Bouffées d’air printanier

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Aux pessimistes de la culture sud-africaine, ceux qui ne se sont pas remis de la disparition de l’Orchestre symphonique national ou ceux qui boudent activement le festival annuel de Grahamstown (entre autres, parce qu’il est une vitrine de l’establishment et qu’il est sponsorisé par la Standard Bank), le printemps austral est venu apporter une bonne bouffée d’air frais. La scène culturelle s’est offerte en septembre une rentrée ponctuée d’événements désormais habituels, mais aussi d’innombrables nouveautés.

A Johannesburg, le festival Arts Alive a proposé, comme chaque année, un programme alléchant qui a mêlé artistes sud-africains et world, avec cette année la venue du chanteur sénégalais Cheikh Lo et de la diva péruvienne Susana Baca, sans oublier la formation jazz française de Michel Portal. Les festivals de jazz se sont succédé, chaque week-end, mais se sont moins ressemblés qu’à l’accoutumée. La venue de l’Américain Ronny Jordan a attiré les plus curieux des mélomanes sud-africains, qui se sont tous retrouvés au festival de jazz annuel du Zoo Lake, organisé dans un jardin public de Johannesburg. Les soirées house et kwaito de l’Electric Workshop, au centre de Jo’burg, ont été épicées par la venue de deejays français et l’apparition sur scène de la pulpeuse Lebo Mathosa. La chanteuse du groupe de kwaito Boom Shaka a commencé avec un premier CD (« Intro »), produit par son propre label (Mathosa Music), une carrière en solo qui s’annonce prometteuse.
Dans le tout nouveau centre de conférences du quartier chic de Sandton, la semaine de la mode sud-africaine a elle aussi drainé, comme chaque année, son lot d’afficionados – une petite élite compte tenu du prix des défilés : 150 rands l’entrée. L’intérêt de plus en plus soutenu pour les créateurs locaux des magazines de mode sud-africains, les versions nationales de Marie-Claire, Cosmopolitan et Elle, ont cependant sorti l’événement de sa confidentialité. Une exposition des collections printemps-été des jeunes créateurs, les Jenni Button, Craig Native et autres Nicola Frenkeil a par ailleurs cherché à élargir la clientèle des jeunes branchés qui fréquentent déjà les boutiques Young Designers Emporium, à Johannesburg et au Cap.
Fait peu habituel, dans une activité littéraire peu débordante : la parution, coup sur coup, de deux nouveaux romans. Farida Karodia, une romancière d’origine indienne récemment revenue de trente années d’exil, a retravaillé son premier roman (Daughters of the Twilight, 1986), et en a tiré une seconde œuvre, Other Secrets (Penguin Books). Elle a continué de broder sur le thème de la relation mère-fille, au temps de l’apartheid et dans la « nouvelle Afrique du Sud » contemporaine. Un auteur afrikaner, Etienne van Heerden, a quant à lui publié en afrikaans Die Swye van Mario Salviati (Tafelberg), le roman d’une quête situé dans les paysages rocailleux du Karoo.
Sur les planches, le « laboratoire » de l’incontournable Market Theatre, toujours à Johannesburg, a remonté la pièce TheatreSports, dont le succès a largement été éprouvé ces dernières années. La critique a salué, une nouvelle fois, cette série de scènes humoristiques improvisées par deux équipes multiraciales et polyglottes d’acteurs qui jouent l’une contre l’autre, comme des équipes de sport, avec l’audience comme arbitre, chargée de noter les uns et les autres.
Dans la plus grande salle du Market Theatre, la chorégraphe Robyn Orlin a enfin connu la consécration, chez elle, avec son spectacle « Daddy, I’ve seen this piece six times before and I still don’t know why they’re hurting each other » (papa, j’ai vu cette pièce six fois déjà et je ne sais toujours pas pourquoi ils se blessent les uns et les autres). Parfois déconcertante aux yeux du public sud-africain, la pièce repose sur un fil narratif : une troupe de danse qui doit se produire sans chorégraphe. Un prétexte pour parler de « Johannesburg », explique la chorégraphe, « de la façon dont les artistes se battent ici pour survivre ».
La survie, c’est bien le souci qui a sous-tendu l’ouverture d’un nouvel espace d’exposition, non loin de Norwood, le nouveau fief des noctambules de Johannesburg. L’ancienne centrale électrique d’Orange Grove, fraîchement repeinte et rebaptisée Spark !, a été inaugurée début septembre par une exposition « rock’n’roll » : des lampes dessinées par une star de la bande dessinée, Brett Murray et Conrad Botes. Au vernissage s’est pressée une jeunesse majoritairement blanche, amusée par les pin-ups aguicheuses, les grosses voitures et les Tintins noirs de Brett Murray. En ce nouveau lieu, un café a prévu d’ouvrir en octobre, de même que des ateliers d’artistes, qui seront installés dans les anciennes salles des machines. Les chômeurs de l’association Orchards Project qui ont lancé Spark ! suivront là des formations diverses et variées, dont bénéficieront d’autres associations de femmes, de chômeurs et de vendeurs de rue du township avoisinant d’Alexandra. Un bel exemple d’initiative qui sort des sentiers battus, mais aussi des carcans esthétiques, raciaux et sociaux qui continuent de marquer l’Afrique du Sud, aussi « nouvelle » soit-elle. 

///Article N° : 1562

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