Hallain Paluku : « Je suis dans une phase où je préfère raconter les choses avec légèreté »

Entretien de Christophe Cassiau-Haurie avec Hallain Paluku

Réalisé par MSN entre Maurice et Bruxelles, mars 2009.
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Pour beaucoup, l’un des chefs-d’œuvre BD de l’année 2006 fut la sortie de l’album Missy chez l’éditeur La boite à bulles. Ses auteurs, le Congolais Hallain Paluku et Benoît Rivière s’étaient rencontrés sur le net suite à une initiative de Paluku désireux de développer un projet personnel qu’il portait depuis plusieurs années. Par la suite, Paluku dessine le premier tome de Rugbill, en 2007, chez Carabas, en pleine coupe du monde de rugby. Son prochain album chez Joker, traitera sur le mode comique de la sortie de l’adolescence chez les jeunes d’aujourd’hui.

Quel type d’études, avez-vous faite ? Artistique ?

J’ai la chance d’avoir une mère qui a cru dès le départ à mon potentiel et m’a poussé à faire des études d’arts. Elle m’avait inscrit à l’Académie des Beaux-arts de Kinshasa peu avant que mon père ne m’inscrive à un institut, dont je ne me souviens plus le nom, pour des études littéraires. L’examen d’entrée à l’académie était concluant alors que celui de l’autre ne l’était pas du tout. Il faut dire que j’avais œuvré pour cela. J’y étais allé comme un vrai analphabète.
L’Académie des Beaux-arts m’avait tout de suite plu. Je m’y sentais très bien. Parti pour faire des études de décoration intérieure (petit, je dessinais beaucoup des plans de maisons aménagées), je m’étais retrouvé en peinture, fuyant les calculs d’échelles qu’exigeait la décoration intérieure.

Quels ont été les enseignants qui vous ont le plus marqué lors de vos années d’études ?

J’ai connu des professeurs aussi fous les uns que les autres. Plus dans leurs attitudes que dans leurs arts. Je me souviens de ces phrases cultes, comme celles de mon prof de peinture Mukalayi qui n’arrêtait pas de crier « Maïsha ! Maïsha ! » (La vie ! La vie) pour nous booster. « Okoteka nyau na Socimat petit » (Tu vendras des chats à Socimat), disait-il à ceux qui ne bossaient pas bien. Je me souviens également de ce mouchoir blanc qui pendait toujours de la poche de mon prof de croquis. On se demandait bien pourquoi il ne le rentrait pas. Mystère… « Rachetez le temps ! Rachetez le temps ! » nous criait-il quand on traînait à finir nos dessins. Il y avait également le prof d‘histoire de l’art. Carrure imposante, regard sévère et grosse voix. De lui, j’avais eu droit à un « Paluku, tu écris comme une vache qui rit » ! Au fond, il était adorable. Paix à son âme. Bref, autant d’enseignants qui ont su, grâce à leurs personnalités, rendre les cours intéressants. Mais j’avoue que j’ai plus retenu ce qui se passait autour des cours que les cours eux-mêmes.

Le dessin est une passion qui vient de loin, apparemment ?

Difficile de dire exactement quand j’ai commencé à dessiner. Tout ce dont je me souviens c’est que j’aimais beaucoup dessiner quand j’étais gosse. Ma chambre était garnie de dessins que je collais sur les murs avec de la sève de manguier. Les cours de dessin me passionnaient et je ne manquais pas de participer aux concours organisés à l’école. Au secondaire je vendais mes quelques petites BD faites sur du papier arraché dans mes cahiers aux camarades de classe. C’était principalement des histoires de guerre et d’extraterrestres.

Venons-en à Missy, votre première œuvre qui vous a d’emblée assuré une certaine reconnaissance. Comment est né ce beau personnage de femme aux rondeurs généreuses ?

La première fois que j’ai dessiné Missy, j’étais surpris de voir que le personnage avait des formes semblables à celles de la demoiselle que je fréquentais à l’époque. C’était un fait inconscient. Elle n’était pas ronde pourtant et le personnage de Missy ne l’était pas non plus au début. Il y avait des formes mais ce n’était pas encore la Missy ronde qu’on connaît aujourd’hui. Ce premier dessin représentait la sculpture d’un personnage sans visage un peu comme celles qu’on trouvait à l’Académie des Beaux-arts. C’est en la redessinant peu à peu, que les rondeurs ont pris place. À la fin de sa réalisation, Missy était passée par quelques femmes qui lui avaient prêté, consciemment ou inconsciemment leur essence. C’est en 2004 que la mutation graphique s’est opérée vers la BD. J’avais envie de raconter une histoire sans histoire. Une envie de faire une BD où on aurait suivi cette femme ronde 24 pages sur 24 pages, pour ne pas dire 24h / 24h. Ça aurait été une sorte de « Reality-BD » où j’aurais laissé champ libre à mes fantasmes. D’ailleurs le titre était « Fantasmaronda ». Le fantastique et l’homosexualité s’y étaient un peu introduits car j’avais voulu faire de Missy une lesbienne ronde qui boit une potion pour maigrir tous les soirs afin de garder sa place dans cette boîte à strip-tease où elle charme ses collègues. Mais tout ça n’était pas encore satisfaisant, il fallait quelque chose de plus concret, de plus solide et profond. C’est avec la rencontre de Benoît Rivière que cela était arrivé. Il avait tout de suite compris mon penchant pour les femmes rondes et je crois qu’il avait aussi cerné mon côté sombre. Au bout de quelques échanges de mail, Missy a trouvé sa voie.

