Apolline Traoré a présenté Sira en compétition officielle au Fespaco 2023, histoire d’une jeune femme abusée par les terroristes dans le désert et qui saura rebondir. Elle rencontrait la presse et les professionnels lors du débat-forum du 1er mars 2023.
Annick Kandolo : Vous n’avez pas pu tourner Sira au Burkina Faso et avez dû vous retourner sur la Mauritanie ? Etait-ce amer pour vous ?
Apolline Traoré : Beaucoup d’amertume ! Ce fut une grande douleur. J’ai décidé de faire ce film après l’attaque de Yirgou en janvier 2019 qui m’avait profondément choquée. Pour les repérages, je voulais me rendre à Essakane, mais c’était en zone rouge, inaccessible. Je suis finalement allée dans la région de Dori, accompagnée par l’armée. Cela m’a permis de rencontrer les déplacés, et notamment les femmes dont j’ai recueilli les histoires. Je voulais faire ce film avec la population. Mais une semaine après mon retour à Ouagadougou, il y a eu le massacre de Solhan. Un message officiel m’a interdit la zone. J’ai bataillé en expliquant combien il était important de tourner sur le territoire, mais nous devions rester trois mois dans la zone, ce qui aurait mobilisé durant cette période des moyens militaires de protection qui devaient servir ailleurs. Le plus proche désert sécurisé était la Mauritanie, un décor beau mais difficile.
Madina Diallo : J’ai vécu l’accouchement comme une libération après le viol et la grossesse forcée, mais on n’entend pas l’enfant crier.
Apolline Traoré : Dans cette scène, je voulais montrer le désespoir de Sira, son dégoût. Dans une première version du scénario, elle allait même enterrer l’enfant. Un enfant issu d’un viol est un traumatisme. Tous les bébés ne crient pas à la naissance mais, artistiquement, je voulais cette interrogation sur la vie du bébé ou non, que le spectateur ressente cette émotion.
Question de la salle : Sira est présentée comme une femme forte. Ne pouvait-elle aller chercher elle-même les armes plutôt qu’elles lui soient amenées par le militaire ?
Apolline Traoré : Qu’aurait pu faire Sira toute seule ? Dans cette guerre, il nous faut y aller ensemble et trouver les solutions ensemble. Seule, elle ne pouvait rien. Il faut armes, aide et stratégie.
Question de la salle : Comment avez-vous travaillé le scénario et développé vos personnages ? Et une question à vos acteurs : vous jouez des rôles difficiles (Sira la femme violée, Yéré le salaud), était-ce difficile à vivre ?
Apolline Traoré : J’ai écrit seule le scénario mais avec des feed-backs de mes producteurs durant un an, ce qui a donné douze versions. Une fois abouti, nous l’avons envoyé à des script-doctors qui nous ont aidés dans la temporalité, pour faire sentir comment le temps passait. Je ne voulais pas mettre des inserts sur le temps. On a donc utilisé la grossesse comme un marqueur de temps, les cheveux aussi. Dans le scénario, on utilisait aussi les différences de température mais quand on a tourné, elle est partie en vrille ! Le ciel était toujours couvert, ça a été difficile. Après vingt de carrière, on croit que je n’ai pas besoin d’aide pour écrire, mais j’ai besoin d’aide à ce niveau. Ma spécialité est la réalisation, pas le scénario. C’est un processus difficile pour moi.
Lazare Minoungou (Yéré) : En tant que comédien, on est à la recherche fébrile de rôles forts ! Ce film est une chance. Je viens du théâtre, et au cinéma on veut des rôles qui nous permettent de mobiliser la mémoire sensorielle. Mais pour un rôle de terroriste, ça manquait, c’est trop fort. Où puiser l’inspiration ? Heureusement, avec Apolline nous avons eu un mois avant pour travailler et entrer peu à peu dans le personnage. Je ne suis pas un terroriste mais je peux m’en approcher au mieux. Notre pays manque de scénaristes et de bonnes réalisations : un tel film est une chance.
