Ntarabana : entretien avec François Woukoache

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Lors de la 18ème édition du Festival des films d’Afrique en pays d’Apt (en ligne covid-19 oblige), une soirée était consacrée le 27 janvier 2021 au film Ntarabana et à une rencontre avec son réalisateur François L. Woukoache, en direct avec Kigali, animée par Tahar Chikhaoui et Olivier Barlet. Une occasion de reprendre contact avec un réalisateur engagé qui a consacré ces vingt dernières années à un remarquable travail de terrain au Rwanda. Rencontre visible sur la vidéo ci-dessous et résumée dans le texte ensuite.

DEBAT // Ntarabana avec François L Woukoache from Festival des Cinémas d’Afrique on Vimeo.

Comment face à l’horreur des récits échapper au pathos pour privilégier l’écoute et générer le désir de comprendre ? François Woukoache y parvient avec une infinie délicatesse. Cela tient à la distance qu’il entretient avec des paysages en plan fixe, souvent surexposés, comme irréels, lieux des exactions, tandis que les témoignages sont savamment éclairés pour mettre en valeur une personne parfois silencieuse à l’écran. Les pauses permettent de respirer : mélopées murmurées, chant des oiseaux, souffle du vent, chants de consolation… « Le traumatisme est un peu atténué lorsque la tragédie est collective », lâche Anastasie Murekaze. « Le problème, ce sont ces pensées qui nous hantent ». Tout est là : une génération pour laquelle l’oubli est impossible a la lourde charge de la réconciliation. Cela ne va pas sans de solides valeurs. Ce film est d’autant plus un hommage qu’en respectant profondément les personnes qu’il filme, victimes ou bourreaux, il s’inscrit à jamais dans nos mémoires. O.B. (notule de présentation du film sur Tënk)

