaté///Article N° : 12851