» Quand un rêve d’enfant devient réalité « 

Entretien de Christine Avignon avec Hallain Paluku

Bruxelles, Août 2007
Print Friendly, PDF & Email

A 11 ans, Hallain Paluku – né à Kinshasa en 1977 – s’amusait à africaniser les personnages de Tintin, Gaston, Boule et Bill, etc. Devenu illustrateur de presse, il entre progressivement de l’univers de la Bande dessinée grâce à divers ateliers, expositions et ouvrages collectifs. En 2006, son premier album,  » Missy « , qui retrace l’histoire d’une étoile de cabaret aux formes généreuses, remporte un énorme succès en Belgique et en France.

Missy, premier album et déjà la consécration ?
La consécration peut-être pas, mais c’est vrai que l’album a beaucoup de succès. Je m’en réjouis. Avant, quelques unes de mes planches ou des petites histoires étaient parues dans des magazines au Congo ;  » Missy  » est mon premier album complet. Le plus curieux est que cela ne ressemble pas à ce que je fais habituellement. Je dois avouer que je suis plus à l’aise dans les dessins comiques. Là, c’est un album personnel, qui est arrivé en cours de chemin.
Vous avez toujours voulu devenir dessinateur ?
Je dessine depuis mon plus jeune âge. Je participais à des concours scolaires et je répondais à des concours dessins annoncés à la télévision. Un jour l’ACRIA*, qui a créé le festival de bande dessinée de Kinshasa, a organisé une exposition au centre Wallonie-Bruxelles sur le thème des transports dans la ville (ce que nous appelons parfois le  » casse-tête kinois « ). J’y présentais quelques unes de mes planches. J’avais été interpellé par l’intérêt que leur portait le public. C’est à ce moment-là que j’ai sérieusement envisagé de devenir dessinateur.
Cela dit, je mentirais si je disais que contrairement aux autres enfants, je n’ai jamais voulu être médecin, cuisinier, ministre…Ce qui s’est passé, c’est qu’au moment où la plupart des enfants lâchent leurs crayons et quittent le monde de l’enfance, j’ai continué à dessiner.
Avez-vous suivi une formation artistique ?
J’ai étudié à l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa. Mon diplôme en poche, j’ai commencé à travailler vers l’âge de 18 ans pour la presse. J’ai fait de l’illustration et des caricatures pendant six ans : cela m’a permis de m’exercer un peu au niveau du dessin, d’observer les choses et de les retranscrire d’une certaine façon. Malheureusement avec ce que je gagnais je ne pouvais même pas payer un loyer. Mais j’étais dans le bain, dans le métier, j’essayais d’arriver à quelque chose ; je travaillais pour des structures où je pouvais me perfectionner dans d’autres domaines que le dessin, comme l’informatique. Je disposais également d’Internet, pour communiquer avec l’extérieur, nouer des contacts avec des artistes, des responsables de festival, etc. Cela m’a ouvert des portes.
Qui sont vos  » parrains  » dans le monde de la BD ?
Je suis entré dans le milieu professionnel grâce à Barly Baruti et Thembo Kash, deux grands bédéistes congolais. C’est par leur intermédiaire que j’ai eu mes premières commandes de dessins. Quand j’étais enfant, Barly passait à la télévision, dans l’émission  » Barza « , au cours de laquelle il dessinait en direct. J’adorais aussi sa BD d’humour  » L’aventure c’est l’aventure « . C’était la star que je suivais de loin. Thembo Kash en revanche était plus proche de moi, je lui rendais visite dans son atelier, je le regardais dessiner, il me donnait des conseils. Ils ont tous les deux apprécié  » Missy « . J’en suis heureux, parce que pour moi ce sont vraiment des maîtres.
Où puisez-vous votre inspiration ?
Je m’inspire de ce que je vois. Par exemple j’ai toujours eu une attirance pour les femmes rondes. Sur  » Missy « , le dessin a influencé l’histoire. Le personnage était là, avec ses formes ; l’histoire est venue après. Pour ce qui est de l’absence de visage, c’est venu comme ça. Disons que c’est un peu un défi technique que je me suis lancé. Je voulais que les lecteurs perçoivent l’émotion par l’expression du corps.
Vous avez travaillé avec le scénariste Benoît Rivière et le coloriste Svart. Comment les avez-vous connus ?
Grâce à Internet. D’ailleurs nous ne nous sommes jamais rencontrés. Nous avons communiqué uniquement par mails et par téléphone, mais la collaboration s’est effectuée de manière très fluide. Comme si nous étions côte à côte. Au départ, Benoît m’a posé beaucoup de questions sur moi, sur ce que j’aimais, ce que j’avais envie de dessiner. Il est chroniqueur BD pour divers journaux. Dans la foulée de  » Missy « , qui est aussi son premier album, il va bientôt publier un polar aux éditions Delcourt.
Svart a récemment collaboré à deux albums de la collection EP Jeunesse :  » Les 3 petits cochons  » et  » 7 nains et demi « . Pour les éditions Delcourt, il réalise les couleurs des  » Hydres d’Arès  » et de la suite de  » Maxime Murène « .
Quel retour avez-vous des lecteurs de  » Missy  » ?