Olivier Barlet : C’est avec beaucoup de plaisir que nous accueillons François Woukoache, qui avait eu un début de carrière fulgurant avec Mélina, Asientos, La Fumée dans les yeux et Fragments de vie et qui a un peu disparu des radars depuis sont installation au Rwanda. En 1998, une dizaine d’écrivains africains avaient été invités par Maïmouna Coulibaly et Nocky Djedanoum (festival Fest’Africa de Lille) à se rendre au Rwanda pour travailler sur la mémoire du génocide de 1994 dans le cadre du projet « Ecrire par devoir de mémoire ». C’était la première fois que des écrivains africains se déplaçaient ainsi dans le pays, si bien que les Rwandais diront : “vous ne vous êtes pas beaucoup intéressés à nous jusqu’à présent”. Africultures avait consacré un numéro à l’événement, documentant notamment les livres phares de Tierno Monénembo (L’Aîné des orphelins), Koulsy Lamko (La Phalène des collines), Boubacar Boris Diop (Murambi, le livre des ossements) ou Nocky Djedanoum (Nyamirambo). En 2000, lors du voyage de présentation des résultats, le cinéaste Samba Félix Ndiaye avait tourné Rwanda, pour mémoire et François Woukoache avait présenté Nous ne sommes plus morts. Durant ces plus de 20 années au Rwanda, il s’est consacré à des activités de terrain, des formations au cinéma, des productions de films, de l’accompagnement de jeunes ou bien des femmes de milieux défavorisés, pour faire des films aussi. Il y a plusieurs projets qui s’imbriquent : est-ce que tu peux nous en parler ?
François Woukoache : Lorsque le génocide arrive en 1994, je suis en train de préparer Asientos. Ce fut un choc, surtout pour nous, cinéastes et “intellectuels” africains engagés. Cela remettait complètement en cause mon rapport à l’Afrique et mon rapport à mon métier de cinéaste. Cela m’a changé en tant qu’homme et profondément changé en tant que cinéaste, parce qu’il n’était plus question de faire des films comme avant. Une des problématiques que j’évoque dans Nous ne sommes plus mort, c’est : “est-ce qu’on peut continuer à filmer comme avant ?” Nous avions été les soi-disant porte-drapeaux de l’Afrique pendant toutes ces années, parcourant le monde avec nos films, et on est passés à côté de ça. Il fallait en tirer les leçons. Une des leçons pour moi, fondamentale, c’était qu’il fallait être présents en Afrique. Et notamment au Rwanda, un pays qui devait renaître.
Au-delà de la monstruosité de ce qui se passait en 1994, notre ressenti était qu’au Rwanda tout le monde était mort, d’où le titre du film Nous ne sommes plus morts, qui est aussi une expression au Rwanda. L’idée était donc de dire que le génocide était un échec puisqu’il y avait des survivants et que cette renaissance devait nous interpeller, dans le sens où ce qui s’est passé au Rwanda devait formater ce qui devrait être le futur de l’Afrique et des autres pays africains. Il fallait être présent et participer à ce que les arts et la culture, notamment le cinéma, favorisent la reconstruction du pays. Donc quand tu dis que j’ai disparu des radars, c’était un choix. Je me souviens d’une interview qu’on avait faite ensemble pour Africultures, où déjà, je te disais en parlant de Cannes, etc., qu’il fallait oublier les sunlights et tu avais d’ailleurs repris ça en titre et c’était vraiment ça pour moi. Ce qui s’était passé au Rwanda à l’époque était pour moi la manifestation claire qu’on avait trop été absorbés par la lumière des festivals et qu’on était passés à côté de nos réalités en Afrique. D’ailleurs, c’est une question que beaucoup m’ont posée “où est-ce que vous étiez pendant tout ce temps ?”
Le génocide n’est pas arrivé comme un fruit du hasard, c’est quelque chose qui a été préparé pendant des décennies, il y eut des massacres, mais on n’a pas vu cela arriver. Donc, cela devait forcément nous amener à réfléchir sur nous-mêmes, à nous remettre en question et pour moi ça devait passer par cela : replonger dans ces réalités, essayer de comprendre ce qui s’est passé sur le terrain. Je vous assure que je ne le regrette pas, parce que les vingt dernières années ont été pour moi extraordinaires : tous ces gens rencontrés sur les collines (le nom qu’on donne aux villages au Rwanda), avec qui j’ai travaillé, en utilisant toujours le cinéma, en questionnant la mémoire, mais mémoire dynamique et positive. Plutôt que de s’enfermer dans le deuil, mon approche était de nous en servir pour tendre vers un avenir meilleur.
J’ai toujours cru que la culture, et notamment le cinéma, en sont porteurs. À mes yeux, faire des films, c’est aussi accompagner des gens dans la découverte de ce qu’ils sont, dans la capacité qu’ils ont à dire au reste du monde ce qu’ils vivent, ce qu’ils sont et comment ils se projettent dans le futur. Au lieu d’être celui qui, de son nid douillet, quelque part à Paris, Bruxelles ou New York, pense une Afrique dans sa tête et essaie de la coller à une réalité qui n’est peut-être pas la bonne. J’ai essayé d’être à côté de ces populations, d’être imprégné de ces réalités pour trouver une écriture, une autre façon de raconter, une autre façon, donc de faire du cinéma, qui puisse être plus représentative de ce continent.
Au début, il n’y avait rien : on voyait encore des corps dans les rues, les églises étaient pleines. C’était vraiment Kigali année 0. Quand on disait qu’on allait former des cinéastes et faire des films, les gens me prenaient pour un malade. Mais, l’idée était de se servir du cinéma et de l’audiovisuel pour aider à construire une nouvelle identité dans un pays en train de renaître.
Tahar Chikhaoui : Merci. Est-ce que ce point de vue, cela a déjà été écrit quelque part ?
