Dakar : un festival Kaay Fecc plus populaire

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Sur la carte des festivals artistiques internationaux, Dakar est désormais connue pour sa biennale d’arts plastiques contemporains ‘Dak’Art’. Depuis 2001, se tient aussi dans la capitale sénégalaise une biennale chorégraphique, très audacieuse, dont le rayonnement ne cesse de croître. Du 1er au 5 juin 2005, s’est tenue la 3ème édition du  » festival de toutes les danses  » : Kaay Fecc.

Quelles surprise et prouesse à la fois ! Qui aurait imaginé que l’un des trois parrains de cette édition serait… la légende vivante de la lutte traditionnelle sénégalaise : Mohamed Ndao surnommé par tous  » Tyson  » ? En ralliant ce champion adulé, star parmi les stars, icône sportive de tout un pays, Kaay Fecc (prononcer Kaï Fetch) a non seulement réalisé un joli coup médiatique mais aussi affiché clairement une position idéologique et sociale.
Alors que toute une jeune génération de chorégraphes africains ne se définit plus que par une danse dite  » contemporaine « , intégrer la lutte traditionnelle à la programmation du festival et revendiquer sa richesse culturelle apparaît pour le moins significatif.  » Tyson a révolutionné la lutte. Il y a introduit une dimension chorégraphique, explique Nganti Towo, co-directrice du festival. Voilà pourquoi son soutien représente tant pour nous. Non seulement, il incarne parfaitement le génie de l’innovation. Mais encore, par son implication, il contribue fortement à valoriser notre festival et plus largement la danse au Sénégal. C’est important car pour nous, la danse doit être rattachée au monde.  »
Présent et longuement ovationné lors de la soirée d’inauguration, aux côtés de la ministre de la Culture, Mme Safiétou Ndiaye Diop, puis lors d’une séance enflammée de Bakk ( » lutte  » en wolof) à la Maison de la Culture Douta Seck,  » Tyson  » a indéniablement attiré vers le festival un public sénégalais plus large, composé de jeunes et d’adultes férus de culture populaire.
Une stratégie d’enracinement local
Mais le champion de lutte traditionnelle n’est pas le seul à avoir ancré davantage encore la manifestation dans son contexte national. Une série de choix opérés par l’équipe dirigeante marque nettement cette volonté.
Côté programmation tout d’abord : sur trente compagnies présentées, vingt-trois venaient du Sénégal. Pour la plupart, des ballets privés, plus ou moins professionnels, issus de différentes régions du pays. La précédente édition de Kaay Fecc, en 2003, faisait déjà une large place à ces troupes. Mais cette année, elles ont véritablement occupé le devant de la scène.
Cinq d’entre elles ont inauguré le festival, au Théâtre Daniel Sorano, par un spectacle intitulé  » Visages du Sénégal : rythmes et danses « . Orchestrés par Jean Tamba, co-directeur artistique de Kaay Fecc, et Massamba Guèye, présentateur de la manifestation, les Ballets Daradji, Bakalama, Kër Gi, Doomi Dialaw et Kandiof ont ainsi présenté un florilège de danses régionales : casamançaise, diola, peule, mandjack, sérère et wolof bien sûr avec une démonstration survoltée de ‘sabar’dansé par des fillettes virtuoses. Relativement peu innovant dans sa facture mais présentant des artistes de grand talent, ce spectacle a déchaîné l’enthousiasme du public en grande majorité sénégalais.
