Afriki

De Habib Koité & Bamada

Coup de foudre
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Quelques accords de guitare nous entraînent dans un voyage qui nous tiendra hypnotisé jusqu’à la dernière note. Ce n’est pas tous les jours qu’on n’a jamais envie de zapper sur un cd, d’un morceau à l’autre…

Grâce à Habib Koité, c’est aujourd’hui ! Pourquoi ?
Les grands guitaristes mandingues ont en partage un son et un phrasé immédiatement identifiables, hérités de leurs ancêtres harpistes et luthistes. Petit-fils d’un joueur de luth ngoni, Habib n’échappe pas à cette règle. Cependant son jeu de guitare se distingue par une profonde personnalité et une rare virtuosité. D’abord autodidacte, il a ensuite étudié la guitare classique à l’Institut national des arts de Bamako, dont il a dirigé l’orchestre et où il a côtoyé le harpiste Toumani Diabaté – membre de son premier groupe.
Très tôt Habib Koité s’est départi de l’influence de ses idoles d’adolescence – les électriques et flamboyants Sekou Diabaté du Bembeya Jazz de Guinée ou Djelimady Tounkara du Rail Band. Il a opté pour un style plus sobre, élégant, usant de guitares acoustiques (souvent une Godin Multiac à cordes de nylon).
Ce choix contribue à l’équilibre sonore idéal que son groupe Bamada (fondé à la fin des années 1980) a su inventer entre guitares et instruments mandingues. En effet, la musique de Bamada (gueule du crocodile » en bambara) s’articule sur un dialogue fascinant entre Habib Koité et le septuagénaire Keletigui Diabaté – le plus illustre des balafonistes maliens, qui est aussi un excellent violoniste.
Enregistré entre Bamako, Bruxelles et Charlotte (Vermont, USA), « Afriki » est le quatrième album en studio de Bamada (1) et le plus impressionnant par sa diversité. Il déconcertera forcément ceux qui ne connaîtraient d’Habib Koïté que son unique tube « Cigarette Abana » – « Fini la cigarette », dont le clip fit un tabac sur toutes les chaînes de l’Afrique francophone, suscitant l’ire des lobbies enfumeurs qui y sont devenus les sponsors favoris de la musique et du cancer.
Comme les précédents, « Afriki » est un album de chansons. Chacune y délivre son petit message moral, parfois très discutable, dans la pure tradition griotique.
Le livret comporte des traductions assez complètes en anglais et français, ce qui permettra aux non-locuteurs du bambara de se faire une opinion et de réagir.
La musique d’Habib Koité est une adéquation vraiment parfaite entre son héritage mandingue et son attirance pour le classicisme européen. C’est flagrant dans « N’teri », qui me semblait être a priori le sommet de cet album. On y entend une mélodie admirable, bouleversante, un pur chant de griot adressé par Habib Koité à tous ses amis, exposé d’abord par sa guitare, puis par sa voix, que rejoignent ensuite le balafon et d’autres percussions mandingues, mais aussi un trio à cordes harmonisé dans un style romantique, très « schubertien »…
Nous sommes tous, nous les humains, plus sensibles à la culture, à la musique des autres à condition qu’ils fassent l’effort de se mêler à la nôtre. Toute l’histoire de la « world music » est d’ailleurs pavée de ces bonnes intentions qui peuvent aussi préfigurer l’enfer d’une certaine mondialisation.
« N’teri » est ainsi forcément émouvant pour quelqu’un comme moi, qui ai grandi dans l’apprentissage passionné de la musique classique et romantique avant de tomber fou amoureux du blues, du jazz puis des musiques africaines…
Tout cela pour dire que si « N’teri » est un chef-d’œuvre inouï de fusion entre la tradition mandingue et le romantisme européen, d’autres morceaux de cet album mériteraient autant d’attention de la part des mélomanes et des musicologues.
Le suivant « Nta Dima » (Je ne te la donne pas ! ») dénonce le mariage arrangé et forcé, cauchemar de la femme africaine. Musicalement, il est aussi admirable que le précédent, mais il risque d’être moins séduisant à l’oreille d’un « blanc », car il est fondé sur l’intervention de percussions et d’un ensemble de trompes en corne d’antilope utilisés lors des fêtes chez les Khassonké – Habib Koïté fait partie de ce peuple, cousin et voisin des Soninké dans la région de Kayes, dont sont originaires la plupart des immigrés maliens en Europe.
A l’écoute d' »Afriki » on peut se poser bien des questions au sujet de tant d’autres chanteurs africains qui se gargarisent des méfaits de la colonisation et qui en font leur fond de commerce tout en ignorant l’extraordinaire patrimoine en péril que représentent les instruments de musique africains « précoloniaux ».
Habib Koité a choisi de se consacrer, avec une grande humilité, à leur sauvegarde, et il a déjà réussi à prouver qu’ils peuvent s’intégrer dans une musique inventive, vraiment contemporaine, novatrice et populaire.
Sa voix est l’une des plus émouvantes qu’on puisse entendre aujourd’hui dans la grande tradition malienne : outre son génie guitaristique, Habib Koité, qui soufflera l’an prochain ses cinquante bougies, est un chanteur très digne de ses aînés comme Kassemady Diabaté ou Salif Keita.

(1) Les précédents cds d’Habib Koité & Bamada sont « Muso Lo » (1995), « Maya » (1998) et « Baro » (2001), plus « Foly », un double-cd enregistré en public. Tous sont disponibles et distribués par harmonia mundi.AfrikiHabib Koité & Bamada (Contrejour-Cumbancha / harmonia mundi, sortie le 15 septembre
Prochains concerts à Ixelles le 28 septembre et à Paris (L’Européen) les 7 et 8 octobre.///Article N° : 6899

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