François Woukoache : C’est écrit, mais ça n’a pas été formalisé en tant que tel, c’est une réflexion que j’ai commencé à mener dans les années 1995-97, j’avais déjà le sentiment à l’époque qu’on tournait un peu en rond. On a un peu donné des coups de pied dans la fourmilière, nous jeunes cinéastes à l’époque comme Issa Serge Coelo, Abderrahmane Sissako ou Fanta Régina Nacro… On voulait révolutionner tout cela. Je ressentais un malaise, ce n’était pas encore clair, et le choc du génocide a tout changé. J’ai failli ne pas faire Asientos à cause de cela. J’avais l’impression que tout ça ne sert à rien, alors qu’on passait à côté d’un million de morts, à ciel ouvert, devant les télévisions du monde entier !
Tahar Chikhaoui : En 90 jours.
François Woukoache : Oui, en 3 mois. Rien ne pouvait plus être comme avant. Effectivement, quand Olivier dit que j’ai disparu des radars, des amis m’ont traité de fou, pour la simple raison que Fragments de vie sort en 1999 et se voit sélectionné à Berlin, et qu’en 2000 Nous ne sommes plus morts est également sélectionné à Berlin. Ce n’était pas le moment d’aller “au milieu de nulle part”, comme m’a dit un journaliste un jour. Le défi c’était de montrer que non, je ne suis pas au milieu de nulle part, je suis là où je dois être à ce moment de ma vie et à ce moment de l’Histoire de l’Afrique. C’est là que le cinéma doit être et c’est là qu’on doit réfléchir sur comment raconter autrement, comment créer des images autrement, est-ce que faire un film c’est tout simplement écrire un scénario et le produire ? Je pense que non et je pensais déjà que non ! Faire un film, pour moi, c’est de former un jeune cinéaste et de le voir commencer à raconter son vécu, son univers, son environnement, ce que nous ne faisions pas beaucoup. C’est de prendre une ancienne prostituée ou une ancienne enfant de la rue, qui pense qu’elle n’est rien parce que la société lui a fait croire pendant longtemps qu’elle n’apportait rien et qu’elle ne valait rien, et de lui faire prendre conscience qu’elle a certes vécu des choses compliquées et violentes, mais que si elle a survécu, c’est parce qu’elle a une force extraordinaire et que cette force peut être bénéfique aux autres. Elle n’a pas été à l’école, certes, mais il y a d’autres moyens de raconter, de communiquer, les images et le cinéma peuvent servir à cela.
Tahar Chikhaoui : Si je comprends bien, cela signifie que la représentation cinématographique de cette réalité peut participer au changement de cette même réalité ?
François Woukoache : Cela doit participer au changement de cette réalité.
Tahar Chikhaoui : Essayons donc de comprendre dans quelle mesure la démarche cinématographique suivie dans Ntarabana illustre ce dont tu nous parles : dans la façon d’approcher les gens, de les interviewer, de les montrer dans leur espace les uns avec les autres, et pour dire quoi ? En quoi ce repositionnement d’attitude dépasse l’intention ou la profession de foi ?
François Woukoache : Ntarabana n’arrive pas par hasard. Il est le troisième volet d’une trilogie, après Nous ne sommes plus morts en 1998 et Icyizere, l’espoir en 2006, au bout de quasiment 20 ans de vie au Rwanda. En 1998, je ne l’aurais pas fait de cette façon-là. Quand je m’installe au Rwanda en 2000, comme je vous l’ai dit, c’était un projet pour moi global. La seule chose que je sais faire, ce sont des films et donc regarder le monde à travers les images et le son. Cela passe donc par le temps, par le fait de connaître les réalités, et donc on monte un projet qui s’appelle L’Espoir : collecter les témoignages sur le génocide. Il s’agissait de monter une base de données audiovisuelle de la mémoire du génocide et pendant près de trois ans, nous avons fait le tour du pays, nous sommes allés dans les prisons, avons rencontré rescapés et bourreaux. A partir de certains de ces témoignages, nous avons produit des vidéos à projeter dans les communautés pour que les gens puissent se parler. A l’époque, on parlait de hutus et de tutsis : le clivage était encore très fort en 2000, 6 ans après le génocide. C’est le travail qu’on fait en utilisant l’audiovisuel : tenter de recréer un tissu social, faire en sorte que les gens puissent se reparler.
Parallèlement à ce travail, on a monté un ciné-club qui montre des films faits ailleurs, sur la Shoah, le génocide cambodgien, la violence en Afrique du Sud. C’est plus facile pour les gens, sachant que forcément ils finiront par parler de ce qu’ils ont vécu au Rwanda. C’est aussi une fonction du cinéma. Pendant les périodes de commémoration annuelle, d’avril à juin, on retourne dans les villages pour faire le deuil avec eux. Au fil du temps, cela crée des relations profondes. Quand je reviens pour faire un film, comme Ntarabana, les gens me connaissent, je fais quasiment partie de la famille. Le génocide a rompu la confiance, du fait de ce sentiment d’abandon, d’avoir été trahi par le monde. On n’est pas juste des journalistes qui passent quelques jours avec eux et qui repartent et qui souvent prennent des images qu’ils ne verront jamais. D’où l’importance de ce travail de revenir avec les images pour leur montrer et dialoguer sur leur ressenti. Cela passe aussi par le fait de les laisser prendre les images elles-mêmes : le cinéma n’est plus réservé à une élite. Chacun peut produire quelque chose pour évacuer la douleur. Cela peut passer par les arts, le théâtre, le cinéma, la danse. C’est pour cela que je dis que c’est une vision de la vie, vivre autrement et faire son métier autrement.
Bien sûr, pour l’extérieur, le dispositif cherche à faire bouger les gens sur ce qu’ils pensaient connaître du Rwanda, c’est ma responsabilité de cinéaste. Aujourd’hui, c’est la somme de tout ce travail qui a pris des années.
Tahar Chikhaoui : Comment s’est déroulée ton action ?

