Un quart de siècle seulement et déjà auteur multiforme. À 25 ans, le jeune comorien Adjmaël Halidi marque sa présence dans la littérature de l’Océan Indien. Alors qu’il vient de publier une édition remaniée de nouvelles écrites durant son adolescence, il participe également à la revue littéraire des auteurs de l’Océan Indien Project’ îles, créée par Nassuf Djailani et ne manque pas de porter sa voix dans l’ouvrage Une littérature en archipel, coordonné par Jean-Luc Raharimanana pour les publications de l’Alliance française de Lecce (Italie). Aux côtés de poètes et d’écrivains qu’il admire, Adjmaël Halidi trouve sa place, celle d’un jeune homme révolté pour qui l’écriture est avant tout vitale.
Le jeune auteur se défend à propos de son Verbe parfois cru, au service d’histoires toutes plus douloureuses les unes que les autres. De l’enfant violé à la femme malade qui ne peut se soigner, aux familles à qui ne restent que des superstitions vaines, Adjmaël Halidi ne mâche pas ses mots dans Nahariat, recueil de nouvelles adolescentes, qui sont parues l’été dernier aux éditions Komedit. « Mes personnages sont fictifs mais je m’inspire du quotidien, de ce que je vois. La misère crève les yeux. Ceux qui n’aiment pas ce que j’écris sous prétexte que je serais sec et obsédé par la mort ne voient pas ce qu’il y a autour de moi« .
Tour à tour metteur en scène, romancier, nouvelliste et poète, Adjmaël Halidi avoue se chercher et préfère être qualifié d’auteur. Il collabore également à divers journaux comoriens. Le verbe cru, le style relevé, il pose, chaque fois, son regard sur le quotidien qui l’entoure ; celui des îles de Lune traversées par des crises politiques incessantes qui plongent la population dans une misère qui le révolte. Natif d’Anjouan, Adjmaël Halidi s’interroge sur sa terre natale. « J’essaie d’entrer dans les entrailles de cet archipel, de comprendre pourquoi les gens acceptent cette réalité sans rechigner, pourquoi ils ne trouvent pas les moyens de se révolter ».
Alors que l’île sur devenue française, Mayotte, est traversée par de multiples mouvements de protestations contre la vie chère, « aux Comores c’est le patronat qui défile dans la rue sous le regard des petites gens », témoigne le jeune homme. « C’est le monde à l’envers », continue-t-il. Pourquoi ne fuit-il pas ? « J’aurai pu fuir depuis longtemps. Mais l’écriture est une fuite d’une certaine manière ».
Discret sur son parcours, il préfère parler au présent. Pourtant son histoire révèle son entrée en écriture. Fils de bonne famille, Adjmaël Halidi a vécu personnellement l’instabilité politique mais aussi les inégalités sociales des Comores. Installé confortablement auprès de son père sur la Grande Comore, il a dû fuir à Anjouan, « en pleine brousse » auprès de sa grand-mère lors de la crise séparatiste de 1997. « Tout d’un coup j’ai découvert la misère. J’avais 10 ans. Je ne supportais pas ce que je voyais. » Alors que gamin, il fustigeait les privilèges dans lesquels il baignait, le jeune garçon découvre également qu’il n’a plus ou peu accès à la culture. « Je ne parlais pas le même langage que les jeunes de mon âge, qui n’avaient pas accès à la lecture et au cinéma. Je me suis réfugié dans les livres : Césaire, Camus
Je me suis replié sur moi-même et à 13 ans j’ai commencé à écrire pour essayer de comprendre la misère que je voyais
mais aussi pour transmettre mes sentiments d’amour », confie-t-il.
Il n’est alors pas étonnant de trouver la citation de l’écrivain allemand Rilke dans l’une des chroniques de l’auteur comorien. « Une uvre d’art est bonne si elle née de la nécessité. C’est dans la nature de son origine que réside sa valeur : il n’en est pas d’autre ».Adjmaël Halidi insiste : « la littérature n’est pas un jeu ». Pour lui, écrire est simplement vital. N’est-ce pas ses propres mots qu’il place dans la bouche du personnage principal de sa dernière pièce de théâtre, Uhuru Africa (1) ? : « Écrire et mourir, c’est du pareil au même. On écrit pour soulager sa conscience. Et on meurt pour ne pas avoir de conscience du tout ».
Dire les choses telles qu’elles sont est son credo pour expliquer son Verbe parfois violent. « Certains pensent que je suis psychopathe, plein de cadavres, comme s’ils ne voyaient pas ce qui nous entoure. C’est toujours difficile de parler de sexe, de pisse et de sang. Ici, les gens préfèrent cacher la misère. Il est difficile de dire les choses telles qu’elles sont. »
Mais derrière l’horreur et le sang, se découvre en filigrane la foi en de meilleurs lendemains. La révolte d’Adjmaël Halidi à travers cette écriture sans angélisme n’en cache pas moins un refus du fatalisme. « Dans cet océan d’humiliation et de déshumanisation, la littérature ne peut être qu’une bouée de sauvetage. »Et d’ajouter : « Si j’écris c’est parce que je suis persuadée qu’en nommant les choses on peut les combattre et les dépasser. J’écris pour que les choses changent », martèle cet auteur qui refuse de se dire « engagé ». Pourtant son écriture l’est. Engagée contre l’immobilisme politique et social.
« La jeune mère remarqua que ce qu’elle avait espéré s’était réalisé : tous ses enfants s’étaient endormis malgré la faim dans le ventre. [
] Un peu d’imagination ou de rêve pouvait anticiper le sommeil. D’ailleurs, cette femme, ou même ses enfants ne survivent-ils pas à cause du rêve ? » (2)
Quel est le rêve ultime d’Ajmaël Halidi ? « Je rêve du jour où je n’écrirai plus. Je veux vivre dans l’anonymat, comme tout le monde. Mais pour le moment c’est impossible, j’ai des choses à dire, il faut que je les dise. »
« Ôte bien ici ; ôte bien là-bas !
Jouir jour jure jour
Jour jure jouir jour ;
Ainsi va, ainsi revient
Ainsi reviennent, ainsi s’en vont
les yeux des masques séculaires
comme si vient était enfant du jour
et va fille de demain » (3)
1. Cette pièce de théâtre devrait être publiée avant la fin de l’année 2011 chez l’Harmattan dans la collection Théâtre des Cinq continents. Elle met en scène un roi déchu face à sa conscience quelques jours avant d’être mis à mort par son peuple.
2. Extrait du recueil de nouvelles Nahariat.
3. Extrait de Nahariat.///Article N° : 10497