Revoici Baba, » l’enfant noir » du film de 1995, qui a maintenant 22 ans et est invité à parcourir la France pour rencontrer les élèves des collèges ayant visionné le film de Laurent Chevallier. Le cinéaste en profite pour le suivre dans son périple. Il sera fidèle à la connotation exploratrice de son titre : de même que Spike et Stanley allaient à la découverte de l’Afrique secrète (le pays des peaux noires), Baba est confronté à l’inconnu français, pour le plus grand plaisir des spectateurs qui se gaussent de ses étonnements et de ses peurs.
C’est parfaitement navrant : le bon sauvage confronté à la technique (oh, comme le TGV va vite), gauche dans ses gestes (il ne sait comment attacher sa ceinture de sécurité dans l’avion gros plan sur la ceinture), ignare (c’est des moutons ? non c’est des vaches !), que l’on va donc devoir éduquer (son accompagnateur est un summum de paternalisme bon teint). Il est clair que le cinéaste retient l’anecdote qui fera sensation, de même qu’il expliquait avoir regretté de ne pouvoir filmer la découverte de l’ascenseur à Conakry par Baba dans L’Enfant noir.
Le sommet du ridicule est atteint dans les passages de montagne : neige, escalade
Le film s’attarde à plaisir sur un Baba qui a peur de s’y risquer. Rires des spectateurs. Mais de quoi rit-on ? L’historien burkinabè Joseph Ki Zerbo expliquait que depuis la traite et la colonisation, » la peur fait partie de l’âme africaine « . Chevallier se rend-il compte que sa perpétuelle recherche de l’anecdote qui fait rire le public, sur le dos du jeune Africain qu’il prétend respecter en le prenant à nouveau comme sujet mais dont il fait un objet de spectacle, tient du mépris historique non seulement pour le jeune Baba mais aussi pour tous les Africains ?
Il a beau jeu de se gausser de la langue de bois du présentateur de télé régionale qui arrange à toute vitesse l’introduction de Baba pour L’Enfant noir » remarqué à Cannes par la fraîcheur de l’interprétation de son jeune acteur « , ses bonnes intentions débouchent sur le même enfermement dans le rôle du bon sauvage envers qui nous avons un devoir de civilisation.
En bonne logique, Voyage au pays des peaux blanches s’inscrit ainsi dans la parfaite continuité de la vision coloniale de L’Enfant noir (cf critique sur ce site).
Pire encore, il fallait la bonne conscience politique : la fin du film s’y attelle, avec un passage sur le stage de mécanique obtenu à la demande de Baba pour son passage en France et le flash sur un squat d’immigrés, passage obligé pour corriger la vision idyllique de la France que transmet malgré lui le reste du film.
Et pour compléter le tableau de ce qui se montre et ne se montre pas (on imagine ce qu’aurait pu être ce film s’il avait été fait avec un regard moins franchouillard), le long zoom sur le visage en pleurs de Baba qui clôt le film, dernière indiscrétion.
Là où le film respire, c’est dans les rencontres avec les collégiens et collégiennes, qui posent des questions directes qui sortent parfois de leur vision de l’Afrique (est-ce que les filles te plaisent ?), ou bien dans l’accueil préparé de longue date comme à Vitrolles où ils ont dressé un grand buffet avec toutes les cuisines du monde à l’image de la diversité de leur classe.
Car la diversité se vit : elle ne peut sans ambiguïté être l’objet d’un spectacle.
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