Femme de combat/Combat de femme 4 : Euzhan Palcy « la messagère »

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Avec la série Femme de combat/combat de femme, Africultures vous propose des portraits choisis de femmes. Elles utilisent leur art ou tout simplement leur voix, pour parler, montrer, décrire la place de la femme dans la société. L’occasion pour Africultures de compléter la thématique de son magazine interculturel Afriscope, consacrée en janvier et février à la question du féminisme.

Euzhan Palcy, réalisatrice, dirige cette année le rendez-vous incontournable du Fespaco à Ouagadoudou. À ses côtés, un jury quasi exclusivement féminin. Depuis toujours, cette fille de la Martinique est de tous les combats, notamment celui de la visibilité des Noirs au cinéma. Retour sur son parcours D’amour. Pour l’humain. Et le cinéma.

D’abord un regard. Désarmant. De femme. De combat.
Un regard sur le monde. Tout en finesse élégante. Fantaisie. Poésie.
Un certain regard. Et un don certain, pour inventer et raconter des histoires.
Depuis toujours.

« À 10 ans, à la campagne avec mon père, mon passe-temps favori était de m’allonger dans l’herbe, regarder le ciel, et transformer les nuages en objets et visages, en fait depuis l’enfance, je pense en images », me confie-t-elle, avec ce grand sourire à la vie, qui la caractérise presque autant que son regard. Désarmant. De femme. De combat.
Son premier écran de cinéma sera un drap de lit.
La jeune fille construit un projecteur de carton et projette en secret dans le grenier de la maison familiale, les images d’un film d’animation qu’elle réalise avec des personnages en ombres chinoises.
Pour le plus grand plaisir de ses frères et sœurs, qui seront son premier public.
La petite martiniquaise de 10 ans a bien grandi, la jeune Euzhan est devenue.
Cinéaste. Militante. Engagée.
Dans le dépassement de soi. Et l’écoute.
Des silences, murmures et cris du monde.
En mouvement.
Euzhan Palcy est. Femme. De combat.
Définitivement.

Et le fil(m) de sa vie pourrait peut-être tenir à un conseil prodigué, presque un ordre intimé par une grand-mère veilleuse : « Tu as le droit de te plaindre une seconde, mais l’obligation d’agir celle d’après ».
Alors à 17 ans elle s’empare d’une caméra, « pour que les Antillais se reconnaissent enfin dans des films ». Elle écrit et réalise en secret La Messagère, après avoir subtilisé avec le groupe de jeunes qui formera sa première équipe technique, un stock de bobines de 16 mm à la télé martiniquaise qui avait trouvé son idée de scénario irrecevable et lui avait répondu : « des Noirs à l’écran ? C’est impossible n’y comptez pas ! ».
Il faut toujours écouter sa grand-mère.
« Ma décision de faire du cinéma est née d’une nécessité d’occuper l’écran. Nous, femmes, enfants et hommes noirs y étions absents. Nous devions y être à la fois pour nous-mêmes et pour les autres. Je ne comprenais pas que nous puissions être tenus à l’écart d’un si grand média devenu universel et incontournable » dit-elle, habitée.

Après La Messagère, Euzhan Palcy signe Rue Cases-Nègres (1983), son premier long-métrage basé sur le roman éponyme de Joseph Zobel. Le film remporte, entre autres, Le Lion d’argent à la Mostra de Venise et plus de dix-sept prix internationaux, et en 1984 Euzhan Palcy reçoit le César de la meilleure première œuvre.
La même année, Robert Redford offre à la cinéaste de participer aux ateliers de mise en scène du Sundance Festival. Son aventure aux États-Unis commence.
Et en 1989, Euzhan Palcy sort Marlon Brando de sa retraite cinématographique. Celui-ci impressionné par son engagement pour les droits civiques des minorités, accepte de tenir l’un des rôles principaux de son second long-métrage Une saison blanche et sèche, qu’elle adapte du célèbre roman d’André Brink.
Pour être au plus près de la réalité de l’Apartheid qu’elle dénonce, la cinéaste se rend incognito en Afrique du Sud. Au péril de sa vie.
Elle leurre la police spéciale du régime répressif, et interview les victimes en se faisant passer pour une artiste à la recherche de chanteurs sud-africains pour l’enregistrement d’un album.
Une saison blanche et sèche sort dans le monde entre l’automne 1989 et février 1990. C’est le dernier long-métrage anti-apartheid sur les écrans avant la libération de Nelson Mandela, qui l’accueille en Afrique du Sud quelques mois après être devenu président.

Euzhan Palcy est. Femme. De combat.
Cinéaste. Militante. Engagée. Privilégiée. À jamais marquée.
Par cette rencontre. Et d’autres.
Comme celle de Césaire, père spirituel.

Et elle fait de son cinéma une arme, braquée en permanence sur nos (in)consciences, elle en fait aussi une œuvre d’art et d’âme, engageante, juste, et au service de nos mémoires réunies.
Sa filmographie en témoigne, des longs-métrages qui prennent parti et bousculent les mentalités le court-métrage Moly(2012), bouleversant d’humanité, The Killing Yard (2001), Ruby Bridges(1998), Siméon (1992), ainsi que les documentaires Parcours de dissidents(2003),Aimé Césaire, une voix pour l’histoire(1994), trilogie sur le célèbre poète, dramaturge et homme politique martiniquais, et L’Ami fondamental(inédit) qui marque les retrouvailles extraordinaires de deux amis, deux frères : Césaire et Senghor, fondateurs avec Damas, du mouvement de la Négritude.
En 2011 le MOMA (musée d’Art moderne de New York) consacre un focusà Euzhan Palcy, rétrospective sur l’ensemble de sa carrière. Une première pour une réalisatrice.
2013 s’ouvre sur une autre première, pour le cinéma mondial, avec cette petite révolution venue d’Afrique : le grand jury du Fespaco, plus importante manifestation culturelle du continent noir, sera quasi exclusivement féminin, sous la direction de la présidente Euzhan Palcy.
Et quand on suit les événements au Mali, on se réjouit de cette initiative du festival, militante et porteuse de sens. Contre l’obscurantisme et la montée des extrêmes, il en faut. Des guerrières. Et des guerriers. De la lumière.
Le 28 janvier 2013, Euzhan Palcy a reçu le Trophée d’honneur Henri Langlois, du nom du fondateur de la cinémathèque française.

Euzhan Palcy est. Femme. De combat.
Cinéaste. Militante. Engagée. Honorée.
Euzhan Palcy est.
Une messagère.
Et sa vie, son œuvre semblent nous dire que tout est possible.
À condition d’y croire. Fort. Et d’aimer.
L’humain.
Merci Euzhan.

///Article N° : 11271

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