Séance de sensibilisation à Kinyinya en 2003

François Woukoache : Quand je reviens au Rwanda en 2000, c’est d’abord pour enseigner, pour former des cinéastes, des étudiants en journalisme, donc on a créé une option cinéma, j’y ai travaillé pendant deux ans et ensuite on a créé l’association KEMIT, avec laquelle on a fait tout ce travail. Cela m’a permis d’apprendre beaucoup de choses, d’aller en profondeur, et en même temps cela ouvrait des opportunités pour qu’eux-mêmes racontent leurs histoires. Je ne suis pas rwandais, je ne suis pas rescapé, je suis de passage ici. Je ne peux que parler de la place où je suis, qui reste un étranger. Il était donc important de faire en sorte que les jeunes Rwandais puissent prendre la parole.
J’ai quand même encore envie de faire des films, de témoigner de ce qui se passe dans ce pays, de raconter des choses que les autres ne racontent pas, c’est cela qui m’intéresse. En 2005, durant le travail de recueil de témoignages dans un village non loin de Kigali où nous assistions aux commémorations du génocide, j’entends pour la première fois des histoires que je n’ai jamais entendues alors que je vis ici depuis un certain temps : des histoires de résistance, des histoires de justes, des gens qui ont caché d’autres gens au risque de leur vie. Je commence vraiment à le formaliser en tant que projet cinématographique trois ans avant le tournage, en 2012. Pour que je sois prêt, il a fallu que je passe par tout ce qui précède, et notamment L’espoir, le deuxième volet de la trilogie, avec un groupe de jeunes rescapés et des gens qui ont échappé au massacre parce qu’ils étaient Hutus ou à l’étranger. Nous avons voyagé à travers le Rwanda pour rencontrer les “justes”, qui leur ont raconté l’histoire du génocide. Ils ont vécu cela ensemble pendant deux semaines, appris à se connaître et à dialoguer, mais avant, on avait organisé trois séminaires sur l’histoire des génocides dans le monde pour élargir la vision.
Tahar Chikhaoui : Est-ce que c’est pour cette raison que le personnage d’Anastasie occupe cette place dans le film ?

MUREKAZE Anastasia, 55 ans. Rescapée du génocide.

François Woukoache : Les personnages il faut les laisser vivre. Quand on rencontre des gens aussi extraordinaires, on ne peut que leur laisser l’espace. Travailler sur ce thème a remis en cause ma conception du héros. J’ai grandi dans un quartier populaire au Cameroun en regardant des films westerns, chinois, où les héros sont des super-héros. Au Rwanda, les vrais héros sont de “simples gens” qui vivent sur les collines. Ma responsabilité en tant que cinéaste est de trouver le dispositif cinématographique qui fait que cette parole soit entendue. Tout le travail fait au Rwanda est centré sur la parole. Nous, cinéastes et “intellectuels” africains, avons très souvent pris la parole à la place des autres et nous nous sommes beaucoup trompés. Le génocide est venu nous dire qu’on était à côté de la plaque. Ntarabana vise à réinventer un dispositif narratif qui fasse que ceux qui prennent la parole puissent être entendus. Anastasie a sauvé la vie de Gaspard. Ce n’est pas un cas rare au Rwanda. Mais les justes ce ne sont pas seulement ceux qui ont sauvé des vies. Ils vont au-delà.
Tahar Chikhaoui : Sa parole est structurante dans tout le film : elle est mise en scène et mise en récit. Ce qu’elle dit au début n’est pas forcément ce qu’elle dit au milieu, ni ce qu’elle va dire à la fin. Il ne suffit pas de lui laisser la parole, il faut trouver la dramaturgie et un principe de mise en scène qui puisse la valoriser.
François Woukoache : Le principe est simple : c’est le respect. Ce sont des gens que j’ai fréquentés durant des années. Quand je viens tourner, il n’y a pas de mise en scène, il y a juste une connaissance intime de l’un et de l’autre, qui fait que quand on se parle il n’y a pas d’interview, c’est une causerie, comme celle que j’avais avec elle pour avoir de ses nouvelles. Je les ai laissés être ce qu’ils sont. Ils ont accepté parce qu’ils m’ont fait confiance, parce qu’on a travaillé avec eux pendant suffisamment longtemps pour qu’ils puissent juger de ma sincérité. C’est ça le dispositif.
Tahar Chikhaoui : Juste le respect et la confiance ?

RUGWIZA Froduald, 49 ans. Juste de Ntarabana.

François Woukoache : Oui, mais ça n’est pas donné ! Ce n’est pas acquis au départ. Il faut vous rendre compte de l’impact du génocide sur la psychologie des rescapés, leur sentiment d’abandon par le monde entier, par l’humanité. Après 1994, les prisons sont bondées. Les médias se penchent sur le sort des prisonniers. C’est une nouvelle blessure : le sort des rescapés est délaissé. Il faut beaucoup de temps pour tisser ces liens et arriver à un niveau de confiance suffisant pour que les gens vous ouvrent leurs cœurs.
Olivier Barlet : Une douzaine de longs-métrages, une flopée de documentaires, énormément d’images seront faites au Rwanda, qui vont parler du génocide et des gacacas, les tribunaux populaires. Cela va des fictions hollywoodiennes comme Hôtel Rwanda ou Shooting Dogs à des films puissants et justes comme Sometimes in April de Raoul Peck. Toutes ces images sont faites par des gens qui viennent au Rwanda pour les faire. En 2019, le Rwandais Joël Karekezi a eu le grand prix du Fespaco pour La Miséricorde de la jungle, son deuxième long métrage après Imbabazi, Le Pardon. Des cinéastes rwandais émergent, qui commencent à avoir une destinée internationale, comme Marie-Clémentine Dusabejambo. Une cinématographie nationale se met en place. Comment tout cela s’imbrique-t-il avec ces vingt années de travail ?