Que du positif ! Notamment par rapport au fait que je n’ai pas dessiné les visages. C’est une remarque qui revient souvent. Les lecteurs aiment, mais ils veulent savoir pourquoi j’ai fait ce choix. Je ne m’attendais pas à un tel succès. C’est une première expérience, alors forcément cela m’encourage à continuer. Quelquefois les gens viennent de loin spécialement pour me rencontrer. Ils me disent (principalement les femmes) qu’ils se reconnaissent dans la BD. Cela me touche. Ils me posent aussi des questions sur la fin de l’histoire, qui les rend tristes. C’est une fiction, mais finalement elle se rapproche beaucoup de la réalité. J’ai d’ailleurs été invité par une association de femmes rondes, à Paris, pour parler de l’album. J’étais impressionné, parce que certains témoignages de ces femmes cadraient parfaitement avec l’histoire de  » Missy « .
J’avais déjà rencontré mes lecteurs sur un festival en 2001, autour du projet  » A l’Ombre du Baobab « , qui avait été mis en place par l’ONG française  » Equilibres et populations « . Les organisateurs avaient demandé à plusieurs dessinateurs africains de créer une BD sur le thème de l’éducation et de la santé. J’avais eu des retours de lecteurs à ce moment-là, mais c’était différent puisqu’il s’agissait d’ un album collectif.
Allez-vous exposer vos planches originales ?
Ce n’est pas prévu pour l’instant, mais ça me plairait bien. J’ai quand même un certain nombre de dessins et de petits croquis que j’ai réalisés depuis 1999 pour  » Missy « . J’en ai mis sur mon site, maintenant il faudrait trouver un lieu où les exposer. Ce serait intéressant. On verra ce que nous dira l’avenir.
Participez-vous à des festivals ?
Oui, depuis la sortie de  » Missy « , en novembre 2006, j’ai été pas mal demandé, notamment en France, où il y en a pratiquement un ou deux par week-end. C’est assez énorme. Le problème quand on est sur des manifestations comme celles-ci, c’est que l’on ne travaille pas. En ce moment je préfère rester à Bruxelles. Je dessine.
Pourquoi avez-vous choisi de vivre en Belgique ?
Je suis arrivé à Bruxelles en 2002. Je trouvais qu’il y avait une plus grande liberté en Belgique. A Kinshasa aussi on a de la liberté, mais elle est restreinte par les besoins matériels.
Y-a t’il des références au Congo dans  » Missy « .
Oui, évidemment, parfois j’ai des images qui me reviennent. Les gens qui connaissent le Congo et qui regardent bien la BD, doivent sûrement se dire par moments :  » tiens, ça, ça vient de Kin « . Mais ce n’est pas systématique. Je me considère avant tout comme un dessinateur. Je m’adresse à tout le monde. Si je vivais au Japon, peut-être que je dessinerais des Mangas.
Etes-vous resté en contact avec des dessinateurs congolais ?
Bien sûr. Je leur fais part de l’évolution de ma situation. Très souvent ils m’envoient des planches, que je transfère à mes amis scénaristes.
Quels sont vos projets ?
Je viens de terminer un album sur le rugby, dans lequel je suis revenu à mes premières amours : l’humour, le gag. Il est à l’opposé de  » Missy « . C’est une BD de commande, dans le cadre de la coupe du monde. J’ai travaillé avec un seul scénariste : Christophe Faraut. J’ai réalisé les dessins et ensuite j’ai fait la couleur avec lui. Il est également dessinateur, il fait des illustrations pour la presse sportive. Comme j’étais en retard sur les délais, il m’a proposé de l’aide. Heureusement, parce que sinon j’y serais encore aujourd’hui ! Il a fait les aplats et j’ai finalisé.
Je vais ensuite enchaîner avec un troisième album, sur les trentenaires. Je collabore au scénario avec Rawia, une amie rencontrée pendant que je travaillais sur  » Missy « . Nous essayons de trouver des gags ensemble. L’album devrait paraître en mars 2008, aux éditions Joker.
J’ai également un autre projet en cours, avec Benoît Rivière, basé sur mes souvenirs d’enfance au Congo.
Je sens aussi qu’il y a une attente par rapport à  » Missy « . J’ai l’impression que les lecteurs aimeraient qu’il y ait une suite.
En route pour la gloire ?
Oh, là, là, il ne faut pas non plus exagérer, mais je suis content. C’est vrai que ça marche plutôt bien pour moi en ce moment. Je vais enfin accomplir ce dont je rêvais depuis tout gosse : vivre de mes dessins ! Plus tard, si j’accède à une certaine notoriété, avec un peu plus de moyens, j’espère pouvoir monter des projets au Congo.

* Atelier de Création, Recherche et Initiation à l’Art (aujourd’hui CRIA)Missy, éditions  » La Boîte à Bulles « , 13€90
A l’ombre du Baobab,  » Equilibre et population  »
Sites de l’auteur: http://hallainpaluku.skyrock.com/ et http://www.myspace.com/hallainpaluku
Hallain Paluku sera présent du 05 au 07 octobre au festival de BD de Chambéry
(www.chamberybd.fr)///Article N° : 6916

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article
Missy © Hallain Paluku
Missy © Hallain Paluku





Laisser un commentaire