Dans les pas de Gregory Maqoma

Danse l'Afrique danse 2012

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Le chorégraphe sud-africain a présenté, le dimanche 30 septembre 2012, sa dernière création, Wake up, une collaboration avec le Congolais Florent Mahoukou et leurs deux compagnies. Si l’écriture a eu lieu entre le Congo et l’Afrique du Sud, c’est Johannesbourg qui a eu la primeur de la création, dans le cadre de la 9e édition de la biennale Danse l’Afrique Danse ! (28septembre – 7 octobre 2012).

Dans le quartier de Newton, à Johannesbourg, un ensemble de bâtiment en briques rouge abrite plusieurs institutions de la culture sud-africaine, dédiées notamment à la musique et à la danse. Au premier étage de Moving into Dance, le célèbre espace de danse contemporaine fondé par Sylvia Glasser en 1978, se trouve le studio de répétition de Gregory Maqoma. C’est l’un des danseurs et chorégraphes les plus talentueux et inventifs de sa génération, connu et reconnu dans son pays mais aussi à l’international. La porte s’ouvre et le soleil printanier a beau briller sur toute la ville, c’est le sourire de Gregory Maqoma qui tient ici lieu de lumière.
La salle est grande, dépouillée, avec un seul grand miroir. Gregory Maqoma et le chorégraphe Florent Mahoukou, du Congo, font répéter leurs danseurs (deux Congolais et trois Sud-Africains) pour la pièce Wake up, qu’ils présentent le soir même au Théâtre de Soweto. De l’anglais, du français, du lingala… Florent ne parle pas anglais et Gregory pas français mais qu’importe, ces deux-là ont réussi à mettre sur pied l’une des pièces qui va se révéler la plus intense de ce début de biennale. Ils se sont rencontrés il y a deux ans, lors de la huitième édition de la Biennale Danse l’Afrique Danse ! à Bamako, au Mali. Gregory faisait partie du jury qui a attribué le premier prix à la pièce de Florent Mahoukou et de sa compagnie, Studio Maho. Quelques mois plus tard, le Sud-Africain faisait le voyage à Brazzaville pour commencer une collaboration. « On a découvert nos univers et démarches respectifs, très différents. Je suis dans la suspension, il est dans la vitesse. Il est plus dans le classique, moi non. Mais on a trouvé un espace d’entente. Ça s’est fait naturellement, je n’ai pas eu besoin de Google Translate avec lui ! », explique Florent Mahoukou. « On a des corps, on échange à travers eux. On s’est acceptés et on a brassé, fusionné nos deux approches. »
La musique remplit l’espace en boucle, Gregory Maqoma émet des claquements de langues pour diriger les interprètes, avec une force dans le regard qui contraste avec sa douceur naturelle. « Attrape-nous, laisse-nous entrer », répète-t-il. Il montre les mouvements, danse, parle beaucoup. Au bout d’une heure et demie, les deux chorégraphes ont détricoté la proposition de départ. « Dix jours de travail pour tout changer à la dernière minute, c’est fou ! » rigole Chris Babingui, l’un des interprètes congolais, grand gaillard de 23 ans, danseur de la nouvelle génération encore tout émerveillé de travailler avec Gregory.
Né à Orlando-East, l’une des premières townships de Soweto, en 1973, Gregory Maqoma a grandi pendant cette période de l’apartheid particulièrement troublée, émaillée de conflits, de violences, de luttes. Il découvre la danse traditionnelle dans les années quatre-vingt, dans son quartier, puis Michael Jackson à la télévision : « Un Noir qui avait du succès et duquel je pouvais être fier. À cette époque de la suprématie blanche, notre culture, notre héritage, nos traditions n’étaient pas valorisés. Il est devenu un modèle et, à partir de ce moment, je me suis dit qu’il était important de diffuser notre culture via le médium qu’est la danse ». Il rejoint un jeune groupe de danseurs, qui s’appellent Vuyani (joie, car ils en apportent aux spectateurs), un nom qu’il donnera ensuite à sa compagnie, la Vuyani Dance Theater Company, qu’il crée en 1999. Avec ses amis, ils mélangent la tradition, la danse moderne et la pop culture. « On ne se rendait pas compte qu’on était en train de créer notre propre esthétique ».
Dans les années quatre-vingt-dix, Gregory Maqoma crée des pièces que l’ont peut qualifier d’engagées. Il aborde des sujets politiques, sociétaux. « Ce sont les circonstances qui nous poussent à être des activistes », résume-t-il. « L’Afrique du Sud est un pays magnifique pour grandir et pour être inspiré, pour créer et être créatif mais il y a aussi plein de choses difficiles. Mon style évolue en fonction de mes expériences, des changements du paysage politique qui me nourrissent aussi. Les mouvements évoluent. » En plus de sa compagnie, avec huit danseurs à plein-temps, il donne aussi beaucoup de cours. « On forme des jeunes qui ont le désir d’utiliser la danse pour se transformer et transformer la société. Ils viennent de tout le pays. Je rêve toujours en grand : j’aimerais avoir un centre pour accueillir des gens de toute l’Afrique. L’Afrique du Sud peut servir d’exemple pour établir un réel corpus de danse contemporaine. »
Au sein de sa compagnie, les deux mots d’ordre sont : créer le débat et laisser un héritage. « Chaque danseur organise plusieurs workshops par mois dans sa communauté et sa township et une fois par an, on réunit tout le monde et on dit : montrez-nous ce que vous savez faire ! » Héritage. Le mot revient souvent sur les lèvres du danseur, très proche de sa famille et de son quartier natal, Orlando East, avec ses petites maisons aux murs ocres ou roses et ses larges rues propres. Il y retrouve sa mère, qui a affiché dans le salon familial les certificats et différents prix remportés par son fils, notamment le premier prix de chorégraphie du pays pour sa première chorégraphie, en 1996.
C’est dans ce salon que Gregory imitait Michael Jackson. « J’étais l’amuseur public ! » se souvient-il. « Ici, la réussite c’est d’être médecin ou professeur, on ne pouvait pas penser au-delà. On me disait : tu peux continuer à danser mais quel est ton vrai métier ? Être danseur professionnel, c’est un parcours du combattant… » Il montre une photo : « C’est ma grand-mère. Elle dansait dans les ball-rooms et m’a toujours encouragé. C’est grâce à elle que mon père a accepté que je devienne danseur. À Soweto, la danse contemporaine était associée à la culture blanche et, en tant que garçon, vous deviez faire du foot sinon les gens se posaient tout de suite des questions sur votre sexualité… C’est lorsqu’on a commencé à avoir du succès que les gens ont découvert, compris et respecté cette forme de danse. Cette méconnaissance m’a poussée à me dépasser pour prouver que les Noirs pouvaient aussi réussir dans ce domaine. » Dans la voiture qui nous emmène au théâtre, Gregory fredonne un « Taxi pour Soweto », montre la maison de Nelson Mandela transformée en musée, s’émerveille de la vie pétillante de certaines rues. « Aujourd’hui, je suis fier d’avoir changé la vie de ma famille grâce à la danse. Je voulais éradiquer la pauvreté : j’ai commencé avec ma famille… C’est pour cela aussi que j’ai voulu créer ma compagnie, pour payer des danseurs et les faire sortir de la misère. »
Dans le quartier de Soweto appelé Jabulani, un nouveau théâtre flambant neuf est sorti de terre cette année, très design et aux formes douces et colorées. « Nous en sommes très fiers. Normalement, les lieux de distractions pour les Noirs se trouvent très loin de leurs quartiers. Là, ils peuvent venir à pied. Dans les années soixante-dix, l’esplanade sur laquelle le bâtiment a été construit était un lieu où l’on venait danser les traditions et chanter le gospel. Tout un symbole. » Le théâtre accueille une partie des représentations de Danse l’Afrique Danse ! Dimanche 30 octobre, Wake up est jouée pour la première fois. La pièce interroge la place de l’Afrique dans la mondialisation. « Il s’agit d’éveiller l’esprit, la sensibilité. Qui nous sommes, quelles sont nos ambitions en tant qu’Africains et en tant qu’individus. On interroge cette notion d’ « Afrique », un continent encore troublé par beaucoup de choses. Il est temps que nous soyons conscients de ce que nous sommes. » Wake up est une pièce forte et totalement prenante. La technicité maîtrisée des danseurs ne parasite jamais la fluidité des enchaînements. La performance arrive même par moments à rehausser l’émotion. Gregory Maqoma et Florent Mahoukou ont réussi à créer un groupe où chacun a eu l’espace d’exprimer sa personnalité. La salle est conquise. Gregory peut retrouver son sourire. « J’étais très tendu pour les danseurs mais je suis fier d’eux. C’est encore un work in progress, nous allons questionner, interagir, retravailler. Cette représentation est une promesse. »

///Article N° : 11061

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Les images de l'article
Gregory Maqoma en séance de travail pendant la biennale Danse Afrique danse 2012. © Olivia Marsaud
Gregory Maqoma en séance de travail pendant la biennale Danse Afrique danse 2012. © Olivia Marsaud





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