MUKANKUNDIYE Anne-Marie, 73 ans. Juste de Ntarabana.

François Woukoache : Ça ne s’imbrique pas vraiment. Malheureusement, comme dans la majorité des pays africains, il n’y a pas vraiment de politique culturelle. C’est focalisé sur la reconstruction économique, ce qui est très bien, mais on a un peu oublié la culture au niveau national. Donc ça se fait tant bien que mal, mais ça se fait parce que c’est inévitable. Même si on comprend que le rôle de la culture est important, elle ne joue pas encore pleinement le rôle qu’elle devrait avoir au sein de la société. Tous ces films ont permis de parler du Rwanda mais pour nous Africains, la perspective doit être différente : on ne peut plus se contenter d’être de passage. Evidemment, je peux comprendre que tout le monde ne peut pas se permettre d’habiter pendant 10/15 ans au Rwanda ! Mais je pense que la relation, pas seulement avec le Rwanda mais avec tous les pays africains doit être différente. J’ai l’impression qu’on est toujours en train de tourner en rond. On pose les questions posées il y a 20/25 ans, que la génération précédente se posait déjà. Cela montre qu’on est dans une impasse. Même si de temps en temps il y a des percées, des trajectoires intéressantes, globalement on est encore au pied du mur. Trop peu de pays ont des structures permettant de faire des films régulièrement. C’est même encore plus difficile qu’avant, malgré une technologie qui a rendu les choses plus faciles, c’est quand même un paradoxe. Ce paradoxe, on le retrouve au Rwanda malheureusement. J’ai l’espoir que ça change mais ça demande des sacrifices. Aujourd’hui, on n’a plus le temps de faire des films comme je l’ai fait, en autoproduction. Pourtant, je pense que le salut passe par là. C’est ce que je disais dans une autre interview avec Olivier il y a 15 ou 20 ans, il faudrait une génération qui se sacrifie et se concentre sur la formation plutôt que de faire des films, pour que le cinéma africain émerge réellement.
Tahar Chikhaoui : Je remarque qu’Anastasie a à peu près le même âge que toi, 55 ans, éducatrice, dans la pédagogie depuis 33 ans, et qui se concentre sur les jeunes. Est-ce que ce personnage n’est pas une sorte d’alter ego (ce qui nous ramènerait à la question précédente de la mise en scène) ou alors tu t’es retrouvé en elle et tu l’as choisi parce qu’elle incarne cette volonté dont tu parles de t’inscrire dans le temps, dans une pédagogie, dans un accompagnement ?
François Woukoache : Un protagoniste pour un cinéaste, c’est toujours un alter ego puisqu’on va en général vers des personnages qui nous ressemblent un peu, mais si je l’ai choisie et si elle s’impose quasiment comme le personnage principal du film, c’est aussi parce que cela entre en résonance avec mon travail depuis quasiment Asientos, voire même depuis Mélina. Une des questions qui me traversent est celle de la transmission, parce qu’il n’y pas de mémoire sans transmission. Comment transmet-on ou non nos expériences ? Mélina porte sur les funérailles de mon père et sur la place occupée par ma mère, cette dualité entre la religion catholique dans laquelle nous avons été élevés et nos traditions que nous connaissons plus ou moins. Asientos, c’est également cela : un jeune homme qui a perdu la tête joue sur une plage et rencontre un personnage imaginaire qui va lui transmettre quelque chose. Le projet L’Espoir était de faire voyager de jeunes Rwandais pour rencontrer des anciens qui vont leur transmettre l’Histoire sur les lieux des événements. Cela revient toujours à ce qui me semble très important : comment transmet-on l’Histoire ? Comment la mémoire se construit-elle si on n’est pas capable de transmettre ? Anastasie a un sens extrêmement élevé de son métier d’éducatrice, qui en même temps lui a permis de faire cette démarche de réconciliation et de pardon. Elle a compris non seulement le rôle qu’elle doit jouer en tant qu’éducatrice dans la société, mais par rapport à ce moment de l’Histoire de son pays. Ce n’est pas une universitaire, elle n’a pas fréquenté les conférences, c’est une paysanne qui vit sur la colline. Sa place est pour moi extraordinaire, c’est pour ça que je dis que nous devons repenser notre façon d’approcher le cinéma, parce qu’on risque de passer à côté de ce genre de personnes. On a besoin d’apprendre de ces gens-là ! Ils sont porteurs de cette humanité et capable de nous la transmettre.

