Faten RIDENE, enseignante-chercheuse en cinéma et audiovisuel, propose une lecture du point presse de la Cinémathèque tunisienne durant la 33e édition du Festival international du film amateur de Kélibia (FIFAK) qui s’est déroulée du 12 au 18 août 2018 en Tunisie. Pour rappel, nous avions publié la conférence de présentation de la Cinémathèque tunisienne à lire ici.
Ayant débuté en 1958 en tant qu’une association, sous la houlette de Sophie El Goulli (Challouf, et al., 2017), et souffert de plusieurs obstacles[i] tout au long de cinq décennies qui ont suivi ce déclenchement, voilà que la cinémathèque tunisienne voit enfin le jour.
Dans le cadre de la 33ème édition du FIFAK[ii] 2018, et à travers un point de presse (fig.1) qu’il intitule : La Cinémathèque Tunisienne – défis & enjeux d’un projet en construction, M. Hichem Ben Ammar, le directeur, accompagné par sa nouvelle équipe, une représentante du Centre National du Cinéma et de l’Image ainsi que le président du FIFAK, déclare fragile la situation de la cinémathèque, due à son court âge de quelques mois, mais dont les attentes témoignent un programme équilibré et fructueux avec la rentrée de la prochaine saison culturelle, dont le lancement est prévu pour le 18 septembre 2018.
Malgré les obstacles que peut rencontrer un projet pendant son installation, de remarquables avancements distinguent le labeur de la cinémathèque, à travers des travaux réalisés depuis sa fondation en parallèle avec la cité de la culture le 21 mars 2018, que M. Ben Aammar a donné sous la forme d’une Esquisse d’un premier Bilan (Ammar, 2018) en projetant des extraits des événements déjà réalisés, regroupant des expositions, des master class, des cycles de projections par thèmes… D’ailleurs, selon M. Ben Ammar, la cinémathèque témoigne un premier trimestre prometteur, vu que durant ce très jeune âge elle a regroupé : 30 Cycles thématiques et rétrospectives, 2 Expositions fig.2 (Claudia Cardinale[iii] & Cinéma Algérien[iv]), 8 Invités étrangers, 4 Leçons de cinéma (Jilani Saadi, Mohamed Malas, Ruth Panh, Mohamed Bakri), 6 festivals hébergés entre Mars et Juillet (Semaine du Film Francophone, Doc à Tunis, Film Festival Academy, Festival du Cinéma Tunisien, Fare Cinema, Manarat) (Ammar, 2018) ; ce qui nous emmène à confirmer, compte tenu de ces quelques mois, une qualité ‘marathonique’ qui distingue toutes les manifestations qui ont eu lieu, depuis l’inauguration officielle et jusqu’à l’écriture de ces quelques lignes.
En termes de nombre de films projetés à la cinémathèque entre le 21 mars et le 31 mai 2018, que ce soit en parallèle ou d’une manière asynchrone, entre les deux salles Omar Khelifi (350 places) et Taher Chriâa (150 places) ; M. Ben Ammar a annoncé que cette courte période a inclus un total de 231 œuvres projetées, réparties en 124 long-métrages et 107 courts, 174 de fiction et 51 documentaires, une animation, 20 films pour enfants (dont 12 courts métrages). Le nombre de films tunisiens (longs/courts/documentaires/fictions) représente 47 % de la totalité des films projetés depuis l’ouverture.
Quant aux droits d’auteurs pour la projection de ces films, quête longuement traitée par l’OTDAV[v] (en collaboration avec le ministère des affaires culturelles, par le lancement d’un appel à participation (Annexe 2) pour réaliser des spots de sensibilisation dont les gagnants ont été hébergés sur le site officiel de l’OTDAV le 26 avril 2018 : journée annuelle mondiale de la propriété intellectuelle) ; la cinémathèque peut être considérée comme un exemple à suivre, compte tenu de sa sensibilisation implicite, en se positionnant légalement vis-à-vis des ayants droits. Le labeur de la cinémathèque, au sujet des droits d’auteurs, figure au fait que tous les films qui y furent projetés ont fait l’objet d’une demande auprès des ayants droits (Ammar, 2018). Madame Rym Nakhli[vi] a effectué plusieurs négociations avec soit des producteurs soit des distributeurs, tout en devant s’adresser aux bons ayants droits, pouvant être parfois deux entreprises de mêmes nationalités ou même de nationalités différentes (Ammar, 2018). Madame Nakhli, suite à de telles négociations, peut obtenir le meilleur prix, ou dans les meilleurs des cas la gratuité d’une seule projection. Et pour cette première période d’activité de la cinémathèque, Le CNCI [vii]a payé des droits d’auteurs et droits voisins pour 35 films sur le total des 231 projetés, variant de 100 € pour un documentaire à 750 € pour un films récent. Le montant le plus pratiqué après négociation était d’une valeur de 250 € : cela se négocie au cas par cas (Ammar, 2018).
