Que peut la poésie ? Que peut la littérature ?

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Que peut la poésie ? Que peut la littérature ? Que peuvent les intellectuels et les artistes ? Il est de bon ton de se poser la question en ces temps de détresse. Le périple des migrants sur les routes qui mènent de l’Afrique à l’Europe nous interpelle. La mise en esclavage de milliers d’entre-eux en Libye choque. Que faire de ces
sentiments mêlés d’indignation et d’impuissance ? Africultures choisit de (re)penser les frontières du 21e siècle avec les regards d’historiens, sociologues, musiciens, écrivains, poètes. De puiser dans leurs mots des armes de réflexion, de résistance, de création, de re-construction.
La revue Africultures, parue ce mois-ci, s’intitule Objets d’inhumanité. Frontières, traversées, migrations. Nous vous en proposons ici un extrait. Dans ce magazine Afriscope, Amzat Boukari-Yabara, historien, décrypte les réactions politiques des sociétés civiles aux dirigeants politiques, africains et européens, sur la crise migratoire incarnée à son paroxysme par la situation libyenne. Que nous dit, quant à lui, Wilfried N’Sondé avec son nouveau roman, Un océan, deux mers, trois continents en Une de ce numéro ? Il nous raconte l’esclavage, au 17e siècle, à travers la fi gure historique d’un prêtre du Kongo, Nsaku Ne Vunda. Il lui donne une voix dans la traversée de l’Atlantique qu’il a réellement faite, envoyé par son roi, auprès du Vatican pour demander au pape d’abolir l’esclavage. Il remet en cause, par sa trajectoire et par l’union des forces qu’il construit avec un matelot,
un système de division racialisé en construction à des fi ns économiques dont nous sommes, aujourd’hui encore, les héritiers. Il était en avance sur son temps mais son message ne saurait être vain, 400 ans après avoir été formulé. Et Wilfried N’Sondé l’a senti et nous le transmet. Parfois, pour reprendre les mots de Toni Morrison, l’écrivain peut être plus « fiable » que l’historien. Par la subjectivité introduite dans l’oeuvre de fiction, alliée à une documentation précise, un roman peut faire ressentir un fait historique à un lecteur qui en serait a priori distant et révéler aussi la contemporanéité de ses réflexions. « J’avais déjà lu des études, témoigne Morrison au sujet des enfants soldats en Afrique. Mais par le biais [d’un] roman, moi, femme américaine de 75 ans, j’ai pu entrer en lien direct avec cet enfant africain. C’est en cela que la littérature est une forme de transmission, de connaissance. »1
Forgé dans l’intime, le roman de N’Sondé décrit tout autant la complexité d’un système en marche, qu’il insuffle la nécessité de l’action. Comment ne pas lire une description de notre temps dans ces mots : « Des centaines de vies broyées, sacrifiées, utilisées au profit de la prospérité d’une poignée d’individus ». En ces temps où nous avons, à la fois les moyens de nourrir toute la planète, à la fois ceux de la détruire par des politiques de domination et d’oppression mortifères, « gloire à tous ceux qui de leurs cris tissent les feux de l’aube », nous dit le poète Franketienne. Et aux artistes et intellectuels, tout autant qu’aux élans solidaires qui se déploient, il est d’augure de citer Glissant : « Quitter le cri, forger la parole. Ce n’est pas renoncer à l’imaginaire ni aux puissances souterraines, c’est armer une durée nouvelle, ancrée aux émergences des peuples ».

 

1. Citée dans « Esclavage et littérature. Représentations francophones ». Sous la direction de Christiane Chaulet Achour. 2016. Classiques Garnier.

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