Tournage à Ntarabana – Juillet 2015

Olivier Barlet : Dans Ntarabana, il y a peu de mise en scène. Il y a du montage, bien sûr, qui construit une dramaturgie, une évolution dans ce qui est dit. Le respect dont tu parlais est très présent dans les images et déclenche notre émotion. Les éclairages sont travaillés pour que transparaisse la beauté des personnes, mais à l’image, ils sont assez statiques, c’est leur parole qui est centrale. Le travail que tu as évoqué permet de sortir de la sidération du génocide pour libérer une parole. Avec l’ingénieur du son et le chef opérateur, vous formez une équipe aguerrie qui permet à ces individus d’être le plus possible en dignité. Cela leur permet de s’exprimer complètement, non seulement par ce qu’ils disent mais aussi par leurs corps.
Tahar Chikhaoui : Une question de la part de nos internautes pour alimenter le débat ?
Sébastien (modérateur) : Lucas pose la question de la signification des plans surexposés qui reviennent et s’estompent à la fin.

François Woukoache : Cela rejoint la question des dispositifs cinématographiques. Comme je l’ai dit, je suis cinéaste, ce qui suppose de savoir ce qu’on utilise pour faire bouger les gens. Déjà dans Asientos, il y a quelques images du Rwanda, ensuite dans Nous ne sommes plus morts, il y a des images du génocide et des corps de façon assez violente et dans les films d’après aussi. Mais quand on tourne Ntarabana en 2015, j’ai déjà fait ces films-là et déjà montré tout ça. Il faut donc essayer de raconter le génocide autrement, et ce que j’ai eu envie de faire entendre ne nécessite pas de rester sur les images du génocide. Ma question était donc de savoir comment évoquer le génocide sans avoir à le montrer. La réponse, c’est d’utiliser ce qui en général est vu comme une faute de surexposition et de l’utiliser pour dire autre chose, pour dire ce monde qui n’est plus monde, cette réalité qui devient autre que la normalité. A chaque fois qu’un juste intervient, il y a ce basculement.

NKUNDIYE Gaspard, 39 ans. Ancien milicien.

Pour aller un peu plus loin, Gaspard, ce jeune homme qui a assassiné des enfants alors qu’il était lui-même à peine adolescent, a l’air simple mais est extrêmement complexe, torturé, quasiment au bord du suicide. Il a été sauvé par Anastasie. Au moment du tournage, il a 35 ans, il a fait de la prison où il a subi des choses dont il ne veut pas parler, mais on sait bien que cela n’a pas été simple. Il n’a jamais été marié, il n’a pas de fiancée, il vit chez sa mère. C’est un personnage entre le bien et le mal, parce qu’il est vrai qu’il a tué mais ce n’était qu’un enfant.
Tahar Chikhaoui : D’ailleurs, elle se comporte avec lui comme une éducatrice.
François Woukoache : Effectivement, elle a été son éducatrice à l’école.
Tahar Chikhaoui : Il est un casseur de pierres. Il est filmé en surplomb des autres travailleurs. Est-ce que cela à un sens ? On est aux antipodes de deux choses ?

Tournage à Ntarabana – Juillet 2015

François Woukoache : Oui. Déjà, il y a cette réalité : ce sont comme des travaux forcés, des bagnards qui cassent la pierre, cela renvoie à ça. En même temps, c’est aussi la rédemption par le travail : c’est dans cette carrière qu’il rencontre le juste qui a sauvé des vies. Il veut se racheter en travaillant, en gagnant honnêtement sa vie, en essayant de commencer à faire du bien, et en même temps, il est perdu, on sent qu’il est fondamentalement détruit. Mais il reste un être humain et il faut qu’on arrive à faire percevoir cette humanité. Ma responsabilité en tant que cinéaste c’est d’arriver à faire en sorte qu’on ne le voit pas comme un monstre. Il a participé au génocide, mais il reste un être humain malgré tout. Nous devons être capables de regarder cela en face comme Anastasie a été capable de reconnaître cet enfant à qui elle a donné à manger, qu’elle a enseigné à l’école. Cet enfant est encore capable d’être sauvé, parce que si on arrive à le sauver, cela signifie qu’il y a encore un espoir pour nous autres êtres humains. C’est à cela que servent ces éléments techniques. Ce sont des choses simples : on n’a pas besoin d’être dans l’agitation cinématographique. On doit être dans le moment juste, et on ne peut être dans ce moment-là que si on a une connaissance intime des personnages. Cette connaissance vient du fait qu’on les a fréquentés longtemps, non pas dans le but de faire des films, mais dans le but d’en faire des amis, de mieux les connaître et d’apprendre d’eux. Ce respect transparaît forcément dans les images. Il faut souligner que j’avais une équipe magnifique et je salue ma cameraman qui a su capter ces images. Ils ont su en quelques semaines se fondre dans le projet.
Olivier Barlet : Cette génération, qui peut pardonner mais ne peut oublier, a pour charge de réaliser la réconciliation : elle a une double charge sur les épaules. Les personnages du film la portent clairement.

