19ème long-métrage de Merzak Allouache, présenté aux Journées cinématographiques de Carthage 2024 où le réalisateur a donné une masterclass (à lire ici), Première ligne se révèle, au-delà d’être une comédie de mœurs, une observation satirique de l’évolution de la société algérienne.
La première ligne, c’est la meilleure place à la plage face à la mer : il faut se dépêcher pour pouvoir l’occuper. C’est ce que fait la famille Bouderbala de bon matin, mais les préparatifs prennent du temps et la plage est déjà bondée. Qu’à cela ne tienne, elle installe sa tente devant les autres. Mais voilà qu’arrive la famille Kadouni qui soudoie Hakim qui gère la plage pour s’installer juste devant les Bouderbala, lesquels, bien sûr, ne tardent pas à réagir. Un compromis est finalement trouvé et le film continue à dérouler un regard amusé sur les travers de chacune et chacun, tableau des contradictions entre générations et révélation des relations amoureuses, jusqu’à ce que la situation s’embrase et que tout le monde se retrouve au poste !

Ainsi décrit, Première ligne est une bouffonnante farce en scope, que la musique enjouée et les couleurs vives des parasols situent dans la légèreté estivale. On en sourit sans pour autant s’esclaffer. Derrière le plaisant amusement se profile une satire. Cette plage, on y fait la cuisine comme chez soi, chacun se l’approprie autant que faire se peut. Ce n’est cependant pas à ce niveau que la satire agit : elle n’est pas moquerie. Allouache est bienveillant, il respecte ses sujets. Il apprécie clairement le parler populaire et son humour, une dérision-miroir où chacun se retrouve même dans ce cadre purement fictionnel. Et il met volontiers l’accent sur les aspirations tant sociales qu’amoureuses d’une jeunesse qui étouffe, voudrait dépasser les injonctions parentales et songe à partir.
Ce faisant, ce qui l’intéresse est ce qui fondamentalement a changé : l’appropriation par les hommes de l’espace public pour s’enrichir. Il en dresse le cadre. Que les matriarches se chamaillent est dans le scénario, mais ce sont les hommes qui plantent le décor. La comédie laisse dès lors la place à des antagonismes latents qui tournent mal, une violence larvée qui pourrait vite dépasser une rixe sur une plage. La comédie n’est pas un genre réaliste mais le fond est là, et ce mélange d’humour et de gravité fait résonner le film comme un avertissement.