Qu’est-ce qui fait du documentaire du Belge Thierry Michel, Mobutu, roi du Zaïre, un exercice magistral ? (sortie le 6 oct., cf critique de Jean-Servais Bakyono dans Africultures 19).
D’abord l’engagement. Les choix de Thierry Michel sont guidés par sa connaissance du Zaïre (il avait déjà réalisé Les derniers colons et Zaïre, le cycle du serpent) et par son désir de comprendre ces 40 années d’Histoire africaine, ces indépendant-tristes comme les a qualifié Williams Sassine. En somme par sa volonté de soutenir la fin des idoles pour une société humaniste et pluraliste.
Ensuite la méthode. Il refuse la langue de bois des opposants pour interroger les proches, les complices. » Je voulais éviter la diabolisation facile pour saisir l’alchimie complexe qui forge un dictateur « , dit-il. Le risque est bien sûr de le rendre trop humain. » Le spectateur fait la différence ! » s’écrie Michel : » Cela fait partie de la propre jouissance du spectateur d’opérer cette lecture « . Ne pas gommer le charisme et le pouvoir de séduction de Mobutu supposait d’équilibrer par le constat implacable de ses méfaits, qui ne pouvait être dressé que par des témoignages.
Un gigantesque travail de recherche d’archives fut nécessaire. Pour éviter les seules séquences montées, Michel visionne les chute et les rushes : 950 heures de documents ! Il en retient 110 heures et réalise 50 heures d’interviews. Pour finalement aboutir sur un film de 2 h 15 et une version télé de 3 x 52’… Mais il fallait articuler des archives d’origine différente : les congolaises (propagandistes), les américaines (événementielles), les belges (copain-copain) et les françaises (qui remplace la Belgique dans les années 90). » Les journalistes sont sans doute inconscients de combien ils sont révélateurs des enjeux géopolitiques globaux ! » constate-t-il.
L’exercice est périlleux. Savoir doser pour ne pas tomber dans la facilité : il eût été aisé de montrer tous les hommes politiques qui se sont compromis avec Mobutu, mais cet étalage aurait discrédité le propos.
Explorer l’intime : le Zaïre entretenait avec Mobutu un rapport au père, comme la Russie avec Staline, » le petit père des peuples « . La dictature de » Papa Mobutu » était faite de complicité avec son peuple. » Je ne suis pas sûr que la société congolaise soit aujourd’hui parvenue à tuer le père « , dit Michel. Amère conclusion, mais c’est parce qu’il ose poser cette question que ce film est réussi.
Cela ne serait pas possible sans une ouverture personnelle à l’universel qui définit sa conception du documentaire : » Solidarité, quête de soi et conscience d’avoir besoin de l’autre pour s’épanouir sont les caractéristiques du documentariste par rapport au réalisateur de fiction qui se replie plus sur son imaginaire. «
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