 » Les ballets représentent 90% de la danse au Sénégal, rappelle Gacirah Diagne, co-directrice du festival avec Nganti Towo*. L’un de nos objectifs est d’aider ces structures à se professionnaliser. Artistiquement, nous leur avons demandé de respecter une certaine authenticité dans les costumes, les coiffures… Administrativement, nous avons veillé à ce que chaque danseur perçoive un cachet. C’est un premier pas vers la reconnaissance locale de ces artistes. Même si le chemin reste encore long.  »
S’enraciner localement, augmenter et fidéliser le public : tels sont bien apparus les enjeux principaux de cette édition. Non seulement en maintenant, comme les années précédentes, la gratuité de tous les spectacles. Mais aussi en mettant à l’honneur les formes populaires de danse au Sénégal : la lutte, les ballets et… le hip hop ! En invitant la compagnie française Mayada mais surtout en organisant une  » Battle hip hop  » (concours entre danseurs) qui a rassemblé deux cents jeunes à la Maison de la Culture Douta Seck. Emblème de cette volonté, les trois parrains du festival cette année : le lutteur Tyson, le grand maître percussionniste Doudou Ndiaye Rose et le rappeur Didier Awadi, du groupe Positive Black Soul, leader du mouvement hip hop au Sénégal.
Une programmation trop foisonnante ?
Cette diversité, Kaay Fecc la revendique et l’assume comme l’une de ses spécificités.  » Festival de toutes les danses  » s’annonce-t-il sur l’affiche. Il y en a effectivement pour tous les goûts. De la compagnie très institutionnalisée de danse contemporaine française Claude Brumachon aux jeunes ballets locaux, parfois encore amateurs. De la nouvelle génération de chorégraphes africains (Cies Salia Nï Seydou, Tché Tché, 1er Temps, Dialaw’Art, Yeel’Art…) à la danse moderne coréenne (Cie Lee K. Dance) en passant par d’audacieuses aventures interculturelles (Cies Igi, Jant-Bi, Savog).
Comment articuler un tel foisonnement ? La programmation de cette édition multipliait les difficultés. Ramenée sur cinq jours au lieu de sept les éditions précédentes, elle devait présenter pas moins de 29 spectacles aux propos et aux esthétiques parfois très divergents.
Résultat, des soirées particulièrement chargées : six spectacles en moyenne s’enchaînant les uns après les autres. Difficile cependant de demander l’attention du public de 18 à 24h. Quelle qu’ait été la qualité des pièces, des signes de lassitude perturbaient les représentations en fin de soirée.
Mais c’est surtout un manque de lisibilité de la programmation que l’on a pu déplorer. En choisissant de combiner tous les jours les esthétiques dans un même ordre chronologique – plusieurs ballets néo-traditionnels puis des pièces dites contemporaines -, une impression de confusion s’est dégagée. Peut-on montrer dans une même continuité des formes quasiment folkloriques et des travaux de création et de recherche ? Cela ne brouille-t-il pas la spécificité de ces démarches ? Autant de questions apparues au fil du festival.
 » Notre programmation tente de refléter la tradition, les tendances actuelles et de soutenir le processus de création, affirme Nganti Towo. Nous ne voulons pas faire notre festival pour un public restreint. En mélangeant ainsi les genres, nous permettons à ceux venus pour les ballets de découvrir la création contemporaine et vice versa.  »
L’argument s’entend. Concrètement cependant, il est peut-être plus difficile d’être réceptif à un travail de recherche après avoir vu trois ballets… Les pièces de création ne se sont donc pas toujours produites dans les meilleures conditions. Ce qui n’a pas empêché les meilleures de s’imposer et de recueillir les faveurs du public. A commencer par celles de la compagnie burkinabè Salia Nï Seydou Weeleni, l’appel et le solo de Seydou Boro C’est-à-dire (cf. Africultures n°62).
Accueil très enthousiaste aussi pour la création audacieuse de la compagnie sénégalaise Jant-Bi Fagaala, autour d’un génocide. Chorégraphiée par la franco-sénégalaise Germaine Acogny et le Japonais Kota Yamazaki, la pièce se veut une exploration des traumatismes générés par le génocide rwandais. Si elle échoue selon nous dans sa référence à cet événement précis – apparaissant bien en-deça de la dimension de ce génocide, de sa portée, sa violence, son versant indicible -, elle témoigne cependant d’un travail de recherche intéressant. Croisant très nettement le vocabulaire africain de la  » technique Acogny  » et une esthétique et des gestuelles japonaises, les corps se dépouillent, s’embrasent, tentent d’explorer leur propre obscurité.