MUKANYANGEZI Marcianne, 72 ans, Rescapée du génocide.

François L. Woukoache : C’est cela qui redonne de l’espoir et qui permet de croire que c’est possible. Non seulement, ils sont porteurs de cela, mais ils en ont fondamentalement conscience. Ils ont conscience de ce qu’ils peuvent apporter aux autres. Ce n’est pas le film qui le révèle, ils sont comme ça dans la vie. Ce que nous avons essayé de faire, c’est de nous en approcher, de le mettre en images sans trop le dénaturer. La difficulté est plutôt là, un peu simplifiée par le fait qu’on n’a pas approché cela comme un travail cinématographique mais comme des rencontres humaines. Nous avons essayé d’amener nos spectateurs à leur rencontre comme nous les avons rencontrés et de les laisser découvrir ce que nous avons découvert, et s’imprégner de ce qui nous a impressionnés.
Sebastien (modérateur) : Joëlle se demande “si vous avez été en relation avec Jean Hatzfeld qui a traité le même sujet dans son livre Là où tout se tait ?”
François Woukoache : Non, pas du tout, même si on a des relations lointaines, parce que je connais un de ses cousins, mais on ne s’est jamais rencontré ni parlé. Par contre, j’ai lu ses livres qui sont remarquables : ce sont des travaux extraordinaires sur le Rwanda, sur la réconciliation et l’après génocide.
Tahar Chikhaoui : Le film se termine par la visite de Froduald à Anastasie. Elle lui reproche gentiment : « tu te fais rare, tu as oublié les amis ? » Cela résonne d’une autre manière lorsqu’ils avancent en profondeur dans le champ, presque la main dans la main. Je vois dans cette fin comme un appel parce que ce sont tous les deux des justes.