Nafissatou Cissé (Sira) : Ce fut difficile pour moi car c’était mon premier rôle ! Emotionnellement, c’était très dur au début ! Etre ce personnage était compliqué. On a répété durant un mois et je vivais comme ce personnage, faisant corps avec lui, si bien que je suis devenue Sira ! Mais ce qui m’a aussi motivée, c’était d’incarner ces femmes et leur dire qu’il y a de l’espoir.
Question de la salle : Comment s’est fait le choix des langues ?
Apolline Traoré : C’est une communauté peuhle qui se déplace et il est normal qu’ils parlent leur langue. Ensuite, on passe au français car ce n’est pas une histoire seulement burkinabèe. Notre langue commune est le français avec tous les pays concernés.
Question de la salle : Le personnage de Jean-Sidi, le fiancé, est présenté comme un lâche. Est-ce du féminisme ?
Apolline Traoré : Il n’est pas lâche : il traverse le désert pour rechercher sa femme. Il est aveuglé par l’amour et sa naïveté est de croire qu’il va y arriver. Sa simple décision, c’est du courage. Mais je ne voulais pas en faire un James Bond !
Question de la salle : Et pourquoi toujours le même habit pour Sira ?
Apolline Traoré : Elle survit, la propreté n’était plus possible avec le manque d’eau. Son problème était de boire, manger et ne pas se faire tuer.
Question de la salle : La mère de Sira ne domine pas la langue peuhle, malgré vingt ans de vie commune.
Apolline Traoré : Je voulais montrer l’intégration d’une étrangère en dépit de la difficulté. L’actrice est d’origine guadeloupéenne et elle a dû apprendre la langue, ce qui supposait un accent. J’aime bien varier les personnages pour ne pas les enfermer dans des rôles convenus.
Question de la salle : Pourquoi une femme comme personnage principal ?
Apolline Traoré : Je suis une femme. C’est un choix naturel pour moi car je comprends mieux les femmes que les hommes. On me décrit comme féministe mais ce n’est pas exactement ça : je choisis de porter la voix de la femme dans ses forces, ses douleurs et ses faiblesses, c’est pour moi un devoir de lui donner la place dans ce monde difficile. On me demande souvent ce que c’est que d’être une réalisatrice femme : c’est d’être réalisatrice tout simplement. Nous nous battons dans toutes les disciplines.
Question de la salle : Quelles difficultés avez-vous rencontré sur le tournage ?
Apolline Traoré : Avec les techniciens et comédiens, aucune difficulté car tout le monde comprenait l’enjeu du film. Les techniciens montaient sur des rochers sans sécurité pour éclairer. Ils devaient grimper sur les dunes à quatre pattes ! Merci à eux. Je travaille avec une équipe que je connais. Au début de ma carrière, je n’avais pas grandi au Burkina et à 23 ans, j’avais du mal à m’imposer. Petit à petit, les choses se sont construites. Mon équipe connaît ma rigueur et m’accompagne les yeux fermés. Sira était le film le plus difficile de ma carrière, sans eux je n’aurais rien pu faire. En tant que productrice aussi du film, j’avais sans cesse en tête toutes les questions pratiques, dans des conditions très particulières. Ce fut un défi d’arriver à tenir et de terminer le film.
Question de la salle : Pourquoi avoir choisi le nom Sira ?
Apolline Traoré : Dans certaines communautés peuhles, Sira veut dire la première fille, ce qui est le cas dans le film.
Question de la salle : Quand la mère de Sira lui prodigue des conseils, elle ne lui parle pas de soumission.
Apolline Traoré : Je fais très attention à ce mot en tant que femme. « Femme soumise » est interprété comme aux ordres du mari dans le foyer : elle s’exécute sans rechigner. Pour moi, une femme soumise, ce n’est pas ça : c’est donner à son mari sa place en tant que père et homme de la maison, et donc le respecter dans ce qu’il est. C’est comme cela que je comprends une femme mariée. Tout homme valable comprend que sa femme est soumise quand il la respecte. Si un homme ne respecte pas et ne valorise pas sa femme, elle ne sera pas soumise.