Bien plus subversif s’est révélé le solo dansé par la franco-béninoise Sophiatou Kossoko et chorégraphié par la sud-africaine Robyn Orlin. Although I live inside… my hair will always reach towards the sun… se situe entre la danse, le théâtre et la performance. Créée en France l’an passé, dans le cadre du programme de la SACD « Le Vif du Sujet », cette pièce déjantée questionne nos relations au pouvoir avec une bonne dose de dérision et de provocation. Vêtue (ou plutôt dévêtue) d’un maillot de bain pailletée de starlette, une énorme perruque afro sur la tête, Sophiatou Kossoko endosse le personnage d’une danseuse noire survoltée qui interpelle le public, lui demande de s’investir (en s’occupant notamment de l’eau qui ne cesse de s’écouler d’un robinet) pour finir par l’inviter à danser avec elle… non sans que chacun se soit auparavant déchaussé !
Enfin, deux jeunes compagnies sénégalaises se sont distinguées. ‘1er Temps’, créée par Andreya Ouamba en 2001, a fait part de ses recherches sur l’improvisation. Impro-Visé_2 met en scène ce dernier et son alter ego féminin Fatou Cissé. Si la recherche chorégraphique semble encore guidée, une indéniable qualité de geste et de présence ouvre sur un imaginaire intime et poétique. Un imaginaire contrasté, en clair-obscur, entre douleur et fatalité, que l’on retrouve dans le solo prometteur de Fatou Cissé Xalaat (Pensées) (lire notre entretien).
Plus légère s’affiche la compagnie Yeel’Art, fondée à Diourbel en 2002 par le jeune Hardo Ka. Sa seconde pièce Adama a su créer la surprise du festival. Son thème ? La jalousie dans un couple et le jeu d’amour-désamour. Sur scène, le longiligne Hardo Ka, 31 ans, et la belle Gnagna Guèye, 24 ans, accompagnés par deux musiciens traditionnels (au tama et au riiti -violon peul), proposent un duo dépouillé, théâtralisé, à la fois plein de passion et de pudeur. S’ils doivent certes encore développer leur recherche chorégraphique, la justesse de leur interprétation et de la dramaturgie méritent d’être saluées. Tout comme leur ouverture à des univers tant traditionnels (la culture peule) que populaires (la salsa). Au final, Yeel’Art a offert un beau moment de fraîcheur et d’émotion, sans fausse prétention mais avec une pointe d’humour qui a su séduire le public.
Allier enjeux locaux et internationaux
La plupart des spectacles se sont déroulés sur la scène de la Maison de la Culture Douta Seck. Construite spécialement pour et par le festival, cette installation reflète les difficultés rencontrées pour allier enjeux locaux et internationaux. D’un côté, en choisissant d’investir un lieu au cœur du quartier populaire de la Médina, Kaay Fecc affiche sa volonté d’attirer un large public. De l’autre, ce lieu ne disposant d’aucune infrastructure de spectacle, le festival doit prendre en charge l’installation de tout l’espace scénique… Un sérieux défi lorsque l’on connaît les difficultés pour se procurer du matériel technique en Afrique.
Soutenu dans ce domaine par l’Institut français de Dakar (ex CCF), le festival réussit néanmoins à monter un plateau professionnel. Mais comment répondre aux exigences techniques de toutes les compagnies, notamment internationales (Salia Nï Seydou, Pier Ndoumbé, Tché Tché, etc.), lorsque chaque soirée comprend six spectacles ? Comment accueillir un public de plus en plus nombreux en maintenant une bonne visibilité de la scène ? Si le professionnalisme de l’équipe technique ne fait aucun doute, les contraintes du lieu semblent cette année avoir dévoilé leurs limites.
Pourtant, l’une des grandes réussites du festival tient dans son village installé dans les jardins de la Maison de la Culture. Véritable centre névralgique, animé du matin au soir par une équipe de bénévoles, il se compose d’espaces de restauration, d’information et d’exposition ainsi que d’un marché d’artisanat d’une quinzaine de stands. Artistes, public et professionnels s’y rencontrent librement et échangent dans une atmosphère conviviale qui fait tout le charme du festival.