Témoignage d’un rescapé – Rwamagana 2002

François Woukoache : Il y a la question qui est : que faisons-nous de ces gens ? Nous en tant que société, en tant que pays, en tant que continent, mais aussi en tant qu’humanité. Est-ce qu’ils ont vraiment la place qu’ils devraient avoir dans la société, dans nos vies et dans nos pensées ? C’est pour ça que c’est important, ces scènes de la vie quotidienne. On voit un homme en train de couper du bois, la maman qui malgré son âge se lève très tôt le matin et va à pied cultiver un petit lopin de terre qui fait à peine 2m2. Est-ce qu’on est en train, à nouveau, de détruire quelque chose ? Parce que si elle ne voit plus, c’est qu’il faut survivre, gagner sa vie pour s’occuper de sa famille. Du coup, il n’a même plus le temps, alors qu’ils vivent dans le même village. Ce sont ces interpellations que j’essaie de poser, ce sont des gens qui représentent tellement de choses, ce sont des symboles, ils devraient parcourir les écoles et les lycées ainsi que les universités pour éduquer les gens et partager leurs expériences. Pour dire que s’ils ont fait ce qu’ils ont réussi à faire, c’est parce qu’il y a des valeurs sur lesquelles a été fondée cette société, qui ne sont pas toujours définies dans les livres ou dans les colloques universitaires. On peut aller puiser dans ces gens-là pour créer des repères et construire notre pays et notre jeunesse, c’est ça qui ne se passe pas en ce moment. C’était important d’avoir ces moments-là dans le film, de les montrer dans leurs réalités, mais en même temps de montrer leur dignité. Après tout ce qu’ils ont vécu, ils ont eu la sagesse de dépasser tout cela, ils sont fondamentalement dans l’amour. Cette marche sur la fin avec cette chanson qui n’est pas traduite alors que j’aurais pu la traduire, c’était un message au Rwanda à mes yeux. Ils s’en vont de dos. Vu leur âge, on n’a aucune garantie qu’ils seront encore là dans cinq ou dix ans. Ceux qui comprennent le kinyarwanda saisissent qu’ils s’en vont vers le soleil, ça doit nous interpeller encore plus.
Olivier Barlet : Les surexpositions sont certes des respirations puisqu’il y a beaucoup de paroles, mais le but semble être que tout résonne : le chant des oiseaux, le souffle du vent, les chants. On les entend très peu, ils sont assez courts, mais ils sont présents et ils résonnent. Comme tu disais, tu ne les as pas sous-titrés, mais c’est presque comme dans un office religieux où il y a les répons, un rythme qui se met en place.
Tahar Chikhaoui : On ‘est d’ailleurs posé la question du moment vers la fin où Anastasie est assise et parle sans sous-titres. Est-ce une absence volontaire ?
François Woukoache : Oui, c’est voulu, parce que ce film vient clore une trilogie sur le Rwanda, mais il vient clore en partie ma trajectoire également. J’ai fait ce film d’abord pour moi, mais aussi pour le Rwanda. Je suis à travers ce film en conversation avec le Rwanda. Il y a des moments qui sont des « apartés » et qui ne sont pas sous-titrés. Il n’y en a que deux ou trois, mais c’est quelque chose que j’assume, parce que je me suis dit que quand je regarde un film japonais je ne comprends pas tout : ça n’empêche pas que le film me touche – tant que j’aime le film, pourquoi pas, donc je me suis permis ça.
Olivier Barlet : Ce n’est pas gênant, Anastasie est tellement parlante par son corps, que ne pas la traduire un moment nous permet d’être davantage attentifs à la beauté qu’elle exprime.
François Woukoache : Oui, tout en faisant attention à ce que le spectateur ne sorte pas. Il faut choisir des moments qui ne soient pas une rupture. On a été attentif à ça, même si ça passe difficilement au montage, parce que le monteur n’est pas forcément dans la même logique.
Sébastien (modérateur) : Kofi Segla nous dit : « le cinéma africain dans son contenu souffre d’identité culturelle et traditionnelle de ses acteurs, la transmission dans ce paradigme ne saurait réussir intégralement sans une fidèle intégrité, sans un retour aux sources. Aujourd’hui le cinéma africain a un visage étranger ! Félicitations à toi François ». Ensuite un deuxième message de la part de Maurice Dieudonné : »Je ne pense pas que le cinéma africain soit en perte d’identité, mais il est en pleine mutation pour s’adapter voire même s’intégrer dans le monde réel que vivent les Africains eux-mêmes. Nous sommes dans un monde du donner et recevoir culturel, le nouveau monde sera ce qui sortira de cet échange. »
François Woukoache : J’ai envie de lui répondre que dans le donner-recevoir, il faut avoir quelque chose à donner. Notre problème est qu’on a de moins en moins de choses à donner, parce que les transmissions ne se sont pas faites, nous ne nous y intéressons pas suffisamment. Souvent ce qu’on donne, c’est ce que les autres nous ont donné qu’on leur renvoie. On est dans un monde qui est de plus en plus ouvert par la mondialisation et le multiculturalisme, mais dans multiculturalismes, il y a multi, ça suppose que ce soient plusieurs cultures qui puissent se mélanger et s’enrichir les unes des autres. En tant qu’Africain, il faut faire très attention parce que l’esclavage et la colonisation nous ont fait perdre beaucoup de choses, donc il ne faut pas croire que c’est si évident et si simple que ça. Il faut faire attention dans ce concept du donner-recevoir, que ce que nous donnons aux autres soit vraiment ce que nous avons à donner, et je pense que nous sommes riches de beaucoup de choses. C’est pour cette raison que c’était important pour moi de poser la question de la place que nous donnons à ces gens-là dans notre pays et dans nos histoires et nos mémoires. Quel rapport avons-nous avec eux ?
Tahar Chikhaoui : Quel rapport ont les Rwandais avec ces personnages ? Puisque ce film a été montré, mais sous quelle forme exactement ? Quels sont les lieux de visionnage ou projection et à quelle échelle ?
François Woukoache : Il est sorti à Paris en salle, sur grand écran, au Cameroun pareil, il est passé sur la plateforme Tënk, en ligne comme ce festival. Également, ici au Rwanda sur grand écran. Il y a des copies qui circulent, que les gens qui ont accès à viméo peuvent visionner. Les réactions sont un peu les mêmes, des questions qui vont au-delà du cinéma. Si on regarde comment les pays africains sont gérés, est-ce avec des références africaines ? Olivier parlait des gacacas, les tribunaux populaires, c’est une démarche mondialement reconnue aujourd’hui. Comment se construire en s’inspirant de ce qui se faisait dans la tradition ? Que peut-on y puiser pour pouvoir avancer ? C’est ça les vraies questions, mais il y a très peu de pays africains qui se les posent. Il ne faut pas non plus être naïf et avoir une vision angélique de nos cultures et nos coutumes, mais ne soyons pas non plus de l’autre côté en pensant que la tradition, c’est mauvais. Les Coréens se sont occidentalisés, mais en réussissant à garder un côté traditionnel assez fort, ce qui n’est pas encore le cas des Africains. Nous sommes encore dans cette recherche. Je pense qu’on peut aller plus loin dans ce questionnement et que le cinéma et la culture ont un rôle très important à jouer.
Olivier Barlet : Pas d’autres questions, Sébastien ? On peut demander à François dans quelle perspective il se situe aujourd’hui ?
François Woukoache : Disons que je suis en train de travailler sur quelques sujets, mais comme toujours avec moi ça prend du temps. Il faut le temps que ça mûrisse et que les choses se mettent en place. Je n’ai jamais été dans la vitesse, et encore davantage maintenant, avec l’expérience que j’ai eue ici, au Rwanda, qui m’a fondamentalement convaincue qu’il faut prendre son temps pour pouvoir mûrir les choses.

Un grand merci à Oumaima Garess pour son aide à la transcription.

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