Missy qui a touché nombre de ses lecteurs s’est fait remarquer par son côté sombre et sa vision pessimiste des rapports humains…

Travailler sur Missy a été une rude épreuve. J’ai réalisé cette BD dans des conditions difficiles. J’avais un emploi que je n’aimais pas du tout, j’étais dans un état de dépression dû à certains aspects de ma vie privée. Je pense que tout ça a pesé dans la création de cet album. C’est une histoire triste qui est arrivée au moment où mon côté sombre prenait son essor. C’est un aspect de moi que je n’aime pas beaucoup exprimer. C’est peut-être pour ça que je n’ai pas voulu continuer sur cette lancée. C’est pesant de dessiner une histoire déprimante. À un moment, on le vit vraiment. On est réellement coupé de tout et on ressent soi-même tout ce qu’on dessine.

Depuis Missy, vous n’avez plus rien fait dans le genre ?

Je reviendrai à ce genre de récit, mais pour le moment je préfère raconter les choses avec légèreté. C’est comme ça que j’ai commencé à Kinshasa quand j’étais caricaturiste. Aussi, je n’ai pas envie de prendre telle ou telle direction parce que les gens m’y attendent. J’ai fait Rugbill parce qu’il me fallait un contrat pour assurer ma survie mais j’ai pris un certain plaisir à le dessiner même si le travail y est un peu bâclé à cause d’un temps de réalisation très court. En ce moment je travaille sur ma troisième BD, Mes 18 ans ? Parlons-en ! qui est une série de gags. J’aime ça et je le prends à cœur car c’est le premier album où je me retrouve seul au scénario et au dessin. Là encore, je réalise cette BD dans des conditions difficiles mais cette fois au moins, il y a une certaine distance et de la légèreté.

Vous aviez commencé dans le dessin de presse….

Mon diplôme d’art plastique en main, je m’étais mis à travailler dans la presse comme caricaturiste. Job que je combinais avec les études d’arts graphiques à l’Académie des Beaux-arts. J’ai arrêté la caricature dès l’instant où j’ai quitté le journal qui m’employait pour venir en Europe. Peut-être qu’un jour, lorsque je retournerai au Congo je m’y remettrai. Si aujourd’hui un journal congolais me proposait d’en faire je ne dirais pas oui tout de suite. Je suis tellement loin de l’actualité congolaise que je risque de moins bien rendre les choses.

Comment faites-vous pour assurer la promotion et la visibilité de votre travail ?

J’avais un blog que j’ai supprimé, la paresse aidant. C’est un travail qui demande du temps. Je ne suis pas un énorme bosseur au point de fournir régulièrement un blog en dessin. Pour le moment j’ai juste une page Myspace dont je ne m’occupe jamais, un Skyblog uniquement pour la promo de Bana Boul, Daily motion et Youtube pour la même raison. Mais on se perd facilement au milieu de tout ça. L’idéal serait d’avoir un site Internet où tout serait centralisé. C’est un projet d’avenir.

Votre série de dessins animés Bana boul, est-elle le fruit d’une commande ou d’un projet plus personnel ?

Il est vrai que Bana Boul peut-être considéré comme une commande au sens où un producteur y a mis des moyens pour avoir un produit commercialisable. Mais il est aussi plus que ça. C’est une série animée que j’ai créée et que je porte vraiment dans mon cœur. C’est un vrai retour au bercail pour moi, un lien artistique que j’ai rétabli avec le pays même si au départ la démarche était plus ludique qu’autre chose. Je suis heureux de voir que les gens me le rendent bien dans la communauté. Beaucoup de Congolais me font savoir qu’ils sont fiers d’avoir leur dessin animé. Ce n’est pas du Disney ou du Pixar, certes, mais ça a un sens pour nous. C’est donc vraiment loin de n’être qu’un projet de commande.

N’avez-vous pas envie de raconter des histoires liées à votre culture d’origine ?

Si mes histoires se passent en Europe, c’est parce que jusque-là, j’ai travaillé avec des scénaristes européens et des éditeurs dont les projets ne portaient pas sur l’Afrique. Je crois surtout que c’est parce que je vis ici, tout simplement. Je pense de moins en moins à dessiner ou à raconter l’Afrique, à en être une sorte de porte-parole ou d’ambassadeur, ce que je suis de par mon état de toute façon. Qu’est ce que ça change ? Rien ! Je ne dirais pas non si on me proposait de faire une BD dont l’histoire se passerait en Afrique. J’ai plutôt envie de parler du continent aux Africains en me projetant dans un futur, en montrant les choses comme elles devraient être. Faire rêver les gens, en quelque sorte.

Depuis mars 2009 :
En décembre 2009, Hallain Paluku a publié Mes 18 ans, parlons en ! chez Joker. Il prépare une suite intitulée Mes 20 ans, parlons en !///Article N° : 10191

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