Écrivains Africains et Identités culturelles, de Pierrette Herzberger-Fofana

Les écrivains africains ont-ils une identité ?

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Le livre Ecrivains Africains et Identités culturelles de l’universitaire Pierrette Herzberger-Fofana, est le fruit de recherches lancées par l’Institut de Langues Romanes de l’Université, collection (ERDA) d’Erlangen-Nuremberg (Allemagne), où l’auteur est chargée de cours. Il s’agit d’un catalogue jalonné d’un bon nombre d’auteurs africains, issus des pays au sud du Sahara (Sénégal, Mali, Niger, Togo, Congo RDC.)
A l’exception d’une interview, tous les entretiens ont eu lieu sur le sol africain. Ils tournent autour de la problématique de l’identité culturelle, de l’impact des réalités purement africaines, telles que la tradition, les difficultés d’édition, le rôle de la langue française en Afrique francophone.
Le livre a reçu le Prix littéraire Kwanzaa Award décerné par Africa Network, Evanston. USA.
La démarche de Pierrette Herzberger-Fofana a été alors, à la manière d’un critique littéraire de bonne foi, d’interviewer des écrivains africains qui donnent leurs points de vue sur les problèmes épineux auxquels est confrontée la littérature africaine.
Les écrivains sénégalais (huit sur quinze) occupent une large place dans ce livre. Ils vont des célèbres écrivains Cheikh Hamidou Kane (Sénégal) l’auteur de l’Aventure ambiguë ou Djibril Tamsir Niane (Sénégal/Guinée), auteur de Soundjata, à d’autres de moindre renommée internationale mais bien connus dans les limites de leur territoire respectif par ex. Gaoussou Diawara (Mali), Alioune Badara Bèye (Sénégal), Amadou Ousmane (Niger).
La plupart des hommes de lettres occupent ou ont occupé des fonctions politiques dans leur pays ou en Afrique, tel Idé Oumarou (Niger), l’ancien secrétaire général de l’Unité Africaine (OUA), Cheikh Hamidou Kane (Sénégal), ancien Ministre du plan et de la Coopération, Lamine Diakhaté, ex-ambassadeur du Sénégal à UNESCO.
Certains ont eu maille à partir avec leurs gouvernements et ont subi les affres de la prison, feu Ibrahima Ly (Mali), Amadou Ousmane (Niger), feu Ibrahim Issa (Niger). Tous s’expriment de façon fort critique non seulement sur la littérature, mais aussi sur la politique de leur pays.
À travers ces entretiens apparaissent particulièrement le désarroi et l’angoisse de l’écrivain africain en ce qui concerne le choix d’une langue étrangère pour exprimer un message destiné à son peuple. La citation de Cheik Aliou NDao demande réflexion
 » Il est douloureux de voir ma mère tenir un journal entre les mains et d’y voir ma photo sans savoir pourquoi : Elle ne peut pas comprendre, car le journal est écrit en français. C’est un drame.  »
La question de l’emploi d’une langue étrangère demeure l’une des préoccupations majeures des auteurs Africains. Pour Abdou Anta Kâ :
 » Nous devons démystifier l’Afrique francophone. Même si nous utilisons le français pour transmettre notre message, nous évitons d’aliéner nos enfants, car les thèmes que nous abordons devraient se rapprocher de leurs préoccupations.  »
Pour Idé Oumarou  » Le Français est un outil de travail qui me permet d’atteindre un cercle plus vaste de lecteurs que le Djerma, ma langue maternelle […]Ecrire en français est une nécessité, en attendant la transcription de nos langues. Je suis pour la réhabilitation des langues africaines.  »
Tout en reconnaissant les écueils auxquels se heurte une littérature en langues africaines, la plupart des écrivains souhaitent ardemment être la voix du peuple. Ainsi Gaoussou Diawara :  » L’exemple de l’écrivain Kenyan Ngugi Wa Thiong’o devrait nous encourager à nous atteler à cette tâche… La promotion d’une littérature en langue maternelle est une nécessité pour l’acquisition de notre identité culturelle.  »
Le français pour écrire, nos langues pour alphabétiser
Le Togolais Victor Aladji semble plus catégorique :  » La problématique de la langue débouche sur celle de la personnalité africaine. Celle-ci ne peut être respectée que si elle s’exprime dans une langue africaine.  »
Tous les écrivains considèrent, avec Victor Aladji que : La littérature africaine verra le jour quand elle sera en langues africaine.
A l’exception d’Alioune Badara Bèye du Sénégal qui prend résolument position pour l’emploi du français :
 » Nous devons continuer à écrire en français et conserver nos langues pour alphabétiser l’intérieur du pays.  »
Mais c’est l’écrivain Congolais Georges Ngal qui remet les pions en place en affirmant que :
 » Dans l’état actuel d’une Afrique en développement que l’on écrive en langues nationales ou en langues officielles étrangères comme le français ou l’anglais, le problème est à peu près le même : dans un continent où le nombre d’analphabètes est de 85 % quel est le public que l’écrivain prétend conquérir ?  »
Les voix féminines ne sont pas absentes de ce recueil et l’on est tout surpris de constater que les femmes-écrivains refusent l’étiquette de féministe
Ainsi Aminata Sow Fall :  » Je vous avoue que je ne réagis pas en écrivain-femme. Je ne me distingue pas des autres écrivains. J’écris en tant que citoyenne parce que je veux apporter ma contribution à bâtir une Afrique nouvelle et meilleure. Je ne me classe pas parmi les écrivains féministes.  »
Et Ken Bugul lui faisant écho affirme :
 » Tout dépend de la définition que tu donnes au terme de féministe.  »
Ce livre projection orthogonale de nombreuses publications de Pierrette Herzberger-Fofana en allemand et en français demeure d’actualité. Dix ans après sa parution les problèmes sont restés les mêmes. Cet ouvrage est l’un des rares documents de ce genre qui fait appel directement à l’auteur et donne un aperçu critique des littératures du Niger et du Togo parfois ignorées des recherches scientifiques. Ces entretiens permettent de découvrir un autre visage des écrivains cités et surtout facilitent une approche de leur œuvre.
L’originalité de l’ouvrage réside dans la participation du Dr.Herzberger-Fofana au combat des auteurs africains qui visent une plus grande vulgarisation de leurs œuvres dans le monde entier et en particulier en Allemagne où l’on peut affirmer sans ambages que la littérature africaine demeure une  » terra incognita « méconnue de la majorité.

Écrivains Africains et Identités culturelles. Tuebingen : Editions Stauffenburg. ERDA no.3, 128p. de Pierrette Herzberger-Fofana
(Stauffenburg Verlag Brigitte Narr GmbH Postfach 2525 D-72015 Tübingen Tel. : 0049-7071-97 30-0 Fax : 0049-7071-97 30-30. E-mail : [email protected])///Article N° : 4355

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