Vues d’Afrique – 26e Festival PanAfrica international

"Des étoiles plein les toiles"

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Coupe du monde oblige, l’Afrique du Sud était à l’honneur de cette 26e édition du festival PanAfrica international de Vues d’Afrique. En un quart de siècle, Vues d’Afrique a su s’imposer avec peu de moyens (petite équipe, petit budget) dans une ville où il ne se passe pas une semaine sans festival de cinéma ! Le PanAfrica international, c’est l’occasion pour les Québécois de prendre des nouvelles, une fois l’an, de la cinématographie africaine et créole, encore trop rare sur les écrans nord-américains. Encore cette année, le PanAfrica offrait au public une belle sélection de films africains et caribéens, et où les productions canadiennes tiennent une place de choix, avec la section « Regards d’ici ». Au total, près de 110 films en provenance de 38 pays ont été projetés dans les salles montréalaises entre le 15 et le 25 avril. La Cinémathèque québécoise, quant à elle, proposait une rétrospective sur le cinéaste malien Souleymane Cissé, avec huit films.

Cette année, une nouvelle section a fait son apparition, « Musicafrica » qui, comme son nom l’indique, présentait une sélection de films sur la musique africaine et de ses diasporas, de la diva égyptienne Oum Kalthoum aux racines du reggae, en passant par une comédie musicale version dakaroise (Un transport en commun de Dyana Gaye). C’est finalement le Black Music (2008) de Marc-Aurèle Vecchione qui a été récompensé, impressionnant montage d’archives sur la musique noire américaine (du blues au rap), qui a accompagné tout du long les luttes pour les droits civiques au 20e siècle.

C’est donc un film sud-africain qui a ouvert les festivités le 15 avril, et pas des moindres. Le choix, gonflé pour un film d’ouverture, de Disgrace du réalisateur australien Steve Jacobs (2008) traduisait la volonté de la direction du festival de montrer le continent africain autrement, et pas forcément sous son meilleur jour. Disgrace (d’après le roman éponyme de J. M. Coetzee, Prix Nobel de littérature), véritable douche froide, marque profondément les esprits, en dévoilant une vision plutôt sombre sur le devenir de la nation arc-en-ciel. Côté fiction, un autre drame sud-africain, Shirley Adams (2009) du réalisateur Oliver Hermanus, a remporté le trophée, ainsi que sa comédienne principale, Denise Newman, pour son interprétation sensible et tout en retenue. Une mention spéciale a été également décernée au film Izulu Lami (2008) de Madoda Ncayiyana. Après avoir été distingué à Yaoundé et à Ouagadougou lors du dernier Fespaco, Ils se sont tus de Khaled Benaissa (Algérie, 2009) a reçu, quant à lui, le Prix du meilleur court-métrage. Côté documentaire, dans la sélection internationale, Comme un homme sur terre des réalisateurs Andrea Degre, Dagmawi Yimer et Ricardo Biadene (Ethiopie, Italie, 2008) a été primé pour avoir donné une voix et des visages (magnifiquement filmés, malgré la dureté des témoignages) à des réfugiés éthiopiens et somaliens, rescapés de l’enfer, victimes d’un trafic humain (de la traversée du désert aux prisons libyennes). Pour finir, les Prix « Africa Numérique » ont récompensé ex-æquo deux longs-métrages : Une femme pas comme les autres d’Abdoulaye Dao (Burkina Faso, 2008) et Saisons d’une vie de Shemu Joyah (Malawi, 2008). Le Prix de la meilleure série télé a été remis au film Le testament d’Apolline Traoré (Burkina Faso, 2009). C’est L’Afrique vue par… (commande pour le festival panafricain d’Alger en 2009) qui clôturait le festival… avec plus de légèreté qu’il n’avait commencé. Sur un modèle déjà connu, ce film regroupe dix courts-métrages d’une dizaine de minutes de dix réalisateurs du Maghreb à l’Afrique australe. Abderrhamane Sissako, Flora Gomes, Mama Keita ou Rachi Bouchareb… nous présentent leur vision toute personnelle de l’Afrique d’aujourd’hui. À noter la dernière apparition à l’écran du grand Sotigui Kouyaté – qui vient tout juste de nous quitter – dans son propre rôle, celui de griot, dans le film de Nouri Bouzid.

J’aimerais clore ce bref retour sur l’édition 2010 du PanAfrica, en évoquant deux films forts différents dans leur traitement (l’un fiction courte, l’autre documentaire long), qu’on ne peut manquer de rapprocher, car tous deux évoquent la conquête lunaire des années 1970 en l’associant à la poésie de Césaire. Tout d’abord, dans L’Afrique vue par…, le court-métrage de Balufu Bakupa-Kanyinda, Nous avons aussi marché sur la lune (RDC, 2009) est un magnifique hommage à la création : seize minutes de liberté et de poésie mise en images… Bakupa-Kanyinda rend hommage aux poètes (1), notamment à Matala Mukadi, auteur du « Réveil dans un nid de flammes », composé la même année que la première mission humaine sur la lune, en juillet 1969, Apollo 11… « Mais pourquoi aller chercher la lune là-haut ? La vraie lune, elle est là, sur notre terre », dit l’un des personnages du film. Il cite également le grand Aimé Césaire, tout comme le second film, Zétwal de Gilles Elie-Dit-Cosaque (France, 2008) sur lequel je vais revenir plus longuement sous la forme d’un entretien avec son réalisateur.

En ces journées où l’on célèbre l’abolition de l’esclavage et le cinquantenaire des indépendances africaines, une fois n’est pas coutume, j’avais envie de terminer sur ces quelques lignes célèbres et célébrées, notamment dans les deux films susmentionnés, extraites du Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, dont la force poétique a été le moteur de bien des rêves depuis :
« Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le vent, ma main petite maintenant dans son poing énorme et la force n’est pas en nous, mais au-dessus de nous, dans une voix qui vrille la nuit et l’audience comme la pénétrance d’une guêpe apocalyptique. Et la voix prononce que l’Europe nous a pendant des siècles gavés de mensonges et gonflés de pestilences, car il n’est point vrai que l’œuvre de l’homme est finie que nous n’avons rien à faire au monde que nous parasitons le monde qu’il suffit que nous nous mettions au pas du monde mais l’œuvre de l’homme vient seulement de commencer et il reste à l’homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins de sa ferveur et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force et il est place pour tous au rendez-vous de la conquête et nous savons maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu’a fixée notre volonté seule et que toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement sans limite. » (2)

1. Lire « Je me sens redevable de mes poètes », entretien de François-Xavier Dubuisson avec Balufu Bakupa-Kanyinda à propos de Nous aussi avons marché sur la lune, Bruxelles, le 23 octobre 2009. [ici]

2. Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Paris, Éd. Présence africaine, 1983, rééd. 2007, p. 57-58.Montréal, Avril 2010

Vues d’Afrique : [le site]///Article N° : 9470

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