C’est aussi dans ce cadre que se déroulent les nombreuses animations : une magnifique exposition de photographies de danse signée Antoine Tempé et Elise Fitte-Duval ; des projections de films ; un forum sur le thème du  » partage d’un imaginaire de la paix et de la réconciliation  » et trois ateliers quotidiens.
Gratuits et ouverts au public, ces derniers remportent un vif succès. Leurs thèmes –  » danse et handicap  » ;  » danse et enfance  » et  » goûters de la danse  » (initiation à différentes danses) témoignent des engagements sociaux des directrices du festival. Le premier, animé par le chorégraphe franco-camerounais Pier Ndoumbé, a proposé aux remarquables danseurs handicapés et valides du Ballet Takku Ligguey et à ceux de l’Association des handicapés moteurs de Louga une réflexion sur le mouvement et une approche de l’improvisation.
Le second, dirigé par la célèbre fondatrice du Ki-Yi M’Bock d’Abidjan Were Were Liking, s’est adressé à une dizaine d’enfants des rues. En cinq jours, ces derniers ont (re)découvert la danse tout en réfléchissant à la notion d’environnement. Enfin, le dernier atelier se voulait un intense moment de partage de danses ouvert au plus grand nombre.
La singularité et l’intérêt de Kaay Fecc tiennent dans ce défi : répondre à des enjeux locaux et internationaux qui ne se recoupent pas nécessairement. Au regard de la satisfaction des compagnies (nationales et étrangères) et du nombre croissant de programmateurs occidentaux présents (cette année une quinzaine de personnes venues de France, Belgique, Allemagne, Etats-Unis, Tunisie, Monaco…), le pari semble en partie gagné.
Certes le festival peut sans doute encore approfondir et articuler ses choix mais il s’affirme déjà comme un rendez-vous culturel unique. Là s’invente, avec un professionnalisme remarquable, une façon originale de concilier cultures locale et globale. Souhaitons que l’équipe dirigeante bénéficie des moyens financiers nécessaires au développement de son activité. Nganti Towo aime rappeler :  » La question n’est pas de savoir comment danser mais dans quel monde voulons-nous danser ? « 

* Nganti Towo et Gacirah Diagne, co-directrices du festival, ont un parcours similaire. Métisses par leurs origines franco-africaines comme par leur nomadisme professionnel (elles ont vécu aux Etats-Unis et en France avant de s’établir au Sénégal), toutes deux ont une formation de danseuse et de chorégraphe. Les Compagnies présentes au festival
Compagnies sénégalaises : Cies Jant-Bi ; Yeel’Art ; 1er Temps ; Doomi Dialaw  ; Dialaw’Art ; Sobo Badé ; Pastef Ballet Théâtre ; Jalloré Danse Théâtre ; Nouveaux-Nés ; Pierre Sacrée ; Fatou Cissé.
Ballets Takku Ligguey ; Daradji ; Bakalama ; Kër gi ; Kandiof ; Simonew ; Forêt ; Ballet de l’association des handicapés moteurs de Louga ; Forêt Sacrée.
Autres compagnies : cie Brumachon ; cie Mayada (France) ; cie Igi (France-Bénin) ; cie Pier Ndoumbé (France-Cameroun) ; cie Lee K. Dance (Corée du Sud) ; cie Salia Nï Seydou (Burkina Faso) ; cie Tché Tché (Côte d’Ivoire) ; cie Savog (Togo-Allemagne).///Article N° : 3937

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Les images de l'article
Fagaala de la Cie Jant-Bi © Elise Fitte-Duval
Sophiatou Kossoko dans le solo écrit pour elle par Robyn Orlin © Elise Fitte-Duval
Sophiatou Kossoko dans le solo écrit pour elle par Robyn Orlin © Elise Fitte-Duval
Andreya Ouamba de la Cie 1er Temps © Elise Fitte-Duval
Perspective du Ballet Takku Ligguey © Elise Fitte-Duval





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