Avec Empreintes, son dernier recueil paru aux éditions Vents d’ailleurs, Jean-Luc Raharimanana poursuit son travail de transmission des dominations passées, de la colonisation et de l’esclavage, et de la manière dont l’absence de reconnaissance et de documentation conditionne le présent. Une pierre à l’édifice du vivre-ensemble.
C’est l’histoire de la domination et de la cruauté des hommes. C’est l’histoire d’une Histoire tronquée et d’une mémoire trouée. C’est l’histoire d’un présent à inventer sur les traces de non-dits et de malaises persistants.
Avec Empreintes, son dernier recueil, Jean-Luc Raharimanana pose une pierre indispensable à l’édifice du vivre-ensemble qu’il crée au fil de ses oeuvres. « Je ne viens pas sur les cendres du passé / Pour raviver les morsures du feu /[
] Je ne viens pas sur les traces ensevelies/ Pour accuser le pas qui a foulé / Ou le temps qui a effacé / Je ne viens sur les pans du silence/ Que pour un lambeau de mémoire / Et tisser à nouveau la parole qui relie. » Cet extrait fait ainsi écho à un passage de Des ruines(2010) : « Je me retourne sur ma mémoire. Ma mémoire est du plus loin que je la ressens de douleur et d’espérance ». On y retrouve aussi des extraits de Rano, Rano, où Raharimanana met en scène les témoignages d’insurgés malgaches de 1947. Afin de raconter cette histoire oubliée d’une résistance à l’oppression coloniale réprimée violemment.
Empreintes, dans la même veine, explore ce qui reste du passé colonial et de l’esclavage, de ces dominations et percussions dont nous sommes tous héritiers. Dont la transmission passe dans les silences et les refoulés, qui laissent malgré tout traces et empreintes : « La trace est du à peu près, ce que n’a dansé que sur la peau / L’empreinte est du plus loin, ce qui n’a dansé que par nos oublis
».
Divisé en chapitres – « alphabets », « traces », « peaux », « chants », « continents » – cet ouvrage agrémenté de photographies de l’auteur poursuit la trame d’une écriture de l’histoire et de la mémoire en démêlant les ressorts de l’altérité découlant de l’absence de transmission. « Tu ne peux qu’ignorer ce que l’on ne t’a pas appris [
]. Si j’apprends l’histoire par ma peau tatouée, griffée, marquée, tu l’apprends par le frottement de nos vies » ou « Si de ma bouche ouverte je te dis qui je suis, T’accepteras-tu ? » Le texte « origines » est un autre morceau traduisant les relents de racisme et d’exclusion sur fond d’une histoire française tronquée : « Ne me demandez pas mes origines [
] Mes origines sont à la croisée des mémoires et des terres antagoniques / Je suis né des troubles des hommes qui n’ont pas su s’entendre / [
] Dire mes origines c’est arracher le couteau de la blessure / Et risquer que le sang gicle à nouveau / [
] Je ne veux pas que la gêne s’installe entre nous [
] Alors je vous dis / Je viens d’un silence [
] Mes origines sont là, / Dans les poubelles de l’humanité que je charrie dans mes silences ».
Une poétique de la transmission, outil pour permettre cette « identité-relation » chère à Glissant, loin des crispations identitaires. « Je témoigne des jours fragiles où l’on comprend que toute pureté n’est que construction et peur contre l’érosion / Tout être est mélange / Mais n’est bâtard / Que celui dont on reconnaît les multiples empreintes / Ainsi, on le dit
» Empreintes sera présenté, courant 2016, sur scène par Raharimanana et le danseur hip-hop Miguel Nosibor.
Rano, Rano à Bagnolet (93)
« Rano, rano » est la formule que scandaient les insurgés malgaches en allant au combat, rano, rano, pour transformer les balles de l’armée coloniale en eau
Dans cette mise en scène des témoignages des survivants de 1947, Raharimanana est sur scène avec le musicien Tao Ravao sur fond de photographies de Pierrot Men.
Du 8 au 10 jan/ Vend. et samedi à 20h30, dimanche, à 17h/ L’Échangeur, 59, avenue du Général de Gaulle, 93170 Bagnolet / 01 43 62 71 20 WWW.LECHANGEUR.ORG////Article N° : 13387