Parfois, ces frais sont payés par l’IFT[viii], l’ICIt[ix] ou le GI[x] dans le cadre de leurs conventions de partenariat avec le CNCI, pour une seule projection dans une des salles de la cinémathèque. Pour la convention de partenariat avec l’ICIt par exemple, signée le 26 mars 2018, l’institut culturel italien était chargé de contribuer pour l’année 2018 avec un montant global de 7000 € qui englobe la mise en œuvre d’expositions relatives au cinéma italien, l’acquisition de droits de projections de films italiens en Tunisie, ainsi que la circulation des cinéastes tunisiens et italiens dans les deux sens (CNCI, 2018).
Dans son discours, M. Ben Ammar a aussi surligné l’adhésion de la cinémathèque à la FIAF[xi], qui regroupe plus de 150 archives dans 75 pays et n’admet que les cinémathèques ayant une vocation et des attributions régies par des statuts clairs, et dans laquelle, la cinémathèque tunisienne peut postuler pour être un membre observateur pendant 3 ans (Ammar, 2018) étant donné qu’elle vient juste de s’installer. Une fois accomplie cette position d’observateur, en enrichissant notre patrimoine cinématographique sauvegardé au fil du temps, la cinémathèque tunisienne deviendrait apte pour intégrer un énorme réseau de solidarité inter-cinémathèques.
En attendant la faisabilité de ce projet à long terme, la cinémathèque dispose déjà d’enjeux immédiats tels que son règlement intérieur, son manuel de procédures, sa structuration de l’équipe, son budget de fonctionnement, son budget d’équipement ainsi que son conseil d’orientation (Ammar, 2018) ; quant au moyen terme, M. Ben Ammar a annoncé un programme qui s’échelonne sur trois axes : une diffusion didactique (par l’organisation de cercles de débats entre doctorants/chercheurs/enseignants), une conservation et une sauvegarde du patrimoine cinématographique, ainsi qu’un programme de numérisation et de restauration.
A ce niveau, M. Ben Ammar a cédé la parole à M. Chahine Berriche[xii], qui expliquait que la phase d’identification de stocks a eu lieu en effectuant un test d’acidité au local de la bibliothèque nationale, en utilisant des bandes de détection fig.3 du « Syndrome du Vinaigre » (Berriche, 2018). Cette partie de l’archive serait aménagée avec des rayonnages et l’entretien de l’installation hygrométrique (Challouf, et al., 2017). Quant au rapatriement de ces films et toute autre œuvre cinématographique qui fait partie de l’archive nationale du cinéma en parvenant d’autres emplacements, il doit être conditionné selon M. Ben Ammar, par : l’identification des films notamment en France, un règlement de contentieux, l’obtention de copies et / ou de négatifs tout en respectant les normes de conservation ainsi que les droits de la propriété intellectuelle. Le plus aisé dans cette sauvegarde estimée de notre patrimoine cinématographique est notamment l’archive du FIFAK, vue la facilité d’acquisition de ces œuvres, qui ne furent point sujet d’une exploitation à l’étranger, et surtout du fait que la totalité de ces œuvres fut filmée en Tunisie.
Tout au long de son discours, et en exposant des problématiques fondamentales qui distinguent l’avenir de la cinémathèque pendant cette ‘phase de tâtonnement expérimental’ (Ammar, 2018), M. Ben Ammar insistait sur le fait que la Cinémathèque Tunisienne ne cesse de renforcer notre culture cinématographique, en nous appelant à nous baser sur les mêmes principes qu’installa l’idole Tahar Chriâa – paix à son âme – ; c’est une mission ornée de synergie, un terme que M. Ben Ammar ne cesse de répéter pendant son intervention, faisant appel à toute collaboration possible, voire tout intérêt que puissent réserver les différentes personnes et institutions liées à cette problématique, unies par leur nationalité tunisienne, donc leur identité, et que chacun devrait défendre depuis son emplacement, qu’il soit un ministère, un établissement public, un cinéaste, un journaliste, un chercheur, un cinéphile, un activiste culturel ou un simple spectateur.
Références
Ammar Hichem Ben Demande de clarification sur votrepoint de presse [Interview]. – 21 Aout 2018. – Interview via le réseau social facebook.
Ammar Hichem Ben La Cinémathèque Tunisienne: Défis & Enjeux d’Un Projet en Construction [Conférence] // Point de Presse-17 Août 2018-33ème édition du FIFAK. – Kélibia : [s.n.], 2018.
Berriche Chehine La Cinémathèque Tunisienne: Défis & Enjeux d’Un Projet en Construction [Conférence] // Point de Presse-17 Août 2018-33ème édition du FIFAK. – Kélibia : [s.n.], 2018.
Challouf Mohamed et Ammar Hichem Ben Longue Marche de la Cinémathèque Tunisienne [En ligne] // Africultures.Com / éd. Barlet Olivier. – DigiCube SAS, 21 Novembre 2017. – Décembre 2017. – http://africultures.com/longue-marche-de-cinematheque-tunisienne-14333/. – 0918 W 91080.
CNCI Convention cadre de partenariat entre le CNCI et l’Institut Culturel Italien à Tunis [En ligne] // CNCI.tn. – 26 Mars 2018. – 21 Aout 2018. – https://www.cnci.tn/#/resources/cinema.
CNCI Convention de partenariat entre le CNCI et l’Institut Culturel Italien à Tunis [En ligne] // CNCI.tn. – 26 Mars 2018. – 21 Aout 2018. – https://www.cnci.tn/#/resources/cinema.
Cunci Delphine Ernotte L’affiche du festival de Cannes 2017 dévoilée [En ligne] // FranceInfo / éd. Télévisions France. – Mars 2017. – 22 Mai 2017. – https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/alpes-maritimes/cannes/affiche-du-festival-cannes-2017-devoilee-1223683.html.
Annexe 1 : Liste des Films Choisis par Claudia Cardinale pour l’Hommage qui lui a été rendu pendant l’inauguration de la Cinémathèque
Programme de la cinémathèque de la Cité de la culture
Du 21 au 25 mars 2018, Hommage à Claudia Cardinale
Inauguration de la cinémathèque
Mercredi 21 mars 2018
20h00
La cérémonie d’inauguration de la cinémathèque de la Cité de la culture aura lieu mercredi 21 mars 2018 avec un hommage à Claudia Cardinale à 20h00 à la salle Ammar Khlifi
Le programme de la cérémonie se déroulera comme suit :
20h00 : Cocktail de bienvenue au CNCI (2ème étage)
20h30 : Inauguration de la salle Omar Khlifi
Bref récital donné par les jeunes virtuoses Ons Ben Romdhane et Sélim Khammassi (musiques de films de Nina Rota, Ennio Morricone et de Jandal)
21h00 : Ouverture de la cérémonie par Mame Chiraz Latiri Directrice générale du CNCI
Allocution de Mr Mohamed Zinelabidine, Ministre des Affaires culturelles
Présentation de Mr Hichem Ben Ammar, Directeur artistique de la Cinémathèque tunisienne
Présentation de Mme Claudia Cardinale par Mr Mohamed Challouf
Discours de Mme Claudia Cardinale
21h30 : Projection
Casting de Claudia Cardinale pour entrer au Centro Sperimentale di Cinematografia
Salesel Min Dhahab de Mustapha farsi et René Vautier, 1955
Goha de Jacques Baratier, 1957
Les projections cinématographiques programmées par la Cinémathèque tunisienne se poursuivront en hommage à l’actrice Claudia Cardinale du jeudi 22 au dimanche 25 mars conformément au programme suivant :
Mercredi 21 mars 2018
21H 30 : SALESEL MIN DHAHAB (CHAÎNE D’OR) de RENÉ VAUTIER, 1955, Tunisie /France, 18
GOHA (GOHA LE SIMPLE) de JACQUES BARATIER, 1957, Tunisie / France, 83
Jeudi 22 mars 2018
15H00 : IL BELL’ ANTONIO (LE BEL ANTONIO) de Mauro Bolognini, 1960, Italie / France, 105
17H30 : CLAUDIA CARDINALE LA PLUS BELLE ITALIENNE DE TUNIS de MAHMOUD BEN MAHMOUD, 1994, Tunisie, 26
LA VIACCIA (LE MAUVAIS CHEMIN )de MAURO BOLOGNINI, 1961, Italie, 106
20H00 : OTTO E MEZZO (HUIT ET DEMI) de FEDERICO FELLINI, 1963, Italie / France, 138
Vendredi 23 mars 2018
15H00 : THE PINK PANTHER (LA PANTHÈRE ROSE) de BLAKE EDWARDS, 1963, USA, 115’
17H30 : LA RAGAZZA CON LA VALIGIA (LA FILLE À LA VALISE) de VALERIO ZURLINI, 1960, Italie / France, 121
20H00 : ONCE UPON A TIME IN THE WEST (IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L’OUEST) de SERGIO LEONE, 1968, Italie / USA, 165
Samedi 24 mars 2018
15H : 00 :LES ÉCUELLES de IDRISSA OUÉDRAOGO, 1983, Burkina Faso, 11
YAABA de IDRISSA OUÉDRAOGO, 1989, Burkina Faso, 90
17H30 : VAGHE STELLE DELL’ORSA (SANDRA) de LUCHINO VISCONTI, 1965, Italie, 105
20H00 : IL GATTOPARDO (LE GUÉPARD) de LUCHINO VISCONTI, 1963, Italie / France, 153
Dimanche 25 mars 2018
10H00 : CIRCUS WORLD(LE PLUS GRAND CIRQUE DU MONDE) de HENRY HATHAWAY, 1964 USA, 135’
15H : 00 : UNA GITA A ROMA de KARIN PROIA, 2017, Italie, 110
17H30 : UN ÉTÉ À LA GOULETTE de FÉRID BOUGHEDIR, 1996, Tunisie / France / Belgique, 89
20H : 00 : ATTO DI DOLORE (ACTE D’AMOUR) de PASQUALE SQUITIERI, 1990, Italie / France, 108
Pour plus d’informations : Tel : 70 028 311 / Fax : 70 028 312
Email : [email protected], Mobile : Houda 55100141
Annexe 2 : Appel à propositions de l’OTDAV : Spots de sensibilisation aux droits d’auteurs et droits voisins
Annexe 3 : Convention de partenariat entre le CNCI et l’ICIt
Notes
[i] Les obstacles qui empêchaient l’installation et le progrès de la cinémathèque, varièrent entre manque de locaux dédiés à la conservation et à la diffusion (Challouf, et al., 2017), disparition de la SATPEC en 1992, interruption du chantier de la Cité de la culture suite à la révolution 2011…
[ii] FIFAK : Festival International des Films d’Amateurs de Kélibia
[iii] Pour Claudia Cardinale, la star Tuniso-italienne, une exposition lui fût dédiée comme hommage en parallèle avec l’inauguration de la cité de la Culture et La Cinémathèque du 21 Mars au 22 Juin 2018. Et vue l’empreinte qu’a laissé cette actrice, – choisie comme égérie pour l’affiche du 70ème anniversaire du festival de Cannes (Cunci, 2017) – Monsieur Ben Ammar lui a attribué une carte blanche pour le choix de ses films (Annexe 1) qui auraient été projetés, en disant qu’il exploite l’avis des stars encore vivants, avant de les perdre (Ammar, 2018).
[iv] Le 5 Juillet 2018, date du 56ème anniversaire de la fête d’indépendance de l’Algérie, était un choix parfait comme date d’inauguration de l’exposition des affiches de films algériens, qui leur rend hommage, en mettant en évidence un cinéma de résistance, signé par des réalisateurs militants. Parmi les affiches exposées, figure celle de l’unique œuvre arabe primée de la palme d’or au festival de Cannes en 1975: Chronique des Années de Braise de Mohamed Lakhdar Hamina et Moissons d’Acier de Ghouti Ben Deddouche primé du grand prix l’épée d’or du festival de Damas en 1983 (l’actrice tunisienne Zohra Faiza interprétait dans ce film le rôle de Zohra (même prénom) la maman d’une des victimes des terrains minés dont le village Selmania aux frontières de l’Atlas – Algérie)
[v] OTDAV : Organisme Tunisien des Droits d’Auteur et des Droits Voisins créé en vertu du décret N°2860-2013 pour remplacer l’OTPDA : Organisme Tunisien de Protection des Droits d’Auteur (OTPDA) qui est entré effectivement en activité en novembre 1997.
[vi] Madame Rym Nakhli est l’assistante de direction de la Cinémathèque, chargée de l’acquisition des droits de projection des films.
[vii] CNCI : Centre National de Cinéma et de l’Image, créé par la promulgation du décret-loi N° 86/2011 en date du 13/Septembre 2011.
[viii]IFT : Institut Français de Tunisie
[ix] ICIt : Institut Culturel Italien
[x] GI : Goethe Institut : Le Goethe-Institut est l’institut culturel de la République fédérale d’Allemagne actif au niveau mondial
[xi] FIAF : Fédération Internationale des Archives de Films
[xii] Mr Chahine Berriche est un expert d’archive cinématographique et coordinateur de conservation de l’archive cinématographique à la Cinémathèque.
Un commentaire
Bravo ! Un travail serieux, bien etudie’ et minutieusement planifie’ ! En attendant voir ses activites a l’interieur du pays.. Bon vent et bon courage, M. Benammar et toute l’equipe. Sans oublier de remercier Mme. Faten Ridene, l’auteur de cet article/rapport bien detaille’, et la creatrice de cette